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CHAPITRE III

LE CONCORDAT

SOMMAIRE.

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Nature complexe du Concordat. 11 organise un service public - Il a un caractère conventionnel. 1. La préparation du Concordat. Motifs qui ont déterminé Bonaparte à le conclure - Le régime de Séparation laissant aux mains de l'État la propriété des édifices de culte ne pouvait être définitif. 20 La conclusion du Concordat. - Les négociations. — Les articles relatifs aux biens. L'art. 75 de la loi de germinal an X. - 3° L'interprétation du Concordat. Deux conceptions opposées : celle de la papauté, celle de l'État. Divergences qui en résultent, lorsqu'il s'agit de déterminer?: 1° la condition den biens aliénés ; 2° celle des biens affectés au culte ; 3° le caractère du budget des cultes. Quelle a été, sur ces points, la doctrine constante de l'Etat français. - L'œuvre de la Constituante, de la Convention, du Consulat jugée par un ministre catholique et royaliste.

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Le régime issu du Concordat est complexe. Il présente les deux caractères suivants, qui en font l'originalité, et qui expliquent en même temps les conflits de doctrines. qu'il a soulevés.

D'une part, la Séparation de l'Église et de l'État prend fin. La religion devient, comme elle était dans le passé, un service public. Les édifices du culte, propriété de la Nation, sont affectés à ce service, et les prêtres, salariés par l'État, sont des fonctionnaires. Par là, le régime nouveau se rapproche de celui de la Constituante.

Voici par où il en diffère. L'organisation nouvelle n'est pas déterminée par la volonté unilatérale et souveraine. de l'État. Elle est le fruit d'un contrat intervenu entre deux puissances, dont la compétence est également reconnue en matière ecclésiastique, l'Église et l'État. Chacune d'elles.

obtient de l'autre certains avantages, moyennant des sacrifices librement consentis. Et l'abandon de certains biens, la renonciation à certains droits de propriété a pour contre-partie l'établissement d'une dette dont la rémunération des ministres du culte est l'objet.

Il semble que ces deux caractères ont de la peine à coexister. Comment le budget des cultes, s'il est l'acquittement d'une dette envers l'Église, peut-il être considéré comme la rémunération d'un service public? Et si les biens ecclésiastiques, propriété de l'État, sont, par un acte volontaire et souverain de celui-ci, en partie affectés au culte, comment interpréter la renonciation du Pape à ceux dont l'aliénation est maintenue?

Nous ne nions pas la contradiction. Nous la constatons au contraire, et dans ce chapitre, nous en montrerons les effets. Il ne s'agit pas, en réalité, de deux caractères qui se complètent, et déterminent la physionomie juridique d'une institution. Il s'agit de deux aspects qu'elle présente, suivant qu'on l'envisage au point de vue de l'une ou de l'autre des deux parties.

Voilà le vice irrémédiable dont le Concordat était atteint dans son origine. Un contrat n'est valablement conclu que si les deux parties ont une égale compétence pour statuer sur son objet. Or, entre l'État et l'Église il n'existe pas de tribunaux ; et l'État ne peut, en vertu de la notion qu'il a de sa propre souveraineté, reconnaître à l'Église une compétence égale à la sienne pour régler la rémunération d'un de ses services et la condition de biens situés sur son territoire.

Pourquoi donc l'État est-il intervenu à cet acte hybride qui ne peut se comprendre sans une abdication de sa part? Dans quelles conditions l'a-t-il fait, et quelles en sont

aujourd'hui encore les conséquences? Ce sont les trois questions qui se présentent.

Nous les étudierons, en nous plaçant au point de vue spécial des biens ecclésiastiques.

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On a beaucoup discuté sur les motifs qui ont conduit. Bonaparte à renouer les relations avec la Papauté.

Pour les uns, cette initiative aurait son explication toute naturelle dans les nécessités de l'époque. Le catholicisme venait de montrer sa vitalité extraordinaire: l'enthousiasme qui avait accueilli les décrets de libération, en particulier celui de l'an VIII, le grand nombre des fidèles que les églises nouvellement affectées au culte suffisaient à peine à contenir, étaient pour le premier Consul un encouragement à persévérer dans sa politique libérale. Cette politique avait pour dénouement nécessaire l'accord conclu avec le Pape, chef traditionnel du catholicisme (1).

On allègue, en sens contraire, que les lois de ventôse et de prairial offraient un modus vivendi très satisfaisant, dont on avait paru se contenter pendant plusieurs années. Si le système nouveau avait donné lieu d'abord à des abus, il ne fallait en accuser que les circonstances particulièrement défavorables au milieu desquelles il avait commencé

(1) En ce sens Chénon, dans l'Histoire générale de Lavisse et Rambaud, t. IX, p. 255. Dix jours avant la bataille de Marengo, le 5 juin 1800, Bonaparte dit au clergé de Milan : « Nulle société ne peut exister sans morale, et il n'y a pas de bonne morale sans religion. Il n'y a donc que la religion qui donne à l'Etat un appui ferme et durable. Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole >>

à fonctionner. Du jour où une main habile sut en tirer le parti désirable, il donna les meilleurs résultats. Et l'on invoque le témoignage de Mme de Staël. L'ambition effrénée du premier Consul, son désir de dominer sur les consciences, d'étendre son empire, en se présentant non seulement comme le chef temporel de la France, mais comme l'auxiliaire du pouvoir spirituel, voilà les causes déterminantes de sa politique nouvelle : « Il lui fallait un clergé, « comme des chambellans, comme des titres, comme des << décorations, comme enfin toutes les anciennes cariatides <«< du pouvoir »> (Mme de Staël) (2).

Ces raisons que l'on oppose ne nous paraissent pas s'exclure. Si Bonaparte a pu trouver dans l'Église catholique un instrument de règne, c'est assurément qu'à cette époque les sentiments religieux avaient pris un nouvel essor. Le régime de séparation, tel que la Convention l'avait organisé, était-il de nature à leur donner satisfaction? On peut en douter. Sans doute, le régime libéral du Consulat, succédant à la tyrannie du Directoire, avait produit une détente; mais n'avait-on pas vu l'enthousiasme populaire accueillir la loi de ventôse, et n'avait-on pu constater combien cet enthousiasme était éphémère ?

Le régime de co-habitation des cultes, quelle que fût la tolérance et la bienveillance du gouvernement, était dans son principe une atteinte à la conscience des catholiques. Les déclarations optimistes de quelques évêques constitutionnels ne sauraient, à cet égard, nous donner le change. Et le système des concessions, toujours révocables, lais

(2) En ce sens Debidour, op. cit., p. 183. Aulard, Histoire politique..., p. 733. Voyez aussi, parmi les discours prononcés à la Chambre, celui de M. Zėvaės, dans la séance du 27 mars 1905, celui de M. Deville, dans la séance du 23 mars.

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