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Les païens ignoraient donc ce qui se passait dans les assemblées des chrétiens, et cette ignorance suppose évidemment que les fidèles observaient exactement la loi du secret. Dans le livre qu'il adresse à sa femme, il parle aussi du secret comme d'une chose à laquelle les chrétiens se croyaient obligés, puisqu'il s'en sert pour la détourner d'épouser en secondes noces un infidèle. « Par là, dit-il, « on tomberait en cette faute, que les païens viendraient à connaître << nos mystères.... Votre mari ne saurait-il pas ce que vous goûteriez << en secret avant toute nourriture? et s'il s'apercevait que c'est du pain, ne s'imaginerait-il pas que c'est celui dont il est tant « parlé (1)? »

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Dans un autre endroit, il reproche à certains hérétiques de jeter les choses saintes aux chiens, et les perles aux pourceaux, en se réunissant et en priant avec les catéchumènes, et même avec les païens qu'ils admettaient dans leurs assemblées (2).

409. Il est remarquable que Tertullien, Archélaüs, Origène et saint Cyprien, s'accordent avec l'auteur des Constitutions apostoliques, avec les Pères du concile d'Alexandrie, que nous avons cités un peu plus haut, avec saint Basile, saint Cyrille de Jérusalem, saint Cyrille d'Alexandrie et Théodoret, à motiver la discipline du secret sur les paroles de Notre-Seigneur, Nolite sanctum dare canibus; preuve sans réplique que tous ces auteurs la regardaient comme conforme à l'esprit de l'Évangile, comme une institution apostolique. D'ailleurs cette discipline était déjà du temps de Tertullien une loi commune, une loi reçue partout où il y avait des chrétiens; elle venait donc des apôtres. Et si cela n'était, comm.ent prouver qu'elle a pu devenir universelle en si peu de temps, sans pouvoir indiquer aucun concile œcuménique, aucune constitution du vicaire de Jésus-Christ qui l'eût prescrite pour toute l'Église ? Si vous ne la faites remonter jusqu'au berceau du christianisme, comment la justifierez-vous, sans rendre ridicules et ceux qui l'auraient conçue, et ceux qui l'auraient observée? N'eût-il pas été absurde de décréter le secret des mystères à l'égard des infidèles, après que ces mystères eussent été connus des Juifs, des Samaritains et des Gentils? Enfin, tout homme de bonne foi reconnaîtra que la discipline du secret était en vigueur dès le troisième et la fin du second siècle; ce qui nous suffit pour rendre raison de la réserve avec laquelle les Pères des premiers siècles ont parlé des principaux mystères de la religion.

(1) Lib. u, ad Uxorem, n° v. - (2) De Præscriptionibus, cap. xII.

410. D'après ce qui vient d'être dit, il est facile de concevoir développement de l'enseignement catholique, qui, suivant le mouvement de l'Orient d'en haut, se manifeste progressivement avec plus d'éclat à mesure qu'il dissipe les ténèbres de l'idolâtrie, tout en demeurant immuable comme la vérité, sans jamais rien changer en ce qui tient à la foi, sans retrancher un iota de la loi, sans ajouter aucun dogme aux traditions évangéliques et apostoliques. La discipline du secret une fois admise pour les premiers siècles, on comprendra que, pour juger de la croyance de l'Eglise primitive, il faut connaître non-seulement les écrits des anciens Pères, mais encore et principalement ses pratiques, ses usages et sa liturgie, qui sont de vrais interprètes, les interprètes vivants de l'Écriture et de la tradition. Devant une pratique générale, constante et perpétuelle de l'Église universelle, sur quelque point que ce soit, tombent d'elles-mêmes toutes les difficultés des novateurs, soit qu'ils nous opposent le silence des livres saints, soit qu'ils nous objectent certaines expressions équivoques qu'on rencontre de temps en temps dans les ouvrages des Pères, soit qu'ils allèguent l'incompréhensibilité d'un mystère qui est l'objet de notre foi. Toute croyance catholique, dont on ne peut expliquer l'origine qu'en remontant aux apôtres, a pour elle une prescription de dix-huit siècles, contre laquelle ne peuvent rien, ni les chicanes des libertins, ni les sophismes des hérétiques.

Après avoir établi, comme fondements de la révélation l'autorité des livres sacrés contre les incrédules, celle de la tradition divine contre les hérétiques, il nous reste à prouver contre les premiers la divinité de la religion chrétienne, et contre les seconds la divinité de la religion catholique; en d'autres termes, que la religion de Jésus-Christ est divine, et que l'Église catholique est la véritable Église de Jésus-Christ. C'est ce que nous montrerons dans les deux traités suivants.

DE LA RELIGION.

411. Nous avons à exposer, dans ce traité, les preuves de la divinité de la religion contre les déistes et les rationalistes, qui prétendent, les uns, que la religion n'est qu'une invention des hommes; les autres, qu'il n'y a pas d'autre religion que la religion naturelle, et qu'on doit rejeter comme inutile et comme fausse la révélation de toute vérité qu'on ne peut démontrer philosophiquement par les lumières de la raison. Pour procéder avec ordre, nous parlerons, 1o de la religion en général; 2o de la révélation en général; 3° de la révélation primitive; 4° de la révélation mosaïque ; 5o de la révélation évangélique. Ces différentes révélations se rapportent toutes trois à la religion chrétienne.

PREMIÈRE PARTIE

DE LA RELIGION EN GÉNÉRAL.

CHAPITRE PREMIER.

Notion de la religion.

412. Le mot religion vient de religare, relier; ou de relegere, relire; ou de reeligere, élire, choisir de nouveau; parce que la religion nous attache et nous unit étroitement à Dieu (1); ou parce qu'elle nous rappelle que nous devons nous occuper souvent des

(1) Vinculo pietatis obstricti Deo et religati sumus: unde ipsa religio nomen accepit. Lactance, Divin. instit., lib. iv.

choses de Dieu; ou parce qu'en pratiquant la religion, nous choisissons Dieu de nouveau, comme étant le souverain bien que nous avions perdu par le péché (1). Quelle que soit l'étymologie de ce mot, on entend par religion le culte de Dieu, qui en est le principal objet; la raison des devoirs que nous avons à remplir envers Dieu. On l'appelle aussi la société de l'homme avec Dieu. Les livres saints se servent du mot de pacte, d'alliance, fœdus, pactum, pour désigner la religion sous l'Ancien et le Nouveau Testament. 413. Mais, pour donner une notion plus étendue de la religion en général, nous ajouterons que la religion est « une institution divine, naturelle et positive, qui nous oblige, sous la sanction des peines et des récompenses, d'honorer Dieu par la foi, l'espérance « et l'amour, par l'adoration, l'esprit de sacrifice, la reconnais«sance, la prière, et l'observation de ses lois.

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La religion est une institution divine; elle a Dieu pour auteur; une religion qui serait l'ouvrage des hommes, une fois reconnue pour telle, tomberait avec l'imposture qui lui aurait donné le jour. C'est une institution naturelle, c'est-à-dire, fondée sur les rapports naturels, essentiels et nécessaires de la créature au créateur; rapports de dépendance dans l'homme vis-à-vis de Dieu, et d'indépendance dans Dieu vis-à-vis de l'homme. Comme créature, l'homme dépend nécessairement et tout entier de Dieu; et Dieu, qui est l'être des ètres, ne dépend ni ne peut dépendre d'aucun autre; il se suffit à lui-même en tout et pour tout : l'homme est donc le subordonné de Dieu. D'ailleurs, comme créature raisonnable, il est capable de connaître la vérité et d'aimer le bien, dont la jouissance peut le rendre heureux. Il doit donc tendre vers Dieu, qui, étant la vérité même, peut seul remplir le vide de son intelligence, comme lui seul peut, parce qu'il est le souverain bien, rassasier les désirs de son cœur, qui n'est satisfait que par la possession de l'infini : Fecisti nos ad te, Domine; et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te.

414. La religion n'est pas seulement naturelle, elle est en même temps une institution positive. Quoique le culte que nous rendons à Dieu lui soit naturellement dû, il était nécessaire que Dieu en déterminât lui-même les principaux actes, et fit connaître à l'homme la manière dont il devait être honoré. La religion nous oblige sous la sanction des peines et des récompenses : sans cette sanction, elle serait impuissante; ce ne serait plus une loi,

(1) Voyez saint Thomas, Sum. part. 2, 2, quæst. 81, art. 1.

mals une simple manifestation d'une volonté stérile de la part de Dieu.

415. Elle nous oblige d'honorer Dieu par la foi, l'espérance, l'amour, l'adoration, l'esprit de sacrifice, la reconnaissance, la prière, et l'observation de ses lois. Nous bonorons Dieu par la foi; en croyant à sa parole, nous reconnaissons qu'il est la vérité même, qu'il ne peut ni se tromper, ni tromper les hommes. Nous l'honorons par l'espérance; nous espérons en lui, parce qu'il est toutpuissant et infiniment bon. Nous l'honorons par l'amour; nous l'aimons, parce qu'il est tout ensemble souverainement bon et souverainement parfait. Nous l'honorons par l'adoration; en nous prosternant à ses pieds, nous confessons que lui seul est grand, qu'à lui seul est dû honneur et gloire, soli Deo honor et gloria. Nous l'honorons par l'esprit de sacrifice; en offrant à Dieu ce qui est à notre usage, en nous offrant nous-mêmes, nous rendons témoignage au haut domaine qu'il a sur nous et sur toutes les créatures. Nous l'honorons par la reconnaissance; par nos actions de graces, nous reconnaissons que Dieu est l'auteur de tout don, la source de tout bien dans l'ordre temporel comme dans l'ordre spirituel. Nous l'honorons par la prière; en l'invoquant, nous témoignons que tout dépend de Dieu, que nous en dépendons nousmêmes. Nous l'honorons enfin par l'observation de ses lois; en lui obéissant, nous professons qu'il est notre maître, le législateur suprême, le souverain arbitre de toutes choses.

416. On distingue dans la religion deux sortes d'actes les uns qu'elle commande elle-même, comme l'adoration, le sacrifice, la prière, et généralement tous les actes qui se rapportent directement au culte de Dieu; les autres, qu'elle ne commande point, mais qu'elle dirige vers Dieu comme étant la fin dernière de toutes nos actions, même de celles qui, de leur nature, n'ont aucun rapport avec la religion (1): telles sont les actions dont parle saint Paul, lorsqu'il dit : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez toute autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu; sive manducatis, sive bibitis, sive aliud quid facitis, « omnia in gloriam Dei facite (2). » Ainsi, la religion nous prescrit et de rendre au Créateur le culte qui lui est dù, et de sanctifier nos actions en les rapportant à Dieu d'une manière au moins implicite, sans excepter celles qui passent en morale pour être matériellement

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(1) Saint Thomas, Sum. part. 2, 2, quæst. 81. art. 1. — (2) Epist. 1 ad Corinthios, c. x, v. 31.

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