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drait votre gouvernement, et vous seriez punis; vous frémiriez de votre solitude, de l'étonnement de votre univers qui resterait «< comme mort; vous chercheriez à qui commander; il vous reste«rait plus d'ennemis que de citoyens (1). Écrivant à Scapula, gouverneur d'Afrique, qui était porté à la persécution : «< Que ferez-vous, lui disait-il, de tant de milliers d'hommes et de fem«< mes de tout âge, de toute dignité, qui s'offrent à vous? De com<< bien de bûchers, de combien de glaives n'aurez-vous pas besoin? «Que ne souffrira pas Carthage qu'il vous faudra décimer, quand chacun aura reconnu ses parents et ses commensaux; quand « vous y aurez vu des hommes et des dames du plus haut rang, et, jusque dans votre ordre, des proches et des amis de vos amis? « Si vous n'avez pas pitié de nous, ayez au moins pitié de vous

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« même. Si vous n'avez pas pitié de vous, ayez au moins pitié d Carthage (2). »

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773. Origène, mort en 253, dit que la prédication de l'Évangile s'est propagée d'une extrémité de la terre à l'autre, et qu'il n'y a presque aucun lieu qui n'ait reçu la semence de la parole divine (3).

Saint Cyprien compare l'Église de son temps au soleil dont les rayons éclairent tout le monde, à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terre, à un fleuve qui répand ses eaux partout (4).

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774. Peu de temps après la mort de ce saint évêque, arrivée en 258, Arnobe prouvait aux païens la divinité du christianisme par la propagation de l'Évangile, en leur faisant le même raisonnement que nous faisons aux incrédules d'aujourd'hui. « Si, comme << vous le croyez, leur dit-il, l'histoire de ces faits (les miracles de Jésus-Christ et des apôtres) n'est pas véritable, comment a-t-il << pu se faire qu'en aussi peu de temps le monde entier se soit trouvé rempli de cette religion? Comment des nations de pays si éloignés, de climats si différents, ont-elles pu se réunir dans un seul esprit (5)? N'est-ce pas à vos yeux un motif suffisant de «< croire, que nos mystères se soient répandus si promptement sur << toute la terre? Qu'il n'y ait aucune nation si barbare et si féroce qui ne soit adoucie et civilisée par les sentiments qu'inspire l'a<< mour de Jésus-Christ? Que tant d'hommes de génie, orateurs, grammairiens, rhéteurs, jurisconsultes, médecins, philosophes, sollicitent aujourd'hui ses enseignements, et méprisent les opi

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(1) Ibidem, c. XXXVII. - (2) Lettre à Scapula, ch. v. homél. Ix, no 2. — (4) De l'unité de l'Église.

(3) Sur la Genèse,

(5) Liv. 1, contre les Gentils,

n° 55.

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« nions dans lesquelles ils mettaient auparavant leur confiance? Que des esclaves se laissent torturer par leurs maîtres, des époux << bannir de l'union conjugale, des enfants déshériter par leurs « parents, plutôt que de renoncer à la foi chrétienne (1)? » Un peu plus bas, attribuant la propagation du christianisme aux miracles de Jésus-Christ et de ses disciples, il parle des merveilles qui ont été opérées dans l'Inde, chez les Sères, chez les Perses et les Mèdes, dans l'Arabie, dans l'Égypte, dans l'Asie, dans la Syrie, parmi les Galates, les Parthes, les Phrygiens, dans l'Achaïe, la Macédoine, l'Épire, dans les îles, dans toutes les contrées que, parcourt le soleil du levant au couchant; enfin dans Rome même, la maitresse des nations, dans laquelle, ajoute-t-il, les hommes attachés aux institutions de Numa et aux antiques superstitions de l'idolatrie ont abandonné les préjugés du pays, pour se réunir à la foi chrétienne (2).

775, Enfin, les conciles, en grand nombre, tenus dans les différentes parties du monde chrétien avant la conversion de l'empereur Constantin, sont des monuments irrécusables des progrès de l'Évangile avant le quatrième siècle. On en compte plus de cinquante qui ont précédé le concile de Nicée ; ils ont eu lieu à Rome, en Afrique, dans les Gaules, en Espagne, dans la Grèce, dans l'Asie, la Palestine, l'Arabie. La tenue de ces conciles, dans les siècles de persécution, suppose nécessairement un grand nombre d'évêques assez rapprochés les uns des autres, un grand nombre de chrétiens dans les églises particulières confiées à leurs soins.

776. Les auteurs profanes sont d'accord avec les auteurs ecclésiastiques. Tacite nous apprend que sous le règne de Néron, trente ans après la mort de Jésus-Christ, il y avait à Rome une grande multitude de chrétiens, ingens multitudo (3). Dans le même temps, Sénèque, cité par saint Augustin, s'indigne des progrès que font dans tout l'univers les coutumes des Juifs : c'est ainsi qu'il désigne les chrétiens sortis de la Judée. Les vainqueurs, dit-il, ont reçu la loi des vaincus, victi victoribus leges dederunt (4). Avant la fin du premier siècle, Pline le Jeune, gouverneur de la Bithynie, écrivait à l'empereur Trajan que le christianisme était professé par un grand nombre de personnes de tout sexe, de tout âge, de tout rang, omnis ordinis; qu'il avait gagné, comme une contagion, non-seulement les villes, mais les bourgs et les campagnes; que les temples avaient été abandonnés, et que l'on ne vendait pres(1) Ibidem, liv. 11, no 5. — (2) Ibidem, n° 12. (3) Tacite, Annales, liv. xv, ch. 44. – (4) Saint Augustin, De la cité de Dieu, liv. vi, ch. 11,

que plus de victimes (1). Lucien lui-même, ennemi déclaré d'u christianisme, introduit, dans ses dialogues, l'imposteur Alexandre disant que la province de Pont est pleine d'athées et de chrétiens, Pontum atheis plenum esse et christianis (2). Les païens accusaient les chrétiens d'athéisme, comme Socrate en avait été accusé Jui-même, parce qu'ils ne reconnaissaient point les dieux du pays. Quant à ce que Lucien dit du nombre des chrétiens dans le Pont, son témoignage se trouve confirmé par Eusèbe de Césarée : au rapport de cet historien, il se tint un concile dans cette province en 198, que l'on croit être l'année de la mort de Lucien (3).

777. Nous pourrions aller plus loin; mais pourquoi fatiguer le lecteur de citations? C'est un fait notoire, incontestable, qu'au commencement du quatrième siècle l'Évangile avait pénétré dans toutes les contrées du monde connu, et bien au delà des limites de l'empire romain. Aussi, loin de le contester, les incrédules s'en prévalent souvent pour calomnier la conversion de l'empereur Constantin, comme si cette conversion eût été nécessaire pour consommer l'œuvre de Dieu. Selon eux, la conviction n'y eut aucune part; l'empereur ne se déclara en faveur du christianisme que pour se trouver à la tête du parti le plus puissant. Ainsi donc, de leur aveu, la foi chrétienne avait pris le dessus, non-seulement sans le secours, mais encore malgré tous les efforts des puissances de la terre, comme nous le verrons dans l'article suivant.

ARTICLE II.

La propagation de l'Evangile, aussi prompte que général, ne peut être que l'œuvre de Dieu.

778. Une révolution aussi rapide, aussi universelle, aussi étonnante que celle qui s'est opérée dans le monde, en moins de trois siècles, par la prédication des apôtres et de leurs successeurs, n'est point un événement naturel. D'abord, si vous mettez Dieu de côté, les disciples de Jésus de Nazareth, hommes sans lettres, sans science, sans fortune, sans crédit, sans puissance, sans ressource aucune, n'auraient pu ni former ni même concevoir le projet de remplacer la loi de Moyse par une loi nouvelle; de renverser le culte des idoles; de faire prévaloir partout le mystère de la croix, qui ne pouvait qu'exciter la haine des Juifs et la moquerie des païens; de prêcher une doctrine tout à la fois la plus sublime et la

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plus contraire aux préjugés de leur temps, et aux désordres consacrés par les superstitions et les mystères du paganisme. Un tel projet de la part des apôtres, surtout d'après la manière dont leur maître avait été traité par les Juifs et les magistrats romains, eût été, sans contredit, le projet le plus insensé, le plus extravagant qu'on puisse imaginer; il ne se conçoit que dans un homme en délire. Quel motif d'ailleurs aurait pu les déterminer à cette entreprise? Quel avantage trouvaient-ils à tout sacrifier pour son exécution, le repos, la liberté, la vie même? La gloire, direzvous. Mais quelle gloire y a-t-il à se faire égorger sans autre chance que de passer tôt ou tard pour des fourbes, des imposteurs, ou pour des fanatiques enragés? Évidemment les apôtres n'ont pu s'arrêter à la pensée de convertir le monde à Jésus-Christ, à moins qu'ils n'aient été inspirés d'en haut, et qu'ils n'aient eu des preuves irrécusables de l'inspiration divine. Ainsi done on peut dire que la prédication même de l'Evangile par les apôtres prouve que l'établissement du christianisme est l'œuvre de Dieu.

779. Mais supposons qu'ils eussent formé d'eux-mêmes le dessein de faire reconnaître partout l'Evangile de Jésus-Christ, et Jésus-Christ lui-même, non-seulement comme l'envoyé de Dieu, mais comme étant vrai Dieu et vrai homme en même temps, eussent-ils réussi? Non, certainement: persuadés ou non de la vérité de leur enseignement, si les apôtres et leurs successeurs avaient prêché l'erreur en prêchant Jésus-Christ, jamais ils n'auraient pu ni confondre les conseils de la synagogue, l'hypocrisie des pharisiens, la sagesse des sages et l'orgueil des philosophes, la fourberie des prêtres et les oracles mensongers du paganisme ; ni renverser les idoles et détruire les superstitions de l'idolâtrie; ni désarmer les tyrans et les bourreaux ; ni arborer la croix partout, jusqu'au Capitole. Comment, en effet, auraient-ils soumis à l'empire de Jésus-Christ, non-seulement l'empire romain, mais encore les régions lointaines et barbares que les Césars n'avaient pas encore pu soumettre par la puissance des armes? Par quels moyens auraientils opéré la plus étonnante révolution qui fùt jamais? Il n'y a pas de milieu: ou il faut reconnaître le doigt de Dieu dans l'établissement du christianisme, ou il faut l'attribuer, soit aux qualités personnelles, au génie, au talent, à la condition des apôtres; soit à la nature de la doctrine qu'ils prêchaient et aux dispositions de ceux qui l'ont adoptée; soit à la puissance, au concours de l'autorité publi que. Voilà les seules causes naturelles, les seuls moyens humains de propager l'erreur, de changer ou de modifier l'esprit public en ma

tière de religion. Or, non-seulement les apôtres n'avaient pour eux aucun de ces moyens, mais il n'est aucun de ces moyens qui n'ait offert les plus grands obstacles à la propagation de l'Évangile. Loin de favoriser leur mission, leurs qualités personnelles, leur ignorance, leur défaut de talent et d'éducation, la doctrine qu'ils enseignaient, les préjugés des Juifs et des gentils, les mœurs corrompues des païens, l'opposition de la puissance publique, étaient autant d'obstacles qui tous, sans être réunis comme ils l'étaient contre le christianisme, auraient été suffisants pour l'étouffer dans son berceau. Donc il faut reconnaître le doigt de Dieu dans l'établissement du christianisme.

780. Premièrement, on ne peut attribuer le succès de la prédication évangélique au talent, à l'éloquence, à la science des apótres, ni au rang qu'ils occupaient dans la société. Ce n'étaient ni des orateurs, ni des philosophes, ni des savants versés dans les secrets de la science et de la politique; Jésus-Christ ne les avait choisis ni dans l'Aréopage, ni dans le sénat de Rome, ni parmi les scribes, les docteurs de la loi, les princes de la synagogue; c'étaient de simples pêcheurs, des hommes de la dernière classe du peuple, sans éducation, sans lettres, sans science, sans richesses, sans crédit, sans aucune considération aux yeux du monde; des gens dépourvus, du côté de la nature, de tout avantage capable de faire la moindre impression sur les esprits. En un mot, ils n'avaient rien d'eux-mêmes qui pût accréditer leur mission auprès des peuples, des prêtres, des philosophes, des magistrats et des rois; tout en eux, au contraire, ne pouvait que décrier leur doctrine et faire échouer leur projet loin de trouver un appui dans ses propres fondateurs, le christianisme naissant les avait plutôt contre lui-même; leur ignorance et leur condition ne pouvaient que l'avilir et le faire mépriser des peuples. Ce n'est donc point aux qualités personnelles des apôtres que l'on doit attribuer l'établissement du christianisme.

781. Non-seulement ils n'avaient pas pour eux la science et l'influence que peut donner une haute position sociale; mais ils n'ont trouvé l'une et l'autre que dans ceux à qui ils ont prêché Jésus-Christ. Étant aussi grossiers qu'ignorants, ils ont eu à lutter contre les grandeurs de la terre et les lumières de leur siècle, du siècle d'Auguste, le plus poli et le plus éclairé de tous les siècles qui s'étaient écoulés depuis la création, de ce siècle si fécond en chefs-d'œuvre de tout genre. L'empire romain était rempli de phijosophes, d'orateurs, de rhéteurs, de poëtes et d'historiens, Jamais

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