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donnent le même emblème de l'origine du monde. Les Égyptiens, suivant Diogène Laërce et Diodore de Sicile, pensaient que le monde, à sa naissance, n'offrait qu'une masse confuse, un chaos d'où les éléments ont été tirés par voie de séparation, et d'où les animaux ont été formés. Ils avaient aussi connaissance d'un grand mouvement imprimé à l'air, et semblable à celui dont parle Moyse. Hésiode, Euripide, Epicharme, Aristophane, Ovide, nous représentent le monde, à son origine, comme un chaos duquel l'Esprit créateur a tiré toutes choses.

174. La séparation de l'eau et de la terre, dont il est parlé dans le premier chapitre de la Genèse, est mentionnée dans Anaximandre et dans Phérécide, qui avait tiré cette tradition des Syriens. Anaxagore et Linus enseignent qu'au commencement tout était mêlé et confus, mais que l'Esprit avait tout arrangé. Numénius, cité par Porphyre, parle de l'Esprit de Dieu, du vent qui agissait sur les eaux. Pythagore, Thalès, Platon, Zénon, Cléanthe, Chrysippe, Posidonius, Sénèque, Chalcide, ont reconnu, sinon la création proprement dite, du moins une intelligence suprême, comme principe de l'ordre qui existe dans l'univers. Au rapport de Mégasthènes, les Indiens croyaient que l'eau avait produit les animaux, et que Dieu gouvernait toutes choses. Cette idée, assez généralement répandue, sur l'eau considérée comme l'élément premier d'où les êtres animés auraient été originairement tirés, émane visiblement de ce qui est rapporté par Moyse sur la création. Nous ferons remarquer aussi, d'après Shuckford, que le chaos, chez les anciens auteurs, pouvait s'appeler eau, du mot grec xéo, qui signifie verser, répandre; et qu'ainsi l'on se méprend peut-être lorsqu'on fait dire à Homère et à Thales que l'eau simplement est le principe de toutes choses, tandis qu'ils voulaient dire le chaos; ce qui a encore plus de rapport avec le récit de Moyse. Selon l'Edda ou la théologie islandaise, commune aux anciens peuples du Nord, un être éternel a créé le ciel et la terre en animant par un souffle de chaleur la matière, qui, au commencement des siècles, n'était qu'un vaste abime, sans forme, sans plantes et sans germes, où tous les éléments étaient confondus. Dans cette description du chaos, l'Edda fait mention de la séparation de la terre d'avec les eaux, de la distinction des jours, des temps et des années.

175. L'auteur du livre de la Genèse parle des ténèbres avant la création de la lumière; il donne le soir et non le matin comme le commencement du jour, et la création du soleil comme postérieure à la lumière. Sanchoniaton, Thalès, Hésiode, enseignent que la

nuit a précédé la lumière. La description qu'Ovide et Aristophane nous ont laissée du chaos, suppose également la lumière postérieure aux ténèbres. L'Érèbe, enfant du Chaos, et dont le nom répond au mot hébreu qui signifie nuit, est placé dans la théologie païenne au rang des premières divinités qui en ont produit d'autres. De là plusieurs nations, comme les Athéniens, les Numides, les Italiens, les Allemands, les Bohémiens, les Polonais et les Gaulois, commençaient la mesure du jour par la nuit, de même que les Hébreux. Cet usage, conforme à la tradition des Phéniciens et des Grecs, s'accorde, comme on le voit, avec l'histoire sacrée.

176. Suivant le même historien, l'homme est le dernier ouvrage du Créateur. Dieu forma son corps avec de la terre, répandit sur son visage un souffle de vie en lui donnant une âme raisonnable; il le fit à son image et ressemblance, et soumit tous les animaux à son empire. Ovide ne parle de la création de l'homme qu'après avoir fait l'énumération des autres créatures; et il dit que le Créateur a formé l'homme avec du limon, qu'il l'a fait à sa ressemblance, et l'a établi maître de tous les animaux. Hésiode, Homère, Callimaque, Euripide, Démocrite, Cicéron, Juvénal et Martial, font mention de la boue qui a servi de matière au corps du premier homme. Euripide s'exprime exactement comme Moyse sur l'ori gine d'Adam : « Le corps de l'homme, dit-il, a été formé de terre et il retourne en terre; mais son âme doit retourner au ciel.» Horace appelle l'âme humaine une portion de l'Esprit divin, divinæ particulam auræ; le mot aura, quoique inexact, ainsi que le mot particula, nous rappelle ce que dit la Genèse Deus inspiravit in faciem ejus spiraculum vitæ. Selon Virgile, c'est une raison, un sens céleste, æthereus sensus. Platon, Cicéron, Pline et Juvénal lui attribuent une origine divine; et Eurisus, philosophe pythagoricien, dit que Dieu s'est pris lui-même pour modèle lorsqu'il donna l'être à l'homme.

177. On lit dans la Genèse que Dieu mit six jours pour la création; qu'il bénit le septième et le sanctifia, voulant qu'il fût, dans la suite, spécialement consacré à son service. L'usage de compter les jours par sept ou par semaine se fait remarquer chez les anciens peuples. De même, non-seulement les Juifs, mais les Égyptiens, les Grecs et les Latins, les Indiens, les Chinois, les Celtes, c'est-àdire, les Germains, les Slaves et les peuples de la Grande-Bretagne, se sont toujours accordés à fêter le septième jour: Josèphe et Philo u'ont pas craint d'avancer que le septième jour était un jour d fête pour tous les peuples du monde.

178. Nos premiers parents avaient été placés dans le paradis terrestre, lieu de délices; ils y vécurent heureux et exempts des misères de cette vie, tandis qu'ils conservèrent l'innocence; mais ayant désobéi à Dieu, ils attirèrent sur eux et sur leur postérité les malédictions du ciel. Cependant un libérateur leur est promis. Les Égyptiens croyaient que nos premiers parents vivaient dans la simplicité, ignorant l'art de se couvrir, et se contentant de ce que la nature leur offrait d'elle-même. La mémoire de l'innocence de l'homme dans le paradis terrestre s'est conservée dans l'âge d'or des poëtes, où régnaient la bonne foi, la justice et la concorde; où la terre, sans être déchirée par la charrue, portait tout ce qui était nécessaire à la vie : comme aussi les siècles d'argent, d'airain et de fer, qui furent moins heureux que le premier, parce que la justice, la fidélité et la vertu avaient fait place à la fraude, à la violence et aux vices, nous rappellent la dégradation du genre humain et la dépravation progressive des hommes, telle, quant au fond, qu'elle est rapportée dans le premier de nos livres saints. Dicéarque, philosophe péripatéticien, cité par Varron et Porphyre, dit que les premiers hommes étaient plus près des dieux que nous; qu'ils étaient d'une meilleure nature que nour qu'ils vivaient dans l'innocence, et que c'est de là qu'est venu le nom d'âge d'or donné au premier âge du monde. Nous rapporterons, dans le traité suivant, la tradition des anciens peuples sur le péché originel (1), et la promesse d'un médiateur (2).

179. Au rapport de Moyse, les premiers hommes vivaient plusieurs siècles. Cette longue vie des patriarches est mentionnée dans l'histoire que Bérose avait faite de la Chaldée, dans celle d'Égypte par Manéthon, dans celle des Phéniciens par Hiram, enfin dans l'histoire des Grecs par Estiacus, Hécatée, Hellanicus, et dans les ouvrages d'Hésiode. Servius, dans ses commentaires sur Virgile, dit que les Arcadiens vivaient jusqu'à trois cents ans. La vie brutale des géants, rapportée par Moyse, se lit aussi dans presque tous les auteurs grecs: Homère, Hésiode, Platon, Lucain, Sénèque, en ont parlé.

180. Quant au déluge, il n'est aucune nation qui n'ait conservé le souvenir de cette terrible catastrophe. Les Égyptiens croyaient que le genre humain avait péri par un déluge universel. Cette croyance leur était commune avec les peuples les plus anciens,

(1) Voyez ci-dessous, le Traité de la Religion. ш partie. dessous, ibid.

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savoir: avec les Phéniciens, les Chaldéens, les Syriens, les Assyriens, les Perses, les Chinois, les Indiens, ainsi qu'avec les nations septentrionales de l'Europe et du nouveau monde. Sanchoniaton, Bérose, Abydène, Plutarque, Lucien, Molon, Nicolas de Damas, Apollodore, Diodore de Sicile, Eupolème, Alexandre Polyhistor, Jérôme d'Égypte et Mnaséas, ces deux derniers cités par Josèphe, l'auteur de l'Edda, Ovide et d'autres écrivains, s'accordent unanimement sur ce point. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que, selon les Phéniciens, les Syriens, les Grecs, les Celtes Scandinaves et les Indiens, Dieu ne résolut le déluge universel que pour punir les crimes des hommes. On lit dans Sanchoniaton, dans Ovide et l'Edda, que les hommes qui périrent par l'inondation générale étaient des géants: nouveau rapport avec l'histoire de la Genèse, qui nous les représente, sous le nom de géants, comme des hommes fameux par leurs désordres.

181. Selon la narration de Moyse, l'origine de tous les hommes qui ont habité la terre depuis le déluge remonte à un seul homme, qui est Noé; selon la mythologie des Grecs, tous les hommes descendent de Deucalion, qui est le même que Noé. Les Chinois, les nations septentrionales de l'Europe, les peuples du Mexique, croyaient qu'après le déluge, la terre n'a été repeuplée que par une seule famille. Japet, père des Européens, Yon ou Javon, le père des Grecs, et Hammon qui s'établit en Afrique, ne sont-ils pas visiblement le Japhet, le Javan et le Cham de la Genèse? Saint Jérôme remarque que, de son temps, les Égyptiens appelaient encore l'Égypte du nom de Cham. Josèphe et plusieurs autres auteurs ont découvert, dans les noms d'un grand nombre de peuples, des traces sensibles de ceux qui se trouvent dans le premier livre du Pentateuque.

182. Enfin nous lisons dans la Genèse, qu'avant la dispersion des enfants de Noé, il n'y avait qu'une seule langue pour tous les hommes. Ils entreprirent une tour qui devait aller jusqu'au ciel, c'est-à-dire, fort haut. Mais le Seigneur, irrité de l'orgueil des hommes, confondit tellement leur langage, qu'ils ne s'entendaient plus les uns les autres, et qu'ils furent forcés de se disperser dans les différentes parties du monde. Or Abydène rapporte le même fait, presque avec les mêmes circonstances. Eupolème, Artapan, Alexandre Polyhistor, disent qu'il est fait mention de la tour de Babel dans toutes les histoires; que cette tour avait été bâtie par les géants échappés au déluge, et qu'elle fut aussitôt renversée par les dieux, qui les dispersèrent par toute la terre. L'entreprise té

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méraire des géants de la Fable, qui tentèrent d'escalader les cieux, n'est bien vraisemblablement qu'une altération de l'histoire de la tour de Babel, que les hommes voulaient élever jusqu'au ciel (1).

183. Ainsi, Moyse est d'accord avec tous les anciens sur la description du chaos, sur la séparation des éléments, la création de l'homme et des animaux, l'observation du septième jour consacré au culte de Dieu, la félicité de nos premiers parents, leur chute, la vie des patriarches, le déluge, la renaissance du monde et la dispersion des hommes. Voilà des faits dont la tradition primitive, quoique plus ou moins altérée, s'est conservée chez tous les peuples, et qui se résume avec une netteté remarquable dans le plus ancien livre du monde. Qui ne voit que cette précision dans les faits annonce une grande supériorité de connaissance pour toutes les circonstances qui ont dû accompagner ces événements? La tradition orale, telle qu'elle existait dans l'origine du genre humain, n'a pu, généralement, transmettre à la postérité que des histoires confuses, sans suite, sans liaison; en sorte que si les enseignements du peuple que Dieu s'était choisi, et qu'il conduisait comme par la main, n'étaient venus à notre secours, il eût été impossible de débrouiller ce chaos. On trouve bien chez toutes les nations quelques connaissances des principaux faits de l'histoire primitive du genre humain; mais il manque aux uns des circonstances essentielles, et les autres sont obscurcis par la superstition des peuples et l'imagination des poëtes; au lieu que dans Moyse on voit un ordre si admirable, une suite d'événements tellement dépendants les uns des autres, des détails et des rapports si sensibles, qu'il est impossible de n'en être pas frappé, surtout si on compare le récit de cet historien avec celui des auteurs profanes. Concluons donc qu'on ne peut raisonnablement révoquer en doute les faits qui sont rapportés dans la première partie du Pentateuque, quoique l'auteur n'ait pu en être témoin.

S III. Des objections contre l'autorité du Pentateuque.

184. En prouvant la vérité des faits contenus dans le Pentateuque, nous avons prévenu la plupart des objections. On ne peut

(1) Voyez, sur les traditions des différents peuples relativement aux faits que nous avons indiqués, les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe; la Préparation évangélique d'Eusèbe de Césarée ; la Démonstration évangélique de Huet; l'Histoire univ. de l'Église catholique, par M. l'abbé Rorlbacher, tom. 1, liv. 11; et principalement les notes de Jean le Clerc sur le Traité de la Religion, de Grotius.

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