Page images
PDF
EPUB

ARTICLE III.

Des idiotismes de la langue hébraïque que l'on retrouve dans la Vulgate.

296. Chaque langue a ses idiotismes, c'est-à-dire, certaines manières de parler qui lui sont propres : de là les gallicismes chez les Français, les germanismes chez les Allemands, les hellenismes chez les Grecs, les hébraïsmes chez les Hébreux. Les auteurs sacrés étant juifs ou grecs judaïsants, nous ont transmis les livres saints avec toutes les locutions propres à leur langue. D'un autre côté, presque tous les idiotismes de la langue hébraïque sont passés des textes primitifs dans les versions, et particulièrement dans la Vulgate, que nous avons entre les mains. Il est donc nécessaire, pour bien entendre l'Écriture sainte, de connaître au moins les principaux hébraïsmes.

§ I. Hébraïsmes pour les noms.

297. Le nom, chez les Hébreux, n'ayant que deux genres, le masculin et le féminin, le neutre est remplacé le plus souvent par le féminin; exemples: unam petii pour unum petii, j'ai demandé une chose (1); hæc facta est mihi pour hoc factum est, c'est ce qui m'est arrivé (2).

298. Les noms abstraits se mettent souvent pour les concrets: ego sum resurrectio et vita, je suis la résurrection et la vie, c'està-dire, celui qui ressuscite et donne la vie (3); vos estis gloria nostra et gaudium, vous êtes notre gloire et notre joie ; c'est comme si on disait : vous nous comblez de gloire et de joie (4). Les Psaumes sont remplis de ces sortes d'hébraïsmes.

299. La répétition d'un mème substantif au même cas, avec ou sans la particule et, indique ordinairement, ou l'universalité, comme homo homo pour omnis homo, tout homme (5); ou un certain nombre, comme fossas et fossas pour fossas multas, un grand nombre de fosses (6); homo et homo pour multi homines, un grand nombre d'hommes (7); ou une diversité dans l'espèce, comme pondus et pondus pour diversa pondera, différents

(3) S. Joan. ch. xi, v. 25.- (5) S. Matth. ch. III, v. 11. -.

(1) Psaume XXVI, v. 4. - (2) Ps. cxviii, v. 56. (4) I Epttre aux Thessaloniciens, ch. 11, v. 20. (6) Ezech. ch. XIV, v. 4. — (7) Liv. iv des Rois, ch. v, v. 16.

poids (1); in corde et corde locuti sunt, ils parlent avec un cœur double, c'est-à-dire, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre (2). Cette répétition marque encore la vivacité du sentiment de celui qui parle, surtout quand le substantif est répété jusqu'à trois fois : JéJerusalem, Jerusalem, Jerusalem, quæ occidis prophetas, rusalem, Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes (3); Martha, Martha, sollicita es, Marthe, Marthe, vous vous empressez (4); terra, terra, terra, audi sermonem Dei, terre, terre, terre, écoute la parole du Seigneur (5).

300. Le positif se met souvent pour le comparatif: Bonum est confidere in Domino, quam confidere in homine; il vaut mieux se confier dans le Seigneur que de se confier dans l'homme (6); bonum est tibi debilem intrare in vitam, quam duas manus habentem ire in gehennam; il vaut mieux pour vous d'entrer dans la vie n'ayant qu'une main, que d'en avoir deux et d'aller en enfer (7). Dans l'un et l'autre passage, bonum est pour melius. Le positif se rend aussi quelquefois par le superlatif: Magister, quod est mandatum magnum in lege? Maître, quel est le plus grand commandement de la loi (8)? Magnum est pour maximum, comme on le voit d'ailleurs par la réponse de Notre-Seigneur (9). Divites plebis, les plus riches d'entre le peuple (10); inclyti terræ, les personnes les plus éclatantes de la terre (11).

301. Le comparatif s'exprime quelquefois par une négation: Misericordiam volo, et non sacrificium; non enim veni vocare justos, sed peccatores; j'aime la miséricorde, et non le sacrifice; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs; ce qui signifie : J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice, car je suis venu plutôt pour les pécheurs que pour les justes (12). Dilexi Jacob, Esau autem odio habui, j'ai aimé Jacob, mais j'ai hai Ésau; ce qui veut dire : J'ai beaucoup plus aimé Jacob qu'Ésaü (13).

302. La langue hébraïque n'a pas de superlatif; elle y supplée tantôt par nimis, valde, multum, comme dans ce texte de la Genèse: aquæ prævaluerunt nimis super terram, les eaux s'élevèrent prodigieusement au-dessus de la terre (14); tantôt en employant l'abstrait pour le concret, par exemple, sainteté au lieu le très-saint; tantôt en répétant un substantif au concret et en le

(3) S. Matth. ch. xxiii, (1) Proverb. ch. xx, v. 10.—(2) Psaume cxvII, v. 8. v. 37.—(4) S. Luc, ch. x, v. 41. —(5) Jérém. ch. xxII, v. 9.—(6) Psaume CXVII, (7) S. Matth. ch. xvIII, v. 8.—(8) Ibidem, ch. xxu, v. 36.

V. 8.

v. 38.(10) Psaume XLIV, V. 13.
v. 13. (13) Malach. ch. 1, v. 2 et 3.

(11) Isaïe, ch. xxu.—

(9) It idem, – (12) S. Matth. ch. IL, — (14) Genèse, ch. vIII, v. 19.

mettant la seconde fois au génitif pluriel, comme sanctus sanctorum, le saint des saints, très-saint; cœli cœlorum, cieux des cieux, les cieux les plus élevés; servus servorum, le serviteur des serviteurs, le dernier des serviteurs; tantôt par le nom de Dieu ajouté à un substantif, montes Dei, montagnes de Dieu, c'est-à-dire, montagnes très-élevées. D'autres fois on emploie la préposition in ou inter: benedicta tu inter mulieres, in mulieribus ; vous êtes bénie entre les femmes, vous êtes de toutes les femmes celle qui a reçu le plus de grâces de Dieu (1).

303. Il faut remarquer que l'hébreu n'a pas de cas, comme le grec ou le latin; c'est pourquoi on trouve souvent un cas pour un autre dans les différentes versions de l'Écriture, et en particulier dans la Vulgate. Quant au nombre, le singulier se met assez fréquemment pour le pluriel, et le pluriel pour le singulier; on en juge et par la connexion du discours, et par la nature des choses dont il s'agit.

§ II. Des hébraïsmes qui se rapportent aux verbes.

304. Comme nous l'avons déjà fait remarquer un peu plus haut, le verbe odisse, haïr, se prend quelquefois pour minus diligere, aimer moins; si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem, et filios, et fratres, et sorores, adhuc autem et animam suam, non potest meus esse discipulus; si quelqu'un vient à moi, et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants, et ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple (2); c'est-à-dire, comme l'explique Jésus-Christ lui-même, celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi; qui amat patrem aut matrem plus quam me, non est me dignus (3).

305. Quelquefois certains verbes indiquent une chose comme positive, quoiqu'ils signifient simplement dire, déclarer, publier cette chose, mundabit eum, il le purifiera, au lieu de : il le déclarera pur (4). Polluetur, il sera souillé, c'est-à-dire, sera déclaré impur (5). Justificaverunt Deum, ils justifièrent Dieu, pour dire, ils publièrent que Dieu était juste (6).

306. Quand deux verbes de même temps sont unis ensemble par la conjonction et, le second représente quelquefois l'infinitif,

(1) S. Luc, ch. 1, v. 42. (4) Levit ch. XIII, V. 6. —

(2) Ibidem, ch. xiv, v. 26. (3) Matth. ch. x. — (5) Ibidem, v. 15. — (6) S. Luc, ch. vii, v. 29.

et d'autres fois le premier tient lieu d'un adverbe. Si volueritis et audieritis me, si vous voulez et si vous m'écoutez, c'est-à-dire, si vous voulez m'écouter; si volueritis audire (1): Isaias audet et dicit, Isaïe ose et dit; ce qui signifie qu'Isaïe ose dire, ou mieux encore, qu'il dit hautement. Cet hébraïsme se trouve principalement dans les verbes adjicere, addere, et autres qui ont une signification analogue: adjecit et vocavit, pour rursum vocavit, il appela de nouveau; addidit Dominus ut appareret, pour iterum apparuit, il a apparu une seconde fois.

307. Quand un verbe est répété plusieurs fois, ou qu'il est précédé d'un nom qui a le même sens, l'action qu'il exprime devient plus forte et plus énergique : Desolatione desolata est omnis terra, toute cette terre est désolée par la désolation, c'est-à-dire qu'elle est dans une grande désolation (2); exspectans expectavi, j'ai attendu avec une grande patience (3); desiderio desideravi, j'ai désiré ardemment (4). Quelquefois cette manière de parler n'exprime qu'un pléonasme qui n'ajoute rien à la signification du verbe : auditu audietis et non intelligetis, et videntes videbitis et non videbitis; vous écouterez et vous n'entendrez pas, vous verrez et vous ne verrez pas (5).

308. Le parfait s'emploie assez souvent pour le présent dans les propositions générales, dont la vérité ne dépend d'aucune circonstance de temps: Beatus vir qui non abiit in concilio impiorum, et in via peccatorum non stetit, heureux l'homme qui n'assiste point à l'assemblée des impies, et qui ne s'arrête point dans la voie des pécheurs (6). Abiit, stetit, sont pour abit, stat. Le parfait se met aussi pour le futur, 1o dans les prédictions et les promesses prophétiques, où les choses prédites et promises sont envisagées par l'auteur sacré comme déjà accomplies: Populus, qui ambulabat in tenebris, viḍit lucem magnam, le peuple, qui marchait dans les ténèbres, a vu une grande lumière; c'est comme s'il y avait videbit, il verra (7); 2o quand le parfait se trouve dans une proposition dépendante d'une première, qui réclame le futur pour la seconde emitte lucem tuam et veritatem tuam, ipsa me deduxerunt et adduxerunt; envoyez votre lumière et votre vérité, elles me conduiront et m'introduiront (8). Deduxerunt et adduxerunt sont pour deducent et adducent.

:

(1) Isaïe, ch. I, v. 19.

(2) Jérém ch. xxi, v. 11. (3) Psaume XXXVII, ▼. 1. — (4) S. Luc, ch. xxi, v. 15. (5) S. Matth. ch. xiu, v. 14. — (6) Ps. I, V. 1.—(7) Isaïe, ch. ix, v. 2.

[ocr errors]

- (8) Psaume XLII, V. 3.

309. Les Hébreux emploient quelquefois l'impératif ou l'optatif au lieu du futur. Ainsi, quand Osée dit : pereat Samaria, quoniam ad amaritudinem concitavit Deum suum; in gladio pereant, parvuli eorum elidantur, et fœtæ ejus discindantur; que Samarie périsse.... que ses habitants passent au fil de l'épée, que ses petits soient écrasés, que l'on arrache les entrailles aux femmes enceintes (1); le prophète ne souhaite point ces maux, il ne fait que les annoncer aux Samaritains comme des châtiments de Dieu. C'est dans le même sens qu'il faut entendre plusieurs passages des Psaumes de David.

L'impératif se met aussi quelquefois pour le suppositif: fac hoc, et vives; faites cela, et vous vivrez (2); c'est comme s'il y avait : si vous faites cela, vous vivrez; fac est pour facies.

310. L'infinitif se prend quelquefois, 1° pour le prétérit : peccare, mentiri, pécher, mentir (3), au lieu de peccavimus, mentiti sumus, nous avons péché, nous avons commis le mensonge; 2o pour l'impératif: gaudere cum gaudentibus, flere cum flentibus, se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, pleurer avec ceux qui pleurent (4); c'est-à-dire, réjouissez-vous, pleurez, gaudete, flete.

§ III. Des hébraïsmes dans l'emploi des particules.

311. L'adverbe de lieu ubi se prend quelquefois pour quo, avec mouvement: ubi præcursor pro nobis introivit, où Jésus, comme précurseur, est entré pour nous (5). Cet usage vient de ce qu'en hébreu la particule qui répond à ubi se met indifféremment avec ou sans mouvement.

812. Les adverbes de temps déterminé se prennent quelquefois indéfiniment; heri, par exemple, pour quelque temps passé que ce soit: Jesus Christus heri, hodie, ipse et in sæcula; Jésus-Christ était hier, il est aujourd'hui, et il sera lui-même dans tous les siècles (6). Cras, demain, exprime aussi quelquefois le temps à venir, sans rien déterminer. Quant à l'adverbe statim, cito, continuo, il indique, en certains endroits de l'Écriture, un espace de temps plus ou moins considérable; statim exortum est, la semence leva aussitôt (7), c'est-à-dire, quelque temps après, aussitôt que pos

(1) Osée, ch. XIV, v. 1. — (2) S. Luc, ch. x, v. 28. (3) Isaïe, ch. LIX, V. 13. (4) Epitre aux Romains, ch. xil, v. 15. – (5) Épître aux Hébreux, ch. vi,

7. 20. — (6) Ibidem, ch. x111, v. 8. —(7) S. Marc, ch. iv, v. 5.

V.

« PreviousContinue »