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moyen de textes non moins décisifs. Tous méconnaissent ce fait, pourtant historique, pourtant établi par une étude sérieuse des travaux préparatoires les volontés des deux parties, dans ce contrat unique en son genre, ne se sont jamais rencontrées. Pourquoi s'obstiner à chercher une volonté commune? Il n'y en a jamais eu.

Nous avons donné la raison de cette divergence irréductible. Elle influe sur la solution des trois problèmes les plus délicats qu'a soulevés l'interprétation du Concordat. Le premier concerne la condition des biens affectés aut culte; le second est relatif aux biens aliénés; le troisième concerne les traitements ecclésiastiques.

Les églises métropolitaines. paroissiales, etc., sont désormais à « la disposition » des évêques. Nous avons rencontré cette expression dans le décret de la Constituante: les biens affectés au culte étaient à la disposition » de la Nation. Nous en avons souligné le caractère équivoque. Il s'agissait pour les uns d'un simple pouvoir d'administration, pour les autres du droit de propriété luimême c'est cette dernière interprétation qui avait fini par l'emporter.

Les biens du Clergé étaient donc, à la veille du Concordat, la propriété de la Nation; et le premier Consul ne pouvait méconnaître le droit de cette dernière sans violer une loi du pays.

Le Concordat avait-il pour conséquence de transférer la propriété de ces biens? Assurément non. Seules, les églises nécessaires au culte étaient mises à la disposition des évèques. Et les articles organiques reconnaissant que les édifices anciennement affectés au culte étaient « dans les mains de la Nation» ne disposaient au profit du Clergé que d'un édifice par cure et par succursale. C'est d'une

affectation administrative qu'il s'agissait là, bien évidemment. Quand on opère une restitution, quand on transfère un droit de propriété, on ne le fait pas dans la mesure des besoins (1).

Il est donc vraisemblable que les mots « mis à la disposition » avaient le même sens aux yeux des deux parties. Il n'est pas moins vrai que le résultat de l'opération était absolument différent pour l'une et pour l'autre.

S'il n'y a eu, au regard de la Papauté, qu'une affectation administrative, c'est que tout transfert de propriété était inutile. Le Pape n'avait jamais reconnu la validité des aliénations consenties depuis 1789. En lui demandant de renoncer aux biens déjà vendus, on l'autorisait implicitement à se considérer comme propriétaire des biens au sujet desquels sa ratification n'intervenait pas et qui étaient de nouveau affectés au culte. Il y a là un argument a contrario qui s'impose, si l'on considère le Concordat comme un contrat intervenant entre parties égales, et réglant l'attribution de droits dont elles ont l'égale disposition. Tel était, tel devait être le point de vue de la Papauté.

(1) La plupart des auteurs se croient obligés d'attribuer un même sens aux mots à la disposition », quand ils les rencontrent dans le décret de la Constituante, et dans le texte du Concordat. Pour les uns, il s'agit d'un double transfert de propriété. En ce sens M. Beauregard, dans son discours du 13 avril. Pour d'autres, au contraire, il s'agit d'une simple affectation administrative. La Nation, se considérant en 1789 comme d'ores et déjà propriċtaire des biens du clergé, en aurait simplement repris la possession. Le Concordat, maintenant ce droit de propriété, aurait remis à l'Eglise la jouissance et l'administration de ces biens.

Cette identité de sens nous paraît contredite par le texte des deux dispositions, qui n'est pas le même. La Constituante a déclaré que les biens du clergé sont à la disposition de la Nation. Elle a prétendu constater un droit préexistant, bien qu'elle ait réalisé, à notre avis, un transfert de propriété. Cela résulte de la discussion que nous avons analysée. Le Concordat a mis les mêmes biens à la disposition des évéques. Nous établissons, ci-dessus, qu'il s'agit d'un acte administratif.

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Etart-ce bien celui du gouvernement français? On peut être tenté de le croire, si l'on consulte la lettre suivante écrite par Bernier à l'archevêque Spina, le 24 Brumaire An IX (15 Novembre 1800): « Dans ces moments de crise, <«< il était impossible que le Clergé Français ne ressentit <«< pas le malheur des circonstances, et ne fût pas forcé par « le torrent révolutionnaire à se soumettre à tous les « sacrifices qu'elles lui demandaient. Ses biens immenses <<< sont devenus l'hypothèque des créanciers de l'Etat. Les « lois et la Constitution l'en ont également privé. Cette expropriation, nécessitée par les besoins de l'Etat, est <<< maintenant consommée. Ces biens ont passé des mains « des possesseurs ou titulaires dans celles des acquéreurs. « La loi donne à ceux-ci un titre, et le Gouvernement une garantie. Ce titre, cette garantie reposent essentielle<«<ment sur la fin politique. Vouloir les altérer ou les « enfreindre, ce serait ouvrir la porte à de nouveaux trou«bles et appeler contre l'Eglise le mécontentement et la «< haine d'une partie des Français. Cette effrayante idée, « Monseigneur, doit être la mesure du jugement que por« tera l'Eglise sur ces sortes d'acquisitions. La nécessité <«<les commande, le besoin les exige, la loi de l'Etat les <«< approuve, la Constitution les garantit, le bien de la paix, « le repos de l'Etat, le rétablissement de la religion au « milieu de nous, en un mot, la réunion de la France avec « l'Eglise de Rome, dépend essentiellement de la conser«vation de ces acquisitions. Ces motifs sont trop puissants « pour ne pas faire sur l'esprit et le cœur de Sa Sain«teté la plus vive impression. Nous lui proposons done « par votre organe, Monseigneur, d'adopter comme principe fondamental de toute réunion que les acquisitions des biens ecclésiastiques, dits nationaux, seront mainte

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«nues et ratifiées par l'Eglise, au nom de laquelle le Saint Siège ordonnera, tant aux ecclésiastiques qu'aux fidèles, <«< de ne troubler en aucune manière les possesseurs actuels « de ces mêmes biens et de regarder l'acquisition qu'ils en <«< ont faite comme un titre légal ».

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Il est donc nécessaire que la papauté papauté « ratifie »>, qu'elle <«< maintienne » une aliénation qui a été opérée par une loi! Et l'abbé Bernier admet, contrairement à la doctrine. de la Convention, et à celle de la Constituante elle-même, que le décret de 1789 réalise une expropriation! Le Gouvernement Français a-t-il donc désavoué sa propre politique, et va-t-on revenir sur tout ce qui a été fait, et légalement fait depuis 1789?

Il n'y a là que des habiletés de diplomate. L'abbé Bernier se place au point de vue de la Papauté, il admet ses prémisses, parce qu'il faut, pour s'entendre avec un adversaire, pour lui arracher des concessions, parler le même langage.

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Comparons à cette lettre le discours que prononçait quelque temps après Portalis, qui s'adressait au Corps législatif : « Le temporel des Etats étant entièrement étranger au ministère du Pontife de Rome comme à celui « des autres Pontifes, l'intervention du Pape n'était cer<«<tainement pas requise pour consolider et affermir la « propriété des acquéreurs de biens ecclésiastiques..... mais « il a été utile que la voix du chef de l'Eglise, qui n'a point « à promulguer des lois dans la Société, pùt retentir dou«< cement dans les consciences, et y apaiser des craintes ou des inquiétudes que la loi n'a pas toujours le pouvoir de «< calmer ».

Voilà la véritable doctrine de l'Etat français! Elle est dans une opposition absolue avec celle de la Papauté. Il en

résulte, sur la condition des biens aliénés, sur celle des biens qui demeurent affectés au culte, un doublé malentendu.

Nous arrivons au troisième, qui est la conséquence logique des précédents. Il s'agit de l'art. XIV qui promet aux ministres du Culte un traitement convenable.

Quelle est la nature de ce traitement? Faut-il le considérer comme l'acquittement d'une dette que l'Etat français aurait contractée envers l'Eglise, en retour de la renonciation consentie par le Pape aux biens déjà aliénés ? C'est la doctrine traditionnelle de l'Eglise, celle que défendait, dans un discours récent, le Pape Pie X : « Une transac<«<tion était consentie de part et d'autre, en ce qui concerne « les biens qui avaient été publiquement enlevés à l'Eglise, « peu de temps auparavant. Ces biens, le Pontife en fait « don à l'Etat. L'Etat, en revanche, donne sa parole qu'il «< fournira au Clergé ce qui est décemment nécessaire à son « entretien. C'est évidemment un véritable contrat, au sens <«< propre du mot. Il y est stipulé une compensation déter«minée en échange d'un bien déterminé » (1).

En faveur de cette opinion, on n'a pas de peine à trouver des arguments dans les travaux préparatoires.

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Le cardinal dit Pietro, dans un mémoire du 11 ¡mai, s'exprime ainsi : « Pourvoir à la subsistance des ministres,

après que les Eglises de France ont été dépouillées de <«<leurs biens, est un acte de justice que le Gouvernement, « dans sa sagesse, ne manquera pas de reconnaître. »> Et dans une note du 30 mars 1801: «La subsistance des << ministres est de droit divin. Les biens fonds et la dime

(1) Voyez dans le même sens M. Denys Cochin qui, dans la séance du 30 mars 1905, reproduit le passage de Bernier cité au texte; M. Gailhard Bancel dans la séance du lundi 3 avril; M. Plichon, dans la séance du 28 mars.

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