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dent; ils sont traduits dans toutes les langues. Partout les chrétiens les lisent, les méditent, et les révèrent comme la parole de Dieu. S'il s'élève entre eux quelques disputes sur la foi, c'est à ces livres qu'on en appelle; ce sont les oracles que tous les partis consultent avec un égal respect. Et il ne peut en être autrement; car c'est dans ces livres qu'ils trouvent les titres de leur croyance, les mystères qu'ils adorent, les maximes et les règles de leur con duite, les lois qu'ils doivent observer, sous peine de damnation. Or, cette foi publique et générale, cette possession non interrom pue, dont on ne peut expliquer l'origine qu'en remontant au temps des apôtres, forme au moins une prescription qui ne pourrait être ébranlée que par des preuves positives et incontestables. Ce n'est point à l'Église qu'il faut demander ses titres; sa possession seule suffit pour confondre ses adversaires. C'est à vous, philosophes, de nous montrer ce que cette possession a de vicieux; c'est à vous de nous dire et de nous prouver en quel temps et par qui nos livres ont été supposés, de nous expliquer comment les écrits d'un faussaire ou d'un visionnaire ont pu tout à coup inonder le monde entier, et prendre la place qui n'était due qu'à des livres authentiques. Dites-nous donc par quel moyen, par quel art, par quel enchantement on a pu tromper, sur un fait de cette nature, la vigilance des pasteurs et la piété des fidèles, surprendre la religion des peuples, et faire triompher par l'imposture ou le fanatisme, les rêves d'une imagination exaltée ? Jusque-là l'Église pourra vous dire ce que Tertullien lui faisait dire aux anciens hérétiques : « Qui êtes-vous? Depuis quand et d'où êtes-vous venus? A quel titre, « Marcion; coupes-tu ma forêt? Qui t'a permis, Valentin, de dé« tourner mes canaux ? Qui t'autorise, Apelles, à déplacer mes ■ bornes ? C'était ma possession. Comment osez-vous, vous qui êtes étrangers, semer et recueillir ici? Encore une fois, c'est ma pos« session; je possède depuis longtemps, je possède la première ; je « descends des anciens possesseurs; je suis héritière des apôtres ; et je jouis conformément aux dispositions de leur testament, aux charges du fidéicommis, au serment que j'ai prêté (1). »

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(1) Qui estis ? Quando et unde venistis? Quid in meo agitis, non mei? Quo denique, Marcion, jure silvam meam cædis? Qua licentia, Valentine, fontes meos transvertis? Qua potestate, Apelles, limites meos commoves? Mea est possessio. Quid hic cæteri ad voluntatem vestram seminatis et pascitis? Mea est possessio; olim possideo, prior possideo, habeo origines firmas, ab ipsis auctoribus quorum fuit res; ego sum hæres apostolorum; sicut caverunt testamento suo, sicut fidei commiserunt, sicut adjuraverunt, ita teneo. De præscriptionibus, no xxvii.

93. Prétendre qu'on ne peut admettre le témoignage des Églises chrétiennes en faveur des livres sacrés, sous prétexte qu'elles déposeraient dans leur propre cause, ce serait récuser tout à la fois et le témoignage des peuples qui s'appuient sur la tradition pour établir l'authenticité des livres qui leur appartiennent, et le titre de ceux qui invoquent une possession constante et immémoriale pour repousser une injuste prétention. Récuserez-vous le témoignage des mahométans pour ce qui regarde l'authenticité de l'Alcoran, parce que ce livre intéresse les disciples de Mahomet? Pourquoi donc rejeteriez-vous le témoignage de l'Église à l'égard des Evangiles? La cause des livres du Nouveau Testament n'est devenue la cause de l'Église que parce que, dès son origine, elle possède et révère ces livres comme venant de ses fondateurs. Dans la question présente, les chrétiens sont des témoins naturels et nécessaires le fait s'est passé chez eux, il leur appartient; eux seuls sont intéressés. Il est donc juste de les entendre, de recevoir leur déposition, et de respecter leurs titres. Chaque nation doit en être crue sur son histoire, chaque société sur ses monuments, sauf les réserves que la critique a droit de mettre à cette confiance: autrement c'en serait fait de la certitude historique; on ne serait plus assuré de rien, pas même des faits les mieux constatés. Ainsi donc il est prouvé, par la foi publique, générale et constante des chrétiens, que les livres du Nouveau Testament sont authentiques.

S II. Preuve tirée du témoignage des auteurs ecclésiastiques des premiers siècles.

94. Nous ne parlerons pas ici des écrivains postérieurs au quatrième siècle, car tous les ennemis du christianisme conviennent qu'à partir de cette époque les livres du Nouveau Testament ont été généralement reçus partout comme authentiques. En effet, le concile de Carthage de l'an 390 ou 397, dont le décret (1) a été confirmé en 405 par le pape Innocent I (2), reconnaît tous ces livres pour canoniques, les donnant comme venant des apôtres ou des disciples immédiats de Jésus-Christ, dont ils portent les noms. Et, avant le concile de Carthage, celui de Laodicée admettait aussi comme sacrés les Évangiles de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, les Actes des apôtres, et toutes les lettres

(1) Le P. Labbe, Concil., tom. 1. col. 1177 (2) Lettre à Exupère, évêque de Toulouse, Labbe, ibid., col. 1256.

de saint Paul, de saint Jacques, de saint Pierre, de saint Jean et de saint Jude (1). Eusèbe de Césarée, mort en 340, distinguant les livres qui étaient reçus dans toute l'Église de ceux dont l'autorité était encore contestée, place parmi les premiers les quatre Évangiles, les Actes des apôtres, les Épîtres de saint Paul, la première de saint Pierre et la première de saint Jean (2). Nous pourrions encore citer tous les Pères, tous les auteurs ecclésiastiques grecs et latins du quatrième siècle, dont les écrits sont pleins de citations tirées des livres du Nouveau Testament, de ceux même que nous appelons deutéro-canoniques. Or, comment supposer que ces livres, qu'on lisait alors dans les assemblées des fidèles, aient pu s'introduire dans toutes les Églises comme authentiques, à moins qu'on ait recours à une tradition générale et constante, qui remonte jusqu'aux temps apostoliques? Évidemment, ce concert unanime de tous les chrétiens, au quatrième siècle, prouve qu'ils avaient reçu de leurs pères les Évangiles et les autres livres que nous révérons comme sacrés, ainsi que le dit expressément le concile de Carthage que nous venons de citer: A patribus ista accepimus in Ecclesia legenda. Ces livres existaient donc dans les premiers siècles de l'Église ; et c'est ce qu'on peut prouver même directement.

95. D'abord, au troisième siècle, ces livres étaient reçus comme authentiques dans toute l'Église. Sans parler ni d'Archélaüs, évêque de Cascar (3), ni de saint Denis, évêque d'Alexandrie (4), ni de saint Grégoire le Thaumaturge (5), ni de saint Hippolyte, évêque de Porto (6), tous auteurs du troisième siècle, qui citent les Évangiles de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, les Actes des apôtres, les Épitres de saint Paul aux Romains, aux Corinthiens, aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens, à Timothée, à Tite, à Philémon et aux Hébreux, celles de saint Jacques, de saint Pierre, de saint Jean et de saint Jude, voyons ce que disent les Cyprien, les Origène, les Clément d'Alexandrie, les Tertullien. Suivant saint. Cyprien, les quatre Evangiles sont comme les quatre fleuves qui arrosent l'Église, figurée par le paradis terrestre (7). Et quels sont ces Évangiles? Il nous l'apprend lui-même, puisque les passages

(1) Labbe, tom. 1. col. 1508. · (2) Hist. eccl. liv. m. ch. XXVI. — (3) Voyez la conférence d'Archélaüs avec Manès, parmi les œuvres de S. Hippolyte, tom. II, édit. d'Albert Fabricius. -(4) Lettre contre Paul de Samosate, rapportée par le P. Labbe, Concil., tom. 1. col. 850.-(5) Voyez ses œuvres, édit. de Paris, 1622. (6) Voyez ses œuvres, édit. d'Albert Fabricius. (7) Lettre LXXII.

qu'il en rapporte se trouvent dans les Évangiles de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean. Il cite pareillement les autres livres du Nouveau Testament, sans excepter l'Apocalypse qu'il attribue à saint Jean, et qu'il appelle Écriture divine, Scriptura divina (1). Origène témoigne que, de son temps, les quatre Évangiles, qu'il attribue à ceux dont ils portent les noms, étaient admis dans toute l'Église, et qu'on les avait reçus par tradition (2). Il cite les autres livres, même les livres deutéro-canoniques qu'il dit être des apôtres, quoique l'authenticité de ces derniers souffrît encore quelque contradiction. Clément d'Alexandrie reconnaît quatre Évangiles (3); et ces Évangiles, comme on le voit par les extraits sans nombre qui se lisent dans ses écrits, sont les mêmes que ceux qui sont reçus dans le monde chrétien. Il attribue à saint Paul l'épître aux Hébreux (4), à saint Jude celle que nous avons sous son nom (5), à saint Pierre la première de celles que nous croyons être de lui (6), et l'Apocalypse à saint Jean (7). Clément appartient au second comme au troisième siècle; il était à la tête de la célèbre école d'Alexandrie en 190.

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96. Tertullien, contemporain de Clément d'Alexandrie, n'est pas moins exprès. Comme Marcion, chef de secte, ne recevait que l'Évangile de saint Luc, et l'avait altéré afin de le rendre favorable à ses erreurs, Tertullien invoque la tradition et l'autorité des différentes Églises, pour prouver que l'exemplaire des catholiques était le seul véritable. Nous avons, dit-il, chacun notre Évangile; « Marcion prétend que le sien est le vrai, et que le mien est altéré. « Moi, je soutiens que mon Évangile est authentique, et que celui « de Marcion est corrompu. Qui décidera entre nous, sinon la rai« son prise du temps, en sorte que la plus grande autorité appar<< tienne à celui des deux exemplaires qui se trouvera le plus an<< cien? car en toutes choses le vrai doit précéder le faux, puisque « le faux est la corruption du vrai. Or, il est constant que notre Évangile est le plus ancien des deux, que Marcion lui-même l'ad« mettait autrefois, et que depuis il a prétendu le corriger : ce qui « prouve et l'antiquité de notre exemplaire, car toute correction est

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(1) Lettre LXIII. - (2) Sicut ex traditione accepi de quatuor Evangeliis, quæ sola in universa Dei Ecclesia, quæ sub cœlo est, admittuntur. Primum scilicet Evangelium scriptum esse a Matthæo... secundum fuisse accepimus Evangelium Marci... Tertium Evangelium Lucæ... Postremum vero Evangelium Joannis. In S. Matthæum... (3) Hoc non habemus in nobis traditis quatuor Evangeliis. Lib. ш Stromatum. (4) Ibidem, lib. IV. (5) Ibidem, lib. u. - (6) Ibidem.

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- (7) Ibidem, lib. vi.

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• postérieure à la faute qu'on veut corriger, et la nouveauté du • sien, puisque cet Évangile de Marcion n'est autre chose que le « nôtre, retouché et corrigé à sa manière (1). En un mot, on doit ⚫ regarder comme vrai ce qui est plus ancien, et comme plus an« cien ce qui est dès le commencement, et comme étant dès le ⚫ commencement ce qui vient des apôtres. Or qu'on s'adresse • aux Églises de Corinthe, de Galatie, de Philippes, de Thes« salonique et d'Éphèse; qu'on s'adresse à l'Église de Rome, à « laquelle Pierre et Paul ont laissé l'Évangile scellé de leur sang; qu'on s'adresse aux Églises fondées et instruites par Jean, où l'ordre et la succession des évêques remonte jusqu'aux apôtres ; « enfin, qu'on s'adresse à toutes ces Églises liées à ces premières par la même foi, on y trouvera l'Évangile de Luc tel que nous « le défendons. Quant à celui de Marcion, ou ces Églises ne le con<< naissent point, ou elles ne le connaissent que pour le condam« ner (2). » Les anciennes Églises, du temps de Tertullien, tenaient donc à l'Évangile de saint Luc comme à un Évangile authentique, comme à un livre qui leur avait été transmis par les successeurs des apôtres. Marcion lui-même en reconnaissait l'authenticité, puisqu'il le présentait comme un écrit de saint Luc.

97. Or il en était de même, au rapport du célèbre apologiste, des trois autres Évangiles : « La même autorité des Églises aposto

(1) Ego meum dico verum, Marcion suum. Ego Marcionis adfirmo adulteratum, Marcion meum. Quis inter nos determinabit, nisi temporis ratio, ei præscribens auctoritatem, quod antiquius reperietur ; et ei præjudicans vitiationem, quod posterius revincetur? In quantum enim falsum corruptio est veri, in tantum præcedat necesse est veritas falsum. Quod ergo pertinet ad Evangelium Lucæ... Adeo antiquius Marcione est quod est secundum nos, ut et ipse illi Marcion aliquando crediderit... Itaque quod emendat, utrumque confirmat, et nostrum anterius, id emundans quod evenit; et id posterius, quod de nostri emendatione constituens, suum et novum fecit. Lib. iv adversus Marcionem, c. iv.—(2) In summa, si constabit id verius quod prius, id prius quod est ab initio, id ab initio quod ab apostolis; pariter utique constabit id esse ab apostolis traditum, quod apud Ecclesias apostolorum fuerit sacrosanctum. Videamus quod lac a Paulo Corinthii hauserint; ad quam regulam Galatæ sint correcti; quid legant Philippenses, Thessalonicenses, Ephesii; quid etiam Romani de proximo sonent, quibus Evangelium Petrus et Paulus sanguine quoque sno signatum reliquerunt. Habemus et Joannis alumnas Ecclesias. Nam etsi ejus Apocalypsim Marcion respuit, ordo tamen episcoporum ad originem recensus, in Joannem stabit auctorem. Sic et cæterarum generositas recognoscitur. Dico itaque apud illas, nec solas jam apostolicas, sed apud universas, quæ illis de societate sacra. menti confœderantur, id Evangelium Lucæ ab initio editionis suæ stare, quod tum maxime tenemur: Marcionis vero, plerisque nec notum; nullis autem nolum, ut non eo damnatum. Ibidem, cap. v.

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