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DEUXIÈME PARTIE.

DE LA RÉVÉLATION EN GÉNÉRAL

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488. Le dogme fondamental de la religion chrétienne, c'est que Dieu a parlé aux hommes par le ministère d'Adam, des patriarches, de Moïse, des prophètes, et par Jésus-Christ. « Dieu, qui au⚫trefois parlait à nos pères par les prophètes en diverses occasions et en différentes manières, nous a parlé en ces derniers temps par son Fils (1). » C'est un fait consigné dans les livres saints et attesté par la croyance de tous les temps, que Dieu a révélé luimême tout ce qui a rapport à la religion : il est même prouvé que les dogmes de la révélation primitive se trouvent, quoique altérés, dans les traditions de tous les peuples qui ont été plus ou moins de temps plongés dans les superstitions de l'idolâtrie. Cependant, ceux des philosophes du dix-huitième siècle qu'on appelle déistes rejettent toute révélation, n'admettant en matière de religion que ce que la raison de l'homme peut connaitre et comprendre par ellemême; et les rationalistes de nos jours, tout en affectant le plus grand respect pour la révélation, ne la font consister que dans le développement naturel de la raison humaine, et ils ne voient dans lès mystères, les sacrements et les symboles du christianisme, que des mythes, qui, ayant fait leur temps, doivent disparaître par le progrès de la philosophie. Il est donc important d'examiner ici, 1o ce qu'on entend par révélation; 2o si Dieu a pu nous révéler des mystères ou des vérités que l'homme ne peut ni connaître ni comprendre par les seules lumières de la raison; 3° si la révélation était nécessaire à l'homme; 4o enfin, quels sont les caractères ou les marques de la révélation divine.

(1) Multifariam multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis : novissime, diebus istis locutus est nobis in Filio. Epist. ad Hebræos, cap. 1,

v. 1.

CHAPITRE PREMIER.

Notion de la révélation divine.

489. Le verbe révéler, revelare, signifie dévoiler, éloigner le voile qui nous empêche de voir une chose. Ici, par révélation, on entend la manifestation extérieure et surnaturelle, faite par Dieu lui-même, de quelque vérité qui a rapport à la religion, soit que nous puissions, soit que nous ne puissions nullement connaître cette vérité par les seules lumières de la raison. Dans le premier cas, la révélation fixe notre intelligence et la prémunit contre l'erreur; dans le second, elle nous éclaire et nous initie aux secrets de Dieu, en même temps qu'elle nous impose le sacrifice de notre intelligence et de notre volonté par la foi, dont la récompense doit être un jour la vision intuitive de la vérité infinie et la possession immédiate du souverain bien. Ainsi, par religion révélée on doit entendre, comme on l'a toujours entendu dans le monde chrétien, la religion dont Dieu nous a fait connaître lui-même les dogmes que nous devons croire et les obligations que nous avons à remplir, en nous les manifestant d'une manière surnaturelle, extérieure, expresse et positive, par le ministère de ses envoyés. Cette notion est conforme à l'enseignement des livres saints, des Pères et des docteurs de l'Église, de l'Eglise elle-même. Le philosophe qui n'admet pas d'autre révélation que celle qui se fait par le développement naturel de notre intelligence, ne peut donc se dire ni catholique ni chrétien, sans abuser des termes de la manière la plus étrange.

490. La révélation surnaturelle s'est faite aux hommes par le moyen de l'inspiration. L'inspiration est une connaissance infuse dans l'âme de l'homme, en vertu d'un acte immédiat de la part de Dieu, et extrinsèque aux lois naturelles qui gouvernent nos facultés. L'intuition rationnelle a aussi, si on veut, quelque chose de divin; mais elle diffère de l'inspiration proprement dite en ce qu'elle a lieu suivant les lois ordinaires de la nature. Que si on veut donner le nom d'inspiration à cette connaissance en tant qu'elle est vive, instantanée, il faut alors distinguer l'inspiration naturelle de l'inspiration surnaturelle, l'inspiration de l'artiste. du poëte, du philo

sophe, de l'inspiration des écrivains sacrés qui ont rédigé par écrit ce que leur dictait immédiatement l'esprit de Dieu. Cette distinction est essentielle dans le christianisme; les confondre l'une et l'autre, comme le font les rationalistes, c'est vouloir anéantir la révélation.

CHAPITRE II.

De la possibilité de la révélation.

491. La révélation, en général, est-elle possible? Dieu a-t-il pu nous révéler des mystères? A-t-il pu donner aux hommes des préceptes positifs, compris ou non parmi les préceptes de la loi naturelle? Il y a longtemps que ces questions ont été résolues; elles le sont depuis six mille ans, c'est-à-dire, depuis la création de l'homme. Ce fait est constaté par les livres saints, dont on ne peut révoquer en doute l'autorité sans ébranler les fondements de l'histoire; par la croyance des patriarches, des Juifs et des chrétiens; par la croyance de tous les peuples, même des gentils, qui, en conservant dans leurs superstitions des fragments de la tradition primitive, s'accordent à reconnaître une révélation divine. Dans tous les temps et partout, la religion nous est représentée comme ayant été inspirée de Dieu, comme contenant des dogmes et des préceptes positifs. « Parcourez toutes les contrées, remontez aux temps les plus anciens, où trouverez-vous une nation qui n'ait pas eu une religion positive; qui n'ait pas ajouté foi à des com«munications avec la Divinité; qui n'ait pas cru tenir directement de Dieu une doctrine à professer, des pratiques à observer, des règles à suivre? Il faut que le besoin qu'a l'homme d'une révélation ait été bien vivement, bien universellement senti, pour réunir tout le genre humain dans une même croyance. Les peuples ont varié entre eux sur la révélation; ils se sont accordés sur la nécessité; ils ont altéré, obscurci, défiguré les enseignements po"sitifs de la religion; mais la persuasion d'un enseignement positif est restée constamment parmi eux. Cet accord si absolument général de tous les pays et de tous les temps est un aveu solennel, prononcé par le genre humain entier, de l'insuffisance de la rai.

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« son à connaître toute la religion. Notre siècle est-il recevable à « revenir contre une reconnaissance aussi formelle, aussi constante, aussi universelle, de tous les siècles qui l'ont précédé (1) ? » Non; nous pouvons lui opposer une prescription aussi ancienne que le monde. Nous sommes donc dispensés de prouver la possibilité de la révélation. Cependant, voyons s'il est vraiment indigne de Dieu de parler à l'homme, indigne de l'homme d'obéir à Dieu; voyons si on peut supposer, comme le prétendent les rationalistes, qu'il eût été plus digne de celui qui est la vérité même, de permettre que le genre humain se fût trompé jusqu'ici, en admettant les principales vérités de la religion comme ayant été révélées de Dieu.

ARTICLE [er.

La révélation en général est possible.

492. La révélation est possible, si elle ne répugne ni de la part de Dieu, ni de la part de l'homme, ni de la part des vérités qui peuvent en être l'objet. Or, la révélation ne répugne sous aucun de ces rapports. D'abord, elle ne répugne point de la part de Dieu, elle ne renferme rien évidemment qui soit contraire à ses perfections. Qu'est-ce qui pourrait, en effet, s'opposer à ce que Dieu se révélat aux hommes d'une manière extérieure et surnaturelle? Serait-ce le défaut de puissance? Mais sa puissance est infinie. Comment refuser à Dieu, par rapport à l'homme, le pouvoir que l'homme tient de Dieu même par rapport à ses semblables? Quoi! vous pouvez, quand il vous plaît et de la manière qu'il vous plaît, manifester vos pensées et vos volontés aux autres; et le Créateur ne pourrait manifester les siennes à la créature d'une manière quelconque ! Ne serait-ce pas le comble de l'absurdité ? Serait-ce le défaut de science en Dieu ? Mais sa science est également infinie; elle comprend tout, le passé, le présent et l'avenir; Dieu sait tout, ou plutôt il voit tout. Et qui a jamais osé dire que celui qui est le Dieu des sciences, Deus scientiarum Dominus (2), ne sait que ce que l'homme peut savoir ou connaître par les seules lumières de la raison? Serait-ce le défaut de sagesse? Direz-vous qu'en créant l'homme avec le monde, Dieu lui a donné comme au monde des lois générales et naturelles, et que ces lois-ià seules sont dignes

(1) De la Luzerne, Dissertation sur la révélation en général, c. 11, no 1v.— (2) Liv. 1 des Rois, ch. 11, v. 3.

de sa sagesse? Mais comment prouverez-vous qu'il n'est pas digne de la sagesse de Dieu d'accorder à l'homme ce qu'il ne lui doit point, ou que Dieu n'a pu le destiner à une fin surnaturelle, en lui donnant les moyens analogues de parvenir à cette fin? Comment prouverez-vous qu'il soit contraire à la sagesse divine que l'homme ait été créé pour être en société avec Dieu, avec la famille et avec ses semblables? Et s'il n'est point contraire à la sagesse de Dieu que les rapports de l'enfant avec la famille et du citoyen avec la société civile soient réglés par des lois spéciales et positives, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même des rapports de l'homme avec Dieu ? En quoi serait-il contraire à cette même sagesse que les rapports de la créature avec le Créateur eussent été réglés par des lois positives? Non, il n'est point indigne de Dieu de s'occuper de l'homme, qu'il a fait à son image; il n'est pas indigne de sa sagesse, non plus que de sa bonté, de l'avoir créé pour un bonheur auquel nous ne pouvons prétendre naturellement, ni de lui avoir révélé, comme se rapportant à cette fin, des vérités d'un ordre surnaturel. La révélation n'est donc point impossible du côté de Dieu.

493. Elle n'est point non plus impossible du côté de l'homme : l'homme est fait pour se soumettre à l'ordre établi de Dieu. Abandonné à lui-même, l'homme n'aurait jamais pu connaître la fin surnaturelle pour laquelle il a été créé; il ne pourrait même connaître que très-imparfaitement, si tant est qu'il pút les connaître, les obligations que lui impose la loi naturelle envers Dieu et envers ses semblables. Ainsi donc, loin de lui être contraire, la révélation est tout à fait conforme à la nature de l'homme. Qu'on ne dise pas que l'ordre surnaturel est impossible pour l'homme, par cela même qu'il ne peut l'atteindre par les seules forces de sa nature : il est impossible sans doute sans le secours de la révélation; mais les moyens qu'elle nous présente nous mettent en rapport avec cet ordre supérieur, et le rendent par là même évidemment possible. Il serait bien étonnant que l'homme se plaignît d'avoir reçu de Dieu quelque chose de plus que ne réclame l'exigence de sa nature. Admirez la philosophie: tantôt elle trouve que Dieu n'a pas assez fait pour l'homme; tantôt elle lui refuse le droit de s'occuper de l'homme.

494. Enfin, la révélation ne répugne point en ce qui concerne les vérités qui peuvent en être l'objet. Dieu, qui est souverainement vrai, souverainement juste, souverainement saint, ne peut révéler que ce qui est conforme à la vérité, à la justice, à la sainteté,

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