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SECONDE PARTIE.

DE LA TRADITION.

321. La tradition, en général, est la transmission d'un fait ou d'un dogme par la voie du témoignage; mais ici elle se prend pour la parole de Dieu, transmise de vive voix par ceux à qui elle a été révélée, soit qu'elle ait été depuis consignée dans les écrits des auteurs non inspirés qui ont traité de la religion, soit que, sans être écrite nulle part, elle se soit maintenue pendant plusieurs siècles par la croyance et la pratique générale et constante des peuples qui en avaient connaissance. On appelle cette tradition divine, parce qu'elle vient de Dieu, et qu'elle a pour objet des vérités qui sont du ressort de la révélation.

322. A raison des différentes époques et des différents états de la religion, dont l'origine date de la création de l'homme, on distingue la tradition primitive, la tradition mosaïque, et la tradition chrétienne ou évangélique : la première descend d'Adam et des patriarches, la seconde de Moyse, la troisième de JésusChrist, se rapportant toutes les trois à une seule et même religion, dont les dogmes et les institutions se sont développés avec les besoins de l'humanité, suivant l'économie de la sagesse divine.

323. La tradition primitive, dont on trouve des vestiges chez tous les peuples (1), comprend les vérités dont la connaissance est venue à nos premiers parents de la révélation de Dieu, comme les dogmes de la création du monde et de la création de l'homme, les principaux actes du culte divin, la chute mystérieuse du genre humain, l'existence d'une autre vie, l'immortalité de l'àme, la promesse d'un rédempteur; ainsi que les moyens pour les adultes et les enfants de se réconcilier avec Dieu, en vertu des mérites futurs du libérateur promis.

324. La tradition mosaïque regarde la loi promulguée par le

(1) Voyez ci-dessous le Traité de la Religion, mo partie.

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législateur des Hébreux. Moyse n'avait pas tout écrit; aussi, se voyant près de mourir, il dit aux Juifs : « Souvenez-vous des « anciens temps, considérez toutes les générations, interrogez vos pères, et ils vous instruiront; vos aïeux, et ils vous diront ce qui « est vrai (1). » Il ne leur dit pas : Lisez mes livres, consultez l'histoire des premiers âges du monde, que je vous laisse par écrit. Ils devaient sans doute les lire; mais, sans le secours de la tradition de leurs pères, ils n'auraient pu les entendre parfaitement. D'ailleurs, Moyse ne s'était pas contenté de rapporter dans le Pentateuque les prodiges que Dieu avait opérés en faveur de son peuple; il en avait établi des monuments, des rites commémoratifs, pour en rappeler le souvenir; et il avait ordonné aux Hébreux d'en expliquer le sens à leurs enfants, afin de les leur graver dans la mémoire (2). Pourquoi ces précautions, si la lecture des livres de Moyse eût suffi pour l'instruction du peuple sans les enseignements de la tradition? Enfin, Moyse est moins exprès sur les dogmes du péché originel et de l'existence d'une autre vie que plusieurs écrivains sacrés qui ne sont venus que longtemps après lui, moins exprès que certains auteurs palens; or, d'où vient cette réserve qui tient presque du silence, sinon parce qu'il savait que la tradition touchant ces dogmes, tradition primitive et générale, était assez vive et assez forte parmi le peuple juif pour se soutenir elle-même, sans qu'il fut besoin de la consigner par écrit ?

325. Mais il s'agit ici principalement de la tradition chrétienne ou évangélique, fondée sur la parole de Jésus-Christ; tradition que l'on distingue de la tradition purement ecclésiastique, c'est-àdire, de la tradition qui ne comprend que ce qui a rapport à la discipline ou aux institutions établies par l'Église, dont quelquesunes remontent jusqu'aux apôtres. On donne assez souvent, il est vrai, le nom de traditions apostoliques aux traditions divines et à certaines traditions ecclésiastiques aux premières, parce qu'elles nous ont été transmises par l'enseignement des apôtres; aux dernières, parce qu'elles ont pour auteurs les apôtres, qui, en leur qualité de pasteurs, ont eux-mêmes réglé plusieurs points de discipline concernant le culte, la célébration des saints mystères et l'édification des fidèles. Mais il est facile de discerner les traditions ecclésiastiques, dites apostoliques, des traditions apos

(1) Memento dierum antiquorum ; cogita generationes singulas; interroga patrem, et annuntiabit tibi; et majores tuos, et dicent tibi. Deuteron. cap. xxxп, v. 7. (2) Ibidem, c. vi, v. 20.

toliques qui sont vraiment divines : dans celles-ci, il s'agit du dogme ou de la morale; dans celles-là, il ne s'agit au contraire que de la discipline, qui varie ou se modifie suivant les temps et les lieux, quoique l'esprit de l'Église, d'où elle émane, étant l'esprit de l'Évangile, ne varie point. Pour éviter toute équivoque, nous prévenons le lecteur qu'en parlant de la nécessité de la tradition, nous ne parlons que de la tradition divine, ou tradition apostolique. Et par cette tradition nous entendons la parole de Dieu non écrite dans les livres saints, mais que les apôtres ont reçue de la bouche de Jésus-Christ, ou qui leur a été dictée par le Saint-Esprit; parole sacrée qu'ils ont transmise de vive voix à leurs disciples et à leurs successeurs, et qui est venue jusqu'à nous par l'enseignement perpétuel de l'Eglise universelle, par la voix uniforme et constante de ses pasteurs, par les écrits de ses docteurs, les décisions de ses conciles, la pratique générale et publique des fidèles, par les prières et les cérémonies de la liturgie, qui est aussi ancienne que le christianisme.

326. La tradition nous instruit, et des vérités en petit nombre dont il n'est pas parlé dans les livres saints, et des vérités que les auteurs sacrés ont insinuées, sans donner les développements ou les explications nécessaires pour les faire connaître suffisamment. De plus, elle fixe le vrai sens des écritures sur tous les points, et nous fournit des armes pour les défendre elles-mêmes contre ceux qui en attaquent l'autorité, ou qui cherchent, en les dénaturant, à les rendre favorables à leurs erreurs par des interprétations arbitraires. Aussi les protestants, sentant tous les avantages que les catholiques tirent de la tradition contre les novateurs, l'ont-ils rejetée, généralement, comme inutile, prétendant que l'Ecriture sainte est la seule règle de foi, et qu'il suffit aux chrétiens de la lire pour savoir toutes les choses nécessaires au salut. Nous avons donc à établir le dogme catholique, en prouvant qu'on doit admettre la tradition; après quoi, nous en indiquerons les sources. Nous terminerons cette seconde partie par un chapitre sur la discipline du secret qui s'observait dans la primitive Église, touchant les principaux mystères de la religion chrétienne.

CHAPITRE PREMIER.

Nécessité de la tradition.

327. Le concile de Trente, représentant l'Église universelle, met sur le même rang les saintes Écritures et les traditions apostoliques; il reçoit avec les mêmes sentiments de respect et de vénération les livres sacrés et les traditions non écrites touchant la foi et les mœurs, comme ayant été reçues par les apôtres de la bouche de Jésus-Christ même, ou comme ayant été laissées par ces mêmes apôtres, à qui l'Esprit-Saint les a dictées, et étant parvenues jusqu'à nous de main en main par la succession non interrompue de l'enseignement de l'Église catholique; puis il déclare anathème quiconque a la témérité de rejeter ces traditions : « si « quis..... traditiones prædictas sciens et prudens contempserit, « anathema sit (1). » Cette décision du concile de Trente n'est point une innovation; elle est fondée sur l'Écriture, sur le témoignage des Pères et des docteurs de tous les temps, sur la croyance générale et constante de l'Église universelle, sur l'aveu même des auteurs les plus graves parmi les protestants.

328. Saint Paul, écrivant aux Thessaloniciens, leur dit : « De« meurez fermes, mes frères, et gardez les traditions que vous « avez apprises, soit par nos paroles, soit par notre lettre (2). » On voit que l'apôtre veut qu'on tienne également à ce qu'il a enseigné, soit de vive voix, soit par écrit. «Je vous loue, mes frères, disait-il "aux Corinthiens, de ce que vous gardez mes préceptes, tels que

(1) Perspiciens hanc veritatem et disciplinam (quam promulgavit JesusChristus), contineri in libris scriptis, et sine scripto traditionibus, quæ ipsius Christi ore ab apostolis acceptæ, aut ab ipsis apostolis, Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditæ, ad nos usque pervenerunt, sacro-sancta synodus orthodoxorum Patrum exempla secuta, omnes libros tam Veteris quam Novi Testamenti, cum utriusque unus Deus sit auctor, necnon traditiones ipsas, cum ad fidem, tum ad mores pertinentes, tanquam vel ore tenus a Christo, vel a Spiritu Sancto dictatas et continua successione in Ecclesia catholica conservatas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur.... Si quis autem libros integros cum omnibus suis partibus.... pro sacris et canonicis non susceperit, et traditiones prædictas sciens et prudens contempserit, anathema sit. Sess. IV. Decret. De canonicis Scripturis. (2) Itaque, fratres, state et tenete tradi. tiones quas didicistis, sive per sermonem, sive per epistolam nostram. Epist. 11, ad Thessalonicenses, c. 11, v. 14.

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je vous les ai laissés par la tradition: Laudo vos, fratres, quod... « sicut tradidi vobis, præcepta mea tenetis (1). » Le texte grec porte traditions au lieu de préceptes. Le même apôtre : « O Timo«thée, gardez le dépôt qui vous a été confié. Proposez-vous pour « modèle les saines instructions que vous avez entendues de ma bouche, touchant la foi et la charité qui est en Jésus-Christ (2). « Gardez ce que vous avez appris de moi devant plusieurs témoins, « et confiez-le à des hommes fidèles qui seront capables d'en ins« truire d'autres (3). » On ne peut douter que Timothée n'ait suivi cet ordre, et que les hommes fidèles et capables instruits par lui n'en aient instruit d'autres à leur tour; de sorte que, de main en main, de siècle en siècle, le dépôt soit parvenu jusqu'à nous. Et c'est ainsi qu'on l'a toujours compris dans l'Église dès les premiers siècles du christianisme. En effet, les anciens Pères, que nous ne citons ici que comme témoins de la croyance de leur temps, s'expriment sur ce point de la manière la plus expresse.

329. Saint Denis l'Aréopagite, mort en 95, ou l'auteur moins ancien des ouvrages qui portent son nom, dit que les chefs de la hiérarchie, qui étaient remplis des dons de Dieu, nous ont transmis, partie par écrit, partie de vive voix, les principaux mystères de la religion, qua scriptis, qua non scriptis institutionibus tradiderunt (4).

330. Saint Ignace, disciple de saint Pierre et évêque d'Antioche en 68, exhortait les fidèles, dans les différentes villes où il passait, à se prémunir contre les erreurs qui commençaient à se répandre, et à tenir fortement aux traditions des apôtres : Hortatus est ut apostolorum traditionibus tenaciter inhærerent (5).

331. Saint Polycarpe, disciple de saint Jean l'Évangéliste, et évêque de Smyrne en 96, dit, dans sa lettre aux Philippiens, que l'on doit renoncer à la vanité et aux fausses doctrines des novateurs, et tenir à ce qui a été transmis dès le commencement par la tradition : ad traditum nobis ab initio sermonem revertamur (6).

(1) Epist. 1. ad Corinth. c. xi, v. 2. (2) O Timothee, depositum custodi, devitans profanas vocum novitates, et oppositiones falsi nominis scientiæ. Epist. 1. ad Timoth. c. 6, v. 20. —(3) Quæ audisti a me per multos testes, hæc commenda fidelibus hominibus, qui idonei erunt et alios docere. Ibidem, c. 1, v. 2. — (4) De Hierarchia ecclesiastica, cap. 1, édit. de Balthasar Cordier. (5) Eusèbe, Hist. Eccles., lib. ш, cap. xxxvi, édit. de Henri de Valois. (6) Epist. ad Philippenses, parmi les Pères apostoliques, édit. de Cotelier.

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