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au contraire, on met de côté le culte public, si la religion se réduit à des hommages purement intérieurs ou privés, bientôt on verra la piété languir, et, s'affaiblissant insensiblement, elle finira par s'éteindre entièrement, ne laissant à la société que la force matérielle pour sanction de ses institutions et de ses lois. Le culte extérieur, il est vrai, n'est que le corps de la religion; mais il est conjointement avec elle l'âme de toute société politique. Faites cesser le culte dans la famille, le fils n'aura bientôt plus de respect pour le père qu'autant que le père pourra travailler encore à augmenter son patrimoine; supprimez les assemblées religieuses, les hommes n'auront plus guère de rapports entre eux qu'au théâtre, qu'à la bourse, que dans les clubs ou dans les lieux de débauche; fermez vos temples et vos oratoires, vous serez obligés d'en faire des prisons ou des maisons de santé; chassez la religion de vos rues et de vos places publiques, elle y sera remplacée par l'émeute.

Concluons: il est nécessaire que le culte de Dieu soit intérieur, extérieur et public, étant tout à la fois fondé sur les rapports de l'homme avec Dieu, de l'âme avec le corps, du citoyen avec la société (1).

463. On a fait des difficultés contre la prière, qui est une des parties essentielles du culte religieux. A quoi bon la prière, dit l'incrédule? Dieu ne sait-il pas ce qu'il nous faut? D'ailleurs comment peut-il nous exaucer sans changer le cours de la nature, lorsque nous lui demandons quelque chose dans l'ordre temporel? Ces difficultés ne peuvent être faites que par ceux qui méconnaissent la Providence et n'ont aucune idée de la religion. Si nous exposons nos besoins à Dieu dans la prière, ce n'est certainement point pour lui faire connaître ce qu'il ignore, mais bien pour implorer son assistance comme suppliants; ce n'est point pour lui faire connaître ce qu'il nous faut, mais pour lui témoigner notre dépendance, notre soumission, notre confiance, et reconnaître ainsi son souverain domaine sur nous comme sur les autres créatures. Dira-t-on qu'un enfant fait injure à son père, parce qu'il lui demande une grâce en lui exposant des besoins que celui-ci connaît; ou que le père manque à son enfant, en exigeant que cet enfant lui demande ce qu'il désire? Est-il donc contre l'ordre que Dieu, qui est le maître de ses dons comme il l'est de ses actions, ait laissé l'homme, en le créant, dans la nécessité de recourir à lui par la prière, en s'engageant par là même à nous accorder, sur notre demande, les

(1) Voyez ce que dit Fénelon dans sa première lettre sur la religion.

secours qui nous sont nécessaires pour accomplir ses desseins et nos destinées? Non, l'homme n'a pas le droit de se plaindre d'être dépendant du Créateur, ni de la nécessité de reconnaître sa dépendance, à moins qu'il ne se plaigne d'avoir été tiré du néant. Cet état de dépendance où Dieu nous tient par la nécessité de la prière nous rappelle notre faiblesse, nous entretient dans la dé-fiance de nous-mêmes, et devient pour nous le motif le plus puissant de recourir à lui, comme à celui qui seul peut satisfaire les besoins de notre intelligence et de notre cœur. Aussi la prière, l'invocation du nom de Dieu a-t-elle toujours été en usage chez tous les peuples.

464. Quand nous demandons quelque chose à Dieu dans l'ordre temporel, il peut certainement nous exaucer sans changer le cours de la nature ce n'est que dans certaines circonstances extraordinaires qu'il déroge, pour des cas particuliers, aux lois du monde physique; ce qu'il fait sans bouleverser l'ordre général. En effet, parmi les grâces temporelles que nous demandons à Dieu, nous en distinguons de deux sortes : les unes qui dépendent immédiatement de la volonté des hommes, comme la paix des États, la cessation des guerres qui affligent le pays, du despotisme des princes qui oppriment les peuples, des calomnies et des malversations qui troublent le repos des familles et des particuliers; comme aussi la guérison de certaines maladies qui peuvent devenir mortelles par la négligence, l'incurie, l'inadvertance des médecins, ou l'imprudence des malades; les autres qui dépendent immédiatement de Dieu, comme d'être préservé de l'intempérie des saisons, des pluies trop abondantes, d'une sécheresse excessive, des orages et de la grèle, ou d'autres calamités publiques, auxquelles ni la science ni la prudence des hommes ne peuvent nous soustraire.

465. Or, pour comprendre comment le Tout-Puissant peut nous accorder les grâces du premier genre, il suffit de savoir que le cœur des rois, des princes, de tous les hommes, est entre les mains de Dieu, et qu'il l'incline où il veut: Cor regis in manu Domini, et quocumque voluerit inclinabit illud (1). Quiconque a quelque notion de Dieu conçoit que nous et nos pensées, et notre sagesse, et la science de nos œuvres, sont dans la main du Créateur, et qu'il en dispose à volonté sans porter atteinte à la liberté de l'homme: In manu illius, et nos, et sermones nostri, et omnis sapientia, et operum scientia et disciplina (2). Que de fois les hommes exé

(1) Proverbes, c. xxi, v. 1.

(2) Sagesse, c. vii, v. 16.

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cutent les desseins de Dieu sans le savoir! que de fois ils sont étonnés de leurs propres succès!

466. Dieu peut également nous exaucer, suivant le cours ordinaire des choses, lorsque nous demandons des grâces temporelles qui ne peuvent venir que de lui seul. Maître souverain du monde, il embrasse tous les êtres dans les soins de sa providence, disposant à son gré de toutes les causes secondes, de tous les ressorts secrets de la nature; il les fait servir, d'une manière admirable, à remplir l'objet de nos vœux. Il est consolant de penser que Dieu, en faisant tout pour l'homme en même temps qu'il a tout fait pour sa gloire, a subordonné le monde physique au monde moral, de manière à faire dépendre ses faveurs même temporelles de notre fidélité à les lui demander, et de la conformité de notre conduite à ses ordonnances. C'est d'après cet ordre merveilleux, qui s'étend à tout, qui comprend tout, le ciel et la terre, que les éléments, dociles à la voix du Créateur, deviennent comme l'instrument dont il se sert ici-bas pour récompenser les vertus et punir les crimes des peuples; car il n'y a pas d'autre vie que celle-ci pour les nations. « Oui, du sein de l'éternité, Dieu a tout prévu et tout disposé. Nous n'étions pas en« core, que Dieu nous voyait dans sa science infinie; nos supplica«tions étaient déjà devant son trône; et lorsque dans le temps il « les exauce, lorsqu'il fait concourir avec elles certains événements, il ne fait que développer l'ordre de ses desseins éternels, et nous ne «< faisons que remplir la condition à laquelle il avait attaché ses « dons. Avec des subtilités, il n'y a rien qu'on ne puisse obscurcir, mais heureusement l'auteur de la nature a mis en nous un je ne « sais quoi de plus fort que les sophismes, qui tient le genre humain inviolablement attaché à certaines vérités nécessaires à son bon« heur. Oui, toujours, malgré les faux sages et leurs livres, la na« ture ne cessera de parler à l'homme un langage que l'homme entendra; toujours le sentiment de la Divinité gravé dans les âmes <«< les entraînera à l'adorer, à le craindre, à l'aimer, à l'invoquer; toujours on verra les familles éplorées autour d'un père qu'elles « tremblent de perdre, demander sa conservation à celui qui est le « maître de la vie et de la mort; toujours on verra les habitants des campagnes supplier le ciel de féconder leurs sillons, et d'écarter l'orage des fruits de leurs travaux; toujours des amis feront des « vœux pour des amis absents (1). » Et quel est l'homme, quel est

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(1) M. Frayssinous, Défense du christianisme, conf. sur le culte en gé néral.

l'impie qui, dans le péril, ne lève les mains au ciel en s'écriant: 0 Dieu! ô mon Dieu ? Témoignage instinctif que Tertullien appelle le témoignage d'une âme naturellement chrétienne, testimonium animæ naturaliter christianæ (1).

CHAPITRE IV.

De l'indifférence en matière de religion.

467. Ici se présentent deux questions: la première, si on peut raisonnablement être indifférent au point de ne vouloir pas examiner s'il existe une religion divine; la seconde, si, en admettant une religion quelconque, on est dispensé d'examiner si elle est divine ou non. L'homme est-il intéressé à savoir s'il doit admettre et professer une religion? Et, dans le cas qu'il reconnaisse la nécessité d'admettre une religion, peut-il choisir indifféremment et sans examen, parmi les religions qui règnent dans le monde, celle qui lui plait davantage, ou qui est la plus conforme à ses goûts?

ARTICLE Ier.

Celui qui ne croit pas à la divinité d'une religion peut-il raisonnablement se dispenser d'examiner s'il y a une religion divine?

468. Il est malheureusement un grand nombre de chrétiens qui, étant séduits par les plaisirs, distraits par les affaires, ou subjugués par le respect humain, s'abandonnent au torrent du siècle, éloignent autant que possible la pensée des vérités qui les importunent, et vivent à peu près comme s'ils ne croyaient pas, quoiqu'ils tiennent véritablement à la religion, ainsi qu'ils en font l'aveu, du moins lorsqu'ils peuvent le faire sans qu'il leur en coûte, Ces hommes n'ont pas besoin d'être convaincus, puisqu'ils ne révoquent point en doute les dogmes de la foi; leur indifférence, quoique criminelle, n'est qu'apparente; elle ne se montre que dans la pratique. Nous devons être effrayés sur le sort qui les attend, à moins que Dieu, dans sa miséricorde, ne les touche et ne les arrête au bord du précipice. Mais il ne s'agit dans cet article que de ceux

(1) Apologétique, n° xvn.

qui, philosophes ou non, rejettent toutes les religions sur un simple doute, sans chercher en aucune manière à les connaître, sans examiner s'il en est une qui soit véritable et divine; comme si la suprême sagesse pour l'homme consistait à ne point s'inquiéter de l'avenir, à végéter dans une insouciance qui tient de l'abrutissement, à ignorer ce qu'il est, d'où il vient, où il va; ou comme s'il lui était égal, en toute hypothèse, d'avoir pour héritage éternel le paradis ou l'enfer.

469. Or, cette indifférence absolue, ce défaut de prévoyance sur tout ce qui intéresse nos destinées, cette sécurité stupide avec laquelle on marche vers un avenir inconnu, n'est pas moins dangereuse pour l'homme qu'injurieuse à Dieu; cet aveuglement, quelque inconcevable qu'il soit, ne pourra jamais servir d'excuse, si ce n'est dans ceux qui sont véritablement atteints d'une aliénation mentale. Certes, dans l'ordre moral, une erreur, un système, une manière d'agir quelconque ne devient point excusable en devenant absurde. Quoi il est démontré que la religion est nécessaire à l'homme et à la société; le genre humain nous atteste l'existence d'un Dieu vengeur du crime et rémunérateur de la vertu ; il reconnaît une loi qu'on ne saurait violer impunément; et, au mépris de l'autorité de tous les peuples et de tous les temps, on ose, sur un misérable peut-être, aventurer ses destinées éternelles, absolument comme si on n'avait rien à craindre, et que l'on fût convaincu jusqu'à l'évidence, ou que Dieu n'existât point, ou qu'il fût lui-même indifférent en matière de religion, ou que l'homme, en mourant, mourût tout entier, ou qu'il ne se survécût à lui-même que pour être plus heureux après cette vie qu'il ne l'est ici-bas! Que penseriez-vous de celui qui, pour la première fois et sans en avoir fait l'expérience, se déciderait, sans nécessité aucune, d'après une simple possibilité ou un peut-être qui n'est que l'effet de son ignorance, à traverser sur une frêle embarcation une mer parsemée d'écueils et féconde en naufrages? Cet homme, direz-vous, serait un téméraire, un extravagant, un insensé. Mais celui-là est-il moins insensé, moins extravagant, moins téméraire, qui, croupissant dans l'oubli de toute religion, expose non pas une vie fugitive et traversée de tribulations, mais une vie sans bornes, éternelle, au risque d'être malheureux éternellement ?

470. Que peut dire, après tout, l'indifférent? Comment raisonnera-t-il, si on obtient enfin qu'il s'explique? Il ne pourra jamais tenir que le langage suivant: Il est possible, selon moi, que la religion ne soit qu'une institution humaine; il est possible, selon moi,

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