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CHAPITRE IV.

De la durée de la loi de Moyse.

670. Ici se présentent deux questions: premièrement, la loi de Moyse, considérée comme une institution propre aux Juifs, devait-elle durer toujours, ou être remplacée par une loi nouvelle, et commune à tous les peuples? Secondement, a-t-elle été réellement abrogée? Il ne s'agit que de l'abrogation des lois civiles et judiciaires, des rites et cérémonies qui, n'étant que des figures du Messie, devaient naturellement disparaitre à son avénement, comme les ombres disparaissent devant la lumière.

ARTICLE I.

La loi de Moyse ne devait pas durer toujours; elle devait être abrogée par le

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Messie.

671. Le Seigneur dit à Moyse: « Je leur susciterai du milieu de « leurs frères un prophète semblable à toi : je lui mettrai mes paroles dans la bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. « Si quelqu'un n'écoute pas les paroles qu'il prononcera, je saurai, moi, le punir (1). » De tous les prophètes de l'Ancien Testament, il n'en est aucun duquel on puisse dire qu'il ait été, comme Moyse, semblable à Moyse, législateur et chef du peuple de Dieu, comme Moyse. Il s'agit donc ici du Messie; or le Messie ne pouvait être chef et législateur qu'en donnant une loi nouvelle qui convint à toutes les nations qui l'attendaient.

672. Écoutez le prophète Isaïe : « Beaucoup de peuples iront, et « diront: Venez, montons à la montagne du Seigneur et à la mai«< son du Dieu de Jacob; et il nous enseignera ses voies et nous « marcherons dans ses sentiers, parce que la loi sortira de Sion, « et la parole de Dieu, de Jérusalem. Et il jugera les nations, et

(1) Prophetam suscitabo eis de medio fratrum suorum similem tuf : et ponaœ verba mea in ore ejus, loqueturque ad eos omnia quæ præcepero illi. Qui autem verba ejus, quæ loquetur in nomine meo, audire noluerit, ego ultor existam. Deuléron., v. 18 et 19.

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• il reprendra beaucoup de peuples (1).» Cette loi qui doit sortir de Sion, cette parole qui part de Jérusalem, pour instruire, reprendre et corriger les nations, n'est certainement pas la loi de Moyse, qui n'était que pour les Juifs. Ailleurs : « Moi, le Seigneur, je t'ai appelé dans ma justice, je t'ai pris par la main, « et je t'ai conservé, et je t'ai donné pour être l'alliance du peuple, la lumière des nations; et tu ouvriras les yeux des aveugles (2). Voilà donc une nouvelle alliance, une loi nouvelle, qui, à la différence de l'ancienne qui n'était que pour le peuple d'Israël, doit éclairer et diriger toutes les nations plongées dans les ténèbres de l'erreur. Dans un autre chapitre : « Le Seigneur a dit: Il ne me suffit pas que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et convertir la lie d'Israël : voilà que je t'ai établi pour être la lumière des nations, et pour être le ministre de mon salut jus• qu'aux extrémités de la terre (3). » C'est encore évidemment du Messie que le prophète parle : ce qui précède et ce qui suit ce texte le démontre clairement. Encore : « Prêtez l'oreille, dit le prophète, "au nom du Seigneur, et venez à moi : écoutez, et votre âme vivra; et je contracterai avec vous une alliance éternelle, selon la fidélité de ma miséricorde envers David. Voilà que je l'ai donné « aux peuples comme témoin, aux nations comme chef et précepteur (4). » On voit, par ce passage, qu'Isaïe annonçait un docteur, un chef, un législateur, qui viendrait, de la part de Dieu, publier la loi du salut, non pas, comme Moyse, à un seul peuple, mais à tous les peuples de la terre.

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673. Le prophète Jérémie n'est pas moins exprès : « Voilà, dit le Seigneur, que viennent les jours où je contracterai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une nouvelle alliance, non selon le pacte que j'ai fait avec leurs pères le jour où je les ai pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte, pacte qu'ils

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(1) Et ibunt populi multi, et dicent: Venite et ascendamus ad montem Domini, et ad domum Dei Jacob, et docebit nos vias suas, et ambulabimus in semitis ejus, quia de Sion exibit lex, et verbum Domini de Jerusalem. Et judicabit gentes, et arguet populos multos. Is., c. n, v. 3 et 4. (2) Ego Dominus vocavi te in justitia, et apprehendi manum tuam, et servavi. Et dedi te in fœdus populi, in lucem gentium: ut aperires oculos cæcorum. Ibidem, c. XLII, v. 6 et 7.(3) Parum est ut sis mihi servus ad suscitandas tribus Jacob, et fæces Israel convertendas. Ecce dedi te in lucem gentium, ut sis salus mea usque ad extremum terræ. Ibidem, c. XLIX, v. 6. — (4) Inclinate aurem vestram, et venite ad me: audite, et vivet anima vestra, et feriam vobiscum pactum sempiternum, misericordias David fideles. Ecce testem populis dedi eum, ducem ac præceptorem gentibus. Ibid., c. Lv, v. 3 et 4.

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« ont violé; et je leur ai fait sentir mon pouvoir, a dit le Seigneur. « Mais tel sera, dit le Seigneur, le pacte que je ferai avec la mai« son d'Israël après ces jours: Je placerai ma loi dans leurs entrailles, et je l'écrirai dans leurs cœurs, et je serai leur Dieu, et << ils seront mon peuple, et l'homme n'enseignera plus son pro«< chain, ni le frère son frère, disant, Connais le Seigneur; car << tous, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, me connaîtront, << dit le Seigneur, parce que je leur pardonnerai leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés (1). » Quelques Juifs prétendent que ce passage doit s'entendre du renouvellement d'alliance qui se fit après le retour de la captivité. Mais ce n'est point d'une ancienne alliance à renouveler que parle le prophète; il s'agit d'une alliance nouvelle que le Seigneur doit contracter, fœdus novum; c'est un pacte différent de l'ancien, non secundum pactum quod pepigi cum patribus eorum. Aussi saint Paul, écrivant aux Hébreux, fait usage de cette prédiction pour leur prouver que l'Ancien Testament a fait place au Nouveau : Dicendo autem novum veteravit prius; quod autem antiquatur et senescit prope interitum est (2).

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674. On lit dans Malachie : « Mon affection n'est point en vous, « dit le Seigneur des armées, et je ne recevrai point d'oblation de « votre main; du levant jusqu'au couchant, mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu on sacrifie et on offre à mon nom << une oblation pure, parce que mon nom est grand parmi les nations, «< dit le Seigneur des armées (3). » Cette prédiction, où, suivant le langage des prophètes, le présent est pris pour le futur, annonce et la cessation des sacrifices de la loi de Moyse, et l'institution d'un autre sacrifice, pur par excellence, qui sera offert, non plus comme les anciens, dans un seul lieu, mais dans tous les pays de la terre.

(1) Ecce dies venient, dicit Dominus, et feriam domui Israel et domui Juda fœdus novum: non secundum pactum quod pepigi cum patribus eorunı, in die qua apprehendi manum eorum ut educerem eos de terra Ægypti, pactum quod irritum fecerunt, et ego dominatus sum eorum, dicit Dominus. Sed hoc erit pactum quod feriam cum domo Israël post dies illos, dicit Dominus: Dabo legem meam in visceribus eorum, et in corde eorum scribam eam : et ero eis in Deum, et ipsi erunt mihi in populum. Jérém., c. xxxi, v. 31, etc.—(2) Épître aux Hébreux, c. vIII, v. 13, etc.-(3) Non est mihi voluntas in vobis, dicit Dominus exercituum; et munus non suscipiam de manu vestra. Ab ortu enim solis usque ad occasum, magnum est nomen meum in gentibus; et in omni loco sacrificatur, et offertur nomini meo oblatio munda; quia magnum est nomen meum in gentibus, dicit Dominus exercituum. Malach., c. 1, v. 10

Saint Justin (1), saint Jean Chrysostome (2), saint Jérôme (3), saint Augustin (4), prouvaient aux Juifs de leur temps, par cette prophétie, que leur culte était aboli.

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675. Le prophète Malachie prédit un nouveau sacrifice; Isaïe, de son côté, annonce un nouveau sacerdoce. Suivant la loi de Moyse, les prêtres ne pouvaient être pris que dans la tribu de Lévi; suivant Isaïe, le Seigneur en choisira parmi les gentils. « Le temps << vient, dit le Seigneur, que j'assemblerai tous les peuples, de quelque pays et de quelque langue qu'ils puissent être ; ils paraî<< tront devant moi, et ils verront ma gloire..... Je prendrai même parmi eux des prêtres et des lévites, dit le Seigneur (5). » Or, comme le dit l'apôtre, le sacerdoce étant transféré, il est nécessaire que la loi le soit aussi, translato enim sacerdotio, necesse est ut et legis translatio fiat (6); d'où il conclut lui-même que l'ancienne loi a été abolie, reprobatio quidem fit præcedentis mandati (7).

ARTICLE II.

La loi de Moyse est abrogée depuis longtemps.

676. La loi de Moyse devait être abrogée par le Messie; or, aux termes des prophéties, il y a longtemps que le Messie est venu. Jacob étant près de mourir appelle ses enfants, et leur dit : « As« semblez-vous, et je vous annoncerai ce qui vous arrivera dans la a suite des temps. Assemblez-vous, et écoutez, enfants de Jacob; « écoutez Israël votre père (8). » On voit qu'il va annoncer de grandes choses. En effet, après avoir béni Ruben, Siméon et Lévi, il arrive à Juda son quatrième fils, et s'écrie: « Juda, tes frères te << loueront: ta main sera sur la tête de tes ennemis; les enfants de « ton père se prosterneront devant toi. Juda est un jeune lion. Mon fils, tu es allé au butin. Tu t'es couché comme un lion et comme « une lionne : qui l'excitera à se lever? Le sceptre ne sortira point << de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui qui doit être envoyé; c'est lui qui sera l'attente des nations : «Non auferetur sceptrum de Juda, et dux de femore ejus, donec

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(1) Dialogue avec Tryphon, c. XLI. (2) Discours v contre les Juifs. — (3) Lettre II. - (4) De la Cité de Dieu, liv. xvIII, C. XXXIII. — · (5) Ego venio ut congregem cum omnibus populis et linguis et venient, et videbunt gloriam meam.... Et assumam ex eis sacerdotes et levitas, dicit Dominus. Isaïe, c. LXVI, v. 18 et 21. (6) Épître aux Hébreux, c. vII, v. 18. - (7) Ibidem, v. 12. (8) Genèse, c. XLIX, V. 1 et 2.

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« venial qui mittendus est, et ipse erit expectatio gentium (1). Le texte de la Vulgate s'accorde parfaitement, quant au fond, avec le texte primitif et les plus anciennes versions.

677. De quelque façon qu'on veuille entendre les dernières paroles de la prophétie de Jacob, soit qu'on suive le texte hébreu ou le samaritain, soit qu'on préfère la version des Septante ou toute autre version ancienne, on ne peut les entendre que du Messie, qui devait étre envoyé comme le libérateur du genre humain, et que les patriarches, Moyse en particulier, désiraient de tous leurs vœux Envoyez-nous, Seigneur, celui que vous devez envoyer, obsecro, Domine, mitte quem missurus es (2). Il s'agit de celui qui a été l'attente des nations, expectatio gentium ; de celui en qui toutes les nations devaient être bénies, benedicentur in semine tuo omnes gentes terræ (3); de celui qui était le désiré des nations, desideratus cunctis gentibus (4); ce qui, de l'aveu des Juifs, ne peut convenir qu'au Messie. Les trois paraphrases chaldaïques sont précises; elles désignent expressément, sous le nom de Messie, le personnage annoncé par Jacob.

678. Or, suivant la même prophétie, l'autorité ne devait cesser dans la maison de Juda qu'à la venue du Messie: non auferetur sceptrum de Juda et dux de femore ejus, donec venial qui mittendus est. Dans la langue sainte, le mot sceptre signifie nonseulement la royauté, mais, en général, la puissance, l'autorité, la magistrature. La tribu de Juda, toujours la plus puissante entre toutes les tribus d'Israël, conserve le pouvoir souverain, le droit de vie et de mort, même dans la captivité de Babylone; forme, à son retour à Jérusalem, une nation indépendante sous des chefs qu'elle choisit librement, et donne son nom à tous les descendants de Jacob, qu'on appelle Juifs, du mot Judæi. Mais enfin le sceptre lui est ôté les Romains se rendent maîtres de la Judée, et, par eux, le royaume de Juda passe entre les mains d'Hérode, étranger et Iduméen. Alors Jésus-Christ paraît, les nations reçoivent son Évangile; et ceux des Juifs qui ne le reconnaissent pas sont dispersés dans les différentes parties du monde, sans avoir pu, depuis, se constituer en corps de république. Le Messie est donc arrivé; et puisque la loi de Moyse ne peut ni s'observer par les Juifs comme elle devait l'être, ni convenir à tous les peuples, on doit nécessairement la regarder comme abolie en tout ce qu'elle avait de local et de particulier aux Israélites.

(1) Ibidem, v. 8, etc. — (4) Aggée, c. II, v. 8.

(2) Exode, c. IV, v. 13.

(3) Genèse, c. XXVI, V. 4.

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