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ARTICLE I.

Notion de la prophétie.

537. Une prophétie proprement dite est la prédiction certaine d'un événement futur qui ne peut être connu que de Dieu seul. D'abord, c'est une prédiction certaine; on ne doit point la confondre ni avec les conjectures plus ou moins fondées, ni avec ces espèces de prédictions irréfléchies, téméraires, faites sans connaissance de cause, et qui parfois se vérifient fortuitement, au grand étonnement de ceux qui les ont faites. C'est la prédiction d'un événement futur; la déclaration faite au nom de Dieu des choses passées ou présentes, mais secrètes, s'appelle révélation; mais ce n'est pas une vraie prophétie; ce n'est qu'improprement qu'on lui donne ce nom. Nous avons dit : d'un événement qui ne peut être connu que de Dieu seul. On ne met pas au rang des prophéties les prédictions que l'homme peut faire d'après la connaissance qu'il a des causes naturelles et de leurs effets. Le physicien annonce les phénomènes de la nature; l'astronome, des éclipses; le pilote, une tempête; le médecin, les crises des maladies, sans être pour cela prophète. Un habile politique, qui connaît par expérience le jeu ordinaire des passions humaines, le caractère et les intérêts de ceux qui sont à la tète des affaires, peut présager de près ou de loin certaines révolutions, et en parler avec une espèce de certitude, sans être inspiré de Dieu. Ces sortes de prédictions ne placent pas celui qui en est l'auteur parmi les prophètes; les païens euxmêmes ne les regardaient pas comme appartenant à la divination: Quæ præsentiri, aut arte, aut ratione, aut usu, aut conjectura, possunt, ea non divinis tribuenda, sed peritis (1). Une prophétie a pour objet les choses futures et contingentes, qui dépendent ou d'une volonté particulière de la part de Dieu, tel que le déluge, par exemple, ou de la volonté des hommes, soit qu'ils existent, soit qu'ils n'existent pas encore. Elle suppose, par conséquent, une prévision, une connaissance certaine de l'avenir, que l'on ne peut refuser à Dieu, mais qui ne convient qu'à Dieu, pour qui l'avenir et le passé sont comme le présent : « Il sait le passé et juge << des choses futures; il sait ce qu'il y a de plus subtil dans les dis« cours et de plus obscur dans les énigmes ; il sait les signes et les

(1) Cicéron, De divinatione, lib. 11, cap. 5.

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prodiges avant qu'ils paraissent, et ce qui doit arriver dans la «< succession des temps et des siècles (1). »

ARTICLE HI.

De la possibilité des prophéties.

538. Les prophéties sont possibles. Les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, dont on ne peut révoquer en doute l'autorité (2), en font foi; les Juifs et les chrétiens ont toujours cru aux prophéties; les patriarches et les gentils ont eu la mème croyance; tous les peuples ont conservé quelque souvenir des prédictions qui annonçaient un Libérateur, qui a été l'attente des nations, expectatio gentium. Il faut donc admettre la possibilité des prophéties. Il en est des prophéties comme des miracles; jamais les peuples ne se seraient accordés à les croire possibles, si cette croyance n'était fondée sur la tradition, sur l'expérience, et sur la raison. Lorsque l'on croit un Dieu éternel, on est obligé d'avouer qu'il connait tout, qu'il voit tout, le passé, le présent et l'avenir; qu'il envisage d'un même coup d'œil tous les instants possibles de la durée des êtres. Dira-t-on que des événements arrivés dans le temps n'aient pu étre présents de toute éternité à une intelligence infinie? Refuser à Dieu cette connaissance, ce serait méconnaître, anéantir la nature divine. S'il est des vérités que Dieu ait ignorées, il a manqué quelque chose à sa perfection. Si ses connaissances se sont augmentées à mesure que les événements qu'il ignorait lui ont été découverts, il a done acquis en certains moments ce qu'il n'avait pas auparavant. Admettre dans la nature divine des bornes et des progrès, n'est-ce pas porter atteinte à son immutabilité, à sa souveraine perfection, et se contredire dans les termes en appelant Dieu ce qui ne l'est pas (3)? Il faut de toute nécessité reconnaître, ou que Dieu n'est pas ce qu'il doit être, ou qu'il sait de toute éternité tout ce qui devait arriver dans l'ordre de la création. D'un autre côté, Dieu peut révéler l'avenir aux hommes; il peut leur communiquer la connaissance des choses qu'ils ne peuvent connaître naturellement (4). Ainsi donc, comme on prouve la pos

(1) Sagesse, c. vili, v. 8. - (2) Voyez, ci-dessus, le n° 155, etc. (3) Le Franc de Pompignan, l'Incrédulité convaincue par les prophéties, tom. 1, Discours préliminaire; Bergier, Traité de la vraie religion, tom. v, c. 1, art. 11, édit. de 1780.- (4) Voyez, ci-dessus, le no 492, etc.

sibilité du miracle par la toute-puissance de Dieu, de même, par sa prescience, on prouve la possibilité de la prophétie.

539. Dira-t-on que la prescience divine, suivie de la prédiction, est incompatible avec la liberté de l'homme ? que les actions de la créature intelligente, étant infailliblement prévues par le Créateur, ne peuvent être libres et arrivent nécessairement? Mais la prescience de Dieu et la liberté de l'homme sont deux vérités que la foi nous enseigne, et qui ont également pour elles le suffrage de la raison. Dieu a prévu de toute éternité les actions de l'homme, et il ne peut pas plus se tromper dans cette prévision qu'il ne peut cesser d'ètre Dieu. Cependant l'homme agit librement, et sa liberté ne souffre aucune atteinte de la certitude infaillible avec laquelle Dieu a su ce que nous ferions. « Il faut, comme le dit Pompignan, « que toutes les subtilités d'une raison présomptueuse viennent « se briser contre cette inébranlable doctrine. Si l'incrédule ne peut l'éclaircir par des explications qui le satisfassent, si l'accord « de deux vérités qui paraissent contradictoires est pour lui un "mystère incompréhensible, qu'attend-il encore pour confesser « la faiblesse de son esprit et la médiocrité de ses connaissances? Que veut approfondir dans la révélation un homme forcé de « s'arrêter à chaque pas dans les sciences qui sont du ressort de la « raison (1)? »

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540. Nous pouvons aller plus loin: nous dirons à l'incrédule qu'il n'est pas impossible de concilier la prescience divine, ou plutôt la science, la vue de Dieu, avec la liberté humaine. La prescience de Dieu ne change point la nature des choses futures. Les choses nécessaires ont été prevues comme telles, et arrivent nécessairement; les actions libres ont été prévues comme libres, et se font librement. Il est vrai que l'homme fera ce que Dieu a prévu, mais il le fera librement; il ne le fera pas précisément parce que Dieu l'a prévu, mais, au contraire, Dieu ne l'a prévu que parce que l'homme devait se déterminer librement à le faire. La prescience divine, quoique antérieure dans l'ordre des temps à l'action de l'homme, lui est postérieure rationnellement ou dans l'ordre des idées, prius est esse futurum quam prævideri ut sic. Ce n'est donc point la prescience de Dieu qui détermine nos actions; seulement elle les suppose futures : « semblable à la présence d'un

(1) Le Franc de Pompignan, l'Incrédulité convaincue par les prophéties, tom. 1, Discours préliminaire; Bergier, Traité de la vraie religios, tom. V, c. 1, art. n, édit. de 1780.

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homme qui, témoin oculaire d'une action, ne peut se tromper « dans ce qu'il voit de ses propres yeux, sans que sa présence soit « cause de ce qui se fait devant lui: il n'est pas possible que ce qu'il << voit ne se fasse pas réellement. Mais l'auteur de l'action agit « avec une entière liberté ; et il pouvait faire, en agissant autrement, que le témoin qui le regarde vît une action toute différente. « De même, il est impossible que Dieu se trompe dans sa prescience,

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« et que ce qu'il a prévu n'arrive point. Mais cette prévision n'in

« flue pas sur le choix volontaire et libre de la créature: et si celle

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ci, comme il dépendait d'elle, avait fait un autre choix, la préviasion de Dieu n'aurait pas eu le même objet (1). » En un mot, la prescience ou la vue de Dieu, en ce qui concerne nos actions, présuppose l'exercice du libre arbitre dans l'homme.

Ce que nous avons dit de la fin que Dieu se propose en faisant des miracles (2), s'applique aux prophéties; elles sont un des moyens les plus propres à nous faire connaître les desseins de Dieu, et à prouver la mission de celui qui se donne pour l'envoyé du TrèsHaut.

ARTICLE III.

Les prophéties sont une preuve frappante de la révélation.

541. Les prophéties proprement dites sont une preuve incontestable de la mission divine de celui qui en est l'auteur, soit qu'on les considère en elles-mêmes, soit qu'elles aient pour objet des événements surnaturels et miraculeux. Dieu ne peut ratifier le mensonge ou l'imposture, ni par les prophéties, ni par les miracles. « Voici « le signe, disait Moyse, auquel vous distinguerez si un prophète a parlé au nom de Dieu. Si ce qu'il a prédit au nom du Seigneur << n'est pas arrivé, le Seigneur n'a pas parlé par sa bouche. C'est <«< une fiction de ce téméraire prophète; et alors vous ne le respec« terez point (3). » Isaïe défiait les dieux des gentils d'annoncer les choses futures, et leur offrait à cette condition de reconnaître leur divinité : «< Annoncez ce qui doit se faire à l'avenir, leur disait-il, et nous saurons que vous êtes des dieux (4). » On lit dans le même

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(1) Voyez le Franc de Pompignan et Bergier, ibidem. — (2) Voyez le n° 529. - (3) Hoc habebis signum : quod in nomine Domini propheta ille prædixerit, et non evenerit, hoc Dominus non est locutus, sed per timorem animi sui propheta confinxit; et idcirco non timebis eum. Deuteron. c. xv, v. 22. (4) Annuntiate quæ ventura sunt in futurum, et sciemus quia dii estis vos. Isa. C. XLI, V. 23.

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prophète : « Rappelez-vous que je suis Dieu, et qu'il n'y a pas « d'autre Dieu; que nul n'est semblable à moi; que c'est moi qui an« nonce dès le commencement ce qui doit arriver à la fin, et qui prédis longtemps avant l'événement des choses qui n'existent pas encore (1). » Au reste, il n'est personne qui ne convienne qu'une prophétie proprement dite ne soit l'œuvre de Dieu : les incrédules eux-mêmes se rendraient, s'ils reconnaissaient comme authentiques les prédictions de l'Ancien et du Nouveau Testament

542. La prophétie est encore plus frappante, plus évidemment divine, pour ainsi dire, lorsqu'elle annonce des événements qui ne dépendent ni du cours ordinaire de la nature, ni de la volonté des hommes. Dieu seul sait ce qu'il a résolu de faire par sa toute-puissance dans les temps à venir. Lorsqu'un homme les a prédits, et qu'ils sont arrivés comme il l'avait dit, on ne peut plus douter qu'il n'ait été un vrai prophète, qu'il n'ait été inspiré de Dieu. Ainsi la prédiction du déluge universel, tel qu'il est décrit dans la Genèse (2), est évidemment divine, en elle-même d'abord, puis dans son objet, ou dans l'événement, qui ne pouvait être prévu ni arriver naturellement. De même, lorsque Dieu fit connaitre au patriarche Abraham que ses descendants seraient un jour esclaves en Égypte, mais qu'ils en seraient délivrés par des prodiges, et cela quatre cenis ans avant l'événement (3), cette prophétie, exactement accomplie au temps marqué, portait un double caractère de divinité. Comme Dieu seul pouvait opérer des prodiges, lui seul aussi pouvait les annoncer. Il faut en dire autant de la promesse que Jésus-Christ fit à ses apôtres, de convertir les nations par les miracles qu'ils opéreraient en son nom; il était également impossible à l'esprit humain de prévenir ce grand événement, et à l'homme de l'accomplir (4).

543. Mais pour qu'une prophétie fasse preuve, il faut, premièrement, qu'elle ait désigné l'événement prédit d'une manière nette et précise; en sorte que l'application de la prophétie ne soit pas arbitraire, mais que l'événement en fixe et en détermine le sens. Par le défaut de cette condition, les oracles qui signifiaient également que Crésus, roi de Lydie, et Pyrrhus, roi d'Épire, seraient vaincus ou victorieux dans les guerres qu'ils allaient entreprendre, n'étaient pas de véritables prophéties. Il fut prédit à Crésus qu'en

(1) Recordamini prioris sæculi, quoniam ego sum Deus, et non est ultra Deus, nec est similis mei: annuntians ab exordio novissimum, et ab initio quæ necdum facta sunt. Ibidem, c. XLVI, v. 10. — (2) C. vi, vi et vш. (3) Genèse, c. xv, v. 13, etc.— (4) Bergier, Dictionnaire de théologie, art. Prophétie.

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