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fur et à mesure précisément que la raison se développait par l'expérience, l'observation, la culture des arts?

558. Le culte du vrai Dieu a précédé l'idolâtrie et la superstition sur la terre. « Le premier essai de former des idoles, dit le Sage, « a été un commencement de prostitution; et l'établissement de « leur culte a été l'entière corruption de la vie humaine, car les «< idoles n'ont point été dès le commencement (1). » Les vérités de la religion, c'est-à-dire, les vérités qui sont le moins à la portée de la raison de l'homme, ont paru tout d'abord sur l'horizon de l'esprit humain; on les trouve au berceau de tous les anciens peuples (2), alors même que l'on connaissait à peine les choses les plus nécessaires à la vie; preuve manifeste que ces vérités ont été originairement révélées à l'homme. Si elles eussent été le fruit de ses recherches et de ses inventions, loin de s'affaiblir avec le temps, elles se seraient naturellement fortifiées avec le développement des sciences humaines.

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559. Il n'y a pas de milieu: il faut de toute nécessité reconnaître que la religion a été primitivement révélée à nos premiers parents, ou que nos premiers parents ont vécu dans l'absence de tout sentiment religieux, ou que la religion des patriarches n'a été que le fétichisme, le paganisme le plus grossier, ainsi que le prétendent certains rationalistes de nos jours. Mais les dernières hypothèses sont aussi absurdes qu'elles sont contraires à l'histoire. Quoi ! Dieu en créant l'humanité a-t-il pu la condamner tout « entière à croupir, pendant une longue suite de siècles, dans une ignorance invincible des vérités les plus essentielles? Seul icibas l'homme a reçu les facultés nécessaires pour connaître et « servir son Créateur; et son œil n'eût pas été fait dès l'origine pour « voir, son cœur pour aimer Celui qui est la vérité et la vie! Est-ce « donc pour rester dans l'ombre qu'il avait reçu ces larges ailes qui peuvent le soulever au-dessus de toutes les choses qui passent, et ce regard d'aigle qui cherche au fond des cieux le soleil « divin?... L'homme encore innocent, l'homme sortant des mains << de cette même Providence (qui étend ses soins maternels sur toutes « les créatures), eût été délaissé par elle ! Il n'a pas, lui, reçu en partage des instincts qui se développent spontanément comme «< ceux du castor ou de l'abeille, pour le conduire d'une manière

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(1) Initium fornicationis est exquisitio idolorum; et adinventio illorum corruptio vitæ est. Neque enim crant ab initio, neque erunt in perpetuum. Sa pient., c. xiv, v. 12 et 13. (2) Voyez, ci-dessous, le n° 575 et suiv.

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" infaillible à l'accomplissement parfait de sa destinée. Il est perfectible, mais à la condition d'être enseigné. Sans le secours d'une « forte éducation religieuse, ses facultés les plus sublimes demeu« rent stériles, et s'atrophient par les déviations les plus mons<< trueuses. Et ce secours lui eût manqué au moment même où il << en avait le plus pressant besoin! et le genre humain eût été con« damné en masse, durant des milliers d'années, à des erreurs profondément corruptrices et aux superstitions les plus dégra« dantes ! Cela est-il bien vraisemblable? Peut-on le supposer à priori, quand on croit un Dieu bon et sage? Évidemment non ! « Cela ne saurait paraître possible qu'au point de vue des athées « et des panthéistes. Quand on regarde le genre humain comme le « produit du hasard, ou comme l'enfant d'une loi aveugle de progrès nécessaire; quand on ne voit en lui qu'une excroissance du chimpanzée, oh! alors je comprends qu'on refuse de croire à la révélation. Mais qu'on préfère des hypothèses comme celles de « l'état de nature et du fétichisme primitif, quand on croit sincèrement à la sagesse et à la bonté de la Providence, c'est ce « que je ne comprends plus (1). » Ces hypothèses sont d'ailleurs contraires à l'histoire, au témoignage des monuments les plus authentiques.

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560. En effet, nous avons une preuve de la révélation primitive dans la croyance de tous les peuples; tous l'ont reconnue en principe, en admettant, comme venant de Dieu, les principales vérités de la religion, même celles qui sont d'un ordre surnaturel. Une croyance générale et constante, dont on ne peut assigner l'origine qu'en remontant à l'origine des choses, fait nécessairement partie de la religion des patriarches. Les dogmes qui ont toujours été l'objet de la croyance des peuples sont : l'existence de Dieu, d'un Être éternel, unique, auteur de toutes choses; la divine Providence et le culte de Dieu; la distinction des bons et des mauvais anges; la chute du premier homme, suivie de la disgrace du genre humain; l'attente d'un Libérateur et l'existence d'une autre vie. Ces dogmes, il est vrai, ont été altérés par les erreurs et les superstitions de l'idolâtrie, au point que, sans le secours des traditions consignées dans les livres saints, il serait impossible de débrouiller les traditions des peuples païens, et d'en faire un corps de doctrine. Mais, en prenant pour guides les auteurs sacrés, on peut suivre les

(1) M. l'abbé de Valroger, Études critiques sur le rationalisme contemporain, liv. 11, sect. 11, c. IV, § v.

traces de l'enseignement primitif, qui s'est répandu, par la dispersion des hommes, dans les différentes parties du monde.

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CHAPITRE II.

De la croyance générale touchant l'unité de Dieu.

561. Toutes les nations ont conservé une idée plus ou moins distincte de l'unité de Dieu. « Il faut, dit Bergier, ou que cette idée

ait été gravée dans tous les esprits par le Créateur lui-même, ou << que ce soit un reste de tradition qui remonte jusqu'à l'origine du genre humain, puisqu'on la trouve dans tous les temps aussi bien « que dans tous les pays du monde (1). » D'abord, les chrétiens et les Juifs n'ont jamais adoré qu'un seul Dieu, le Créateur du ciel et de la terre; et le Dieu des Juifs est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu des patriarches. Pendant près de deux mille ans, les descendants d'Adam n'ont pas eu d'autre Dieu que le ToutPuissant. Ce n'est que peu avant la vocation d'Abraham que l'idolâtrie s'est introduite parmi les hommes, ne se développant que progressivement chez les différents peuples, sans jamais devenir générale, rigoureusement parlant. Le vrai Dieu a eu des adorateurs en tout temps; de tout temps il s'est rencontré, même parmi les gentils, des justes qui n'ont pas fléchi le genou devant les idoles, qui n'ont point offert leur encens aux démons, que les païens honoraient comme des dieux, dii gentium dæmonia (2). Nous voyons dans la Genèse que Melchisédech, roi de Salem, et Abimélech, roi de Gérare, chez les Chananéens, adoraient le même Dieu que les patriarches; que, dans l'Arabie, Job, les rois ses amis, Jéthro, beau-père de Moyse, ne reconnaissaient point non plus d'autre Dieu. C'était encore la religion des Assyriens à une époque moins éloignée de nous, puisque les habitants de Ninive, capitale de l'Assyrie, touchés des menaces que le prophète Jonas leur fit de la part du Dieu d'Israël, se convertirent au Seigneur (3).

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562. On trouve la croyance de l'unité de Dieu, la notion d'un Être suprême auteur de toutes choses, même chez les peuples qui sont tombés dans l'idolâtrie. Les gentils ont connu le vrai Dieu; et c'est parce que, l'ayant connu, ils ne l'ont point glorifié comme

(1) Dictionnaire de théologie, art. Dieu. cap. I.

(2) Psalm. XCV. — (3) Jonæ,

Dieu, qu'ils sont inexcusables. Inexcusabiles, dit l'apôtre, quia, cum cognovissent Deum, non sicut Deum glorificaverunt (1). Ils se sont rendus grandement coupables en adorant la créature au lieu du Créateur: servierunt creaturæ potiusquam Creatori (2). Voila en quoi principalement consiste le crime des idolâtres. Ik n'admettaient point, du moins généralement, plusieurs dieux proprement dits, plusieurs êtres incréés, souverains, indépendants. Le polythéisme, comme nous l'avons déjà fait remarquer d'après l'abbé Bullet, n'est point un polythéisme d'égalité, mais un polytheisme de subordination (3). « Les païens, dit Beausobre, n'ont jamais confondu leurs dieux célestes ou terrestres avec le Dieu suprême, et ne leur ont jamais attribué l'indépendance et la sou« veraineté.... Si par polythéisme on entend plusieurs dieux sou« verains, indépendants, il est faux que les peuples aient jamais <«< cru plusieurs dieux. Ils ont bien su que ces dieux n'étaient que « des intelligences qui tiraient leur origine du Dieu suprême, et «qui en dépendaient comme étant ses ministres, ou que des << hommes illustres par leurs vertus, et par les services qu'ils avaient «< rendus au genre humain ou à leur patrie (4). »

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563. Nous pourrions citer à l'appui les auteurs profanes, philosophes et poëtes, tous ceux qui ont parlé de la religion des anciens peuples. Ils font tous mention d'un Être éternel et souverain, qu'ils nomment le père, le maître, le roi des hommes et des dieux: Deus maximus, optimus; divum pater atque hominum rex, pater hominum divumque æterna potestas, hominum sator atque deorum (5): ce qui répond à ce que disent les livres saints, où le vrai Dieu cst appelé le Seigneur des seigneurs, le Dieu des dieux; Deus deorum, Dominus dominantium (6).

564. « Qui était Jupiter dans l'esprit des peuples, se demande « l'abbé Batteux ? Les poëtes, qui ont été de tout temps les inter« prètes du peuple, nous le feront connaître; je ne citerai qu'Hé« siode et Homère. Le premier chante le chaos et la naissance du « monde; mais, aussitôt que le monde est formé, Jupiter prend «<l'empire, et préside à l'exécution des destins. C'est lui qui voit, qui entend, qui élève, qui abaisse, qui distribue comme il lui plaît, sur ia terre et au ciel, la puissance, le bonheur et la gloire. << Selon Homère, c'est la volonté suprême de Jupiter qui est la

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(1) Epitre aux Romains, c. 1, v. 21. — (2) Ibidem. · (3) Bullet, l'Existence de Dieu, part. 11, pag. 9, édit. de 1819. — (4) Histoire de Manichée et du manichéisme, liv. IX, C. IV. — (5) Hésiode, Homère, Virgile, Ovide, etc. teron., c. x, v. 17.

(6) Deu

« dernière raison des choses; c'est de lui qu'émanent les lois sages; • c'est lui qui donne aux rois le pouvoir et le sceptre, qui brise la « tête des villes; c'est le Dieu très-grand, très-glorieux, qui lance « seul la foudre, qui est le père, non-seulement des hommes, mais << des dieux; enfin, c'est lui qui tient le premier anneau de cette «< chaîne à laquelle tout l'univers est suspendu : Réunissez-vous, « dieux et déesses, employez vos plus grands efforts, vous n'a« baisserez pas vers la terre le Dieu très-haut, impénétrable « dans ses pensées ; et s'il me plait, je vous enlèverai tous avec la << terre et les mers profondes, et je vous attacherai au sommet du ciel, où vous resterez suspendus. Tel est le pouvoir sans bornes qui m'élève au-dessus des dieux et des hommes. Tout Homère << est rempli de ces traits (1). »

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565. Maxime de Tyr, philosophe platonicien, n'est pas moins exprès : « Quand, dit-il, on interroge les hommes sur la nature de « la Divinité, toutes leurs réponses sont différentes; cependant, au « milieu de cette prodigieuse variété d'opinions, vous trouverez un «< même sentiment par toute la terre: c'est qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui est le père de tous (2). » Il est d'ailleurs constant, comme l'ont prouvé plusieurs savants, que les peuples de l'Asie, de l'Europe, de l'Afrique et de l'Amérique, même ceux qui ont adoré ou qui adorent encore plusieurs dieux, en ont toujours reconnu un comme supérieur à tous les autres (3). Forcés de nous restreindre, nous nous contenterons de faire remarquer que les Pères de l'Église n'ont pas craint d'invoquer, en faveur du dogme catholique, la croyance des peuples et des auteurs païens.

566. Saint Irénée, disciple de saint Polycarpe, prouve l'unité de Dieu, créateur du ciel et de la terre, par le témoignage de tous les hommes, omnibus hominibus ad hoc demum consentientibus; ajoutant que les plus anciens ont conservé cette croyance d'après la tradition primitive du premier homme; que ceux qui sont venus ensuite en ont reçu le souvenir par les prophètes, que les gentils l'ont apprise de la création, et que l'Église, répandue par toute la terre, a reçu cette tradition des apôtres (4). Dans le dialogue de Minutius Félix, le païen Cécilius reproche aux chrétiens d'adorer un Dieu qui n'était connu que des Juifs. Le chrétien Octavius lui répond: Ne cherchez pas un nom à Dieu. Dieu, voilà son nom.....

(1) Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tom. xxxv. — - (2) Discours, De Dieu selon Platon. (3) Voyez Bullet, l'Existence de Dieu, part. \\.

(4) Lib. 11, contra hæreses, c. IX.

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