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CHAPITRE VI.

De l'objet de l'infaillibilité de l'Église.

1053. L'Église est infaillible sur tous les points de la doctrine de Jésus-Christ; elle est infaillible sur tout ce qui appartient au dogme, à la morale et au culte divin. « Allez, dit Jésus-Christ à ses apôtres; enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur apprenant à observer < toutes les choses que je vous ai commandées. Voilà que je suis « avec vous jusqu'à la consommation des siècles (1). Tu es Pierre, « et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer « ne prévaudront point contre elle (2). Quand l'Esprit de vérité sera « descendu sur vous, il vous enseignera toute vérité (3). » Or, les promesses de cette assistance, je suis avec vous, n'ont point de restriction; car Jésus-Christ n'en apporte aucune quand il dit : Je suis avec vous, et quand il dit : Les portes de l'enfer ne prévaudront point. Il ne dit pas, Je suis avec vous dans certains articles, et je vous abandonne dans les autres; il ne dit pas, L'enfer prévaudra dans quelques points, et, dans les autres, je rendrai ses efforts inutiles; il dit sans restriction: L'enfer ne prévaudra pas. Il n'y a pas là d'exception; il n'y a aucun endroit de sa doctrine que Jésus-Christ veuille abandonner à l'erreur. Au contraire, il a dit que l'esprit qu'il enverrait à ses apôtres leur enseignerait, non pas quelques vérités, mais toute vérité: docebit vos omnem veritatem. L'apôtre saint Paul nous dit que « les pasteurs sont établis de Dieu pour accomplir les fonctions du ministère, pour « travailler à la perfection des saints et à l'édification du corps « de Jésus-Christ, qui est l'Église, jusqu'à ce que nous arrivions à a la connaissance d'une même foi, et que nous ne soyons point ⚫ comme des enfants flottants à tout vent de doctrine (4). » Aussi nous lisons, dans le livre des Actes, que les apôtres s'étant assemblés à Jérusalem au sujet de la question des observances légales, ont prononcé sur la foi, la morale et la discipline, en décidant qu'on devait s'abstenir des souillures des idoles, dont le culte est

(1) Saint Matthieu, c. xxvm, v. 19 et 20. — (2) Ibidem, c. xvi, v. 18. (3) Saint Jean, c. xvi, v. 13. — (4) Épître aux Éphésiens, c. iv, v. 11, etc.

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évidemment contraire à la foi; de la fornication, qui est contraire à la morale; de l'usage du sang et des chairs suffoquées, ce qui appartient à la discipline (1). Au reste, ce que nous avons dit de l'unité, de la sainteté et de l'autorité de l'Église, prouve surabondamment que l'infaillibilité comprend les vérités révélées et les préceptes évangéliques, qu'elle s'étend à toutes les questions qui intéressent la foi et les bonnes mœurs. Nous ne parlerons donc ici que des faits dogmatiques, de la discipline générale considérée dans ses rapports avec le dogme et la piété chrétienne, des constitutions monastiques, de la canonisation des saints, et de la liturgie.

ARTICLE I.

Des faits dogmatiques.

1054. On appelle faits dogmatiques ceux qui sont intimement liés avec le dogme: par exemple, telle proposition, qui est hérétique, se trouve-t-elle dans tel ou tel écrit? Est-elle renfermée dans des livres de Luther, de Calvin, de Baïus, de Jansénius, de Quesnel, ou de tout autre écrivain? Voilà un fait dogmatique. Les cinq fameuses propositions extraites du livre de Jansénius, intitulé Augustinus, ayant été condamnées comme hérétiques par le pape Innocent X, dont la constitution a été reçue dans toute l'Église, les jansénistes distinguèrent le droit du fait. Les cinq propositions sont-elles hérétiques? C'est la question de droit. Les cinq propositions se trouvent-elles dans le livre de Jansenius? C'est la question de fait. D'après cette distinction, ils souscrivirent au jugement de l'Église quant à la question de droit, en convenant ou en affectant de convenir que les cinq propositions prises en ellesmêmes sont hérétiques; mais ils nièrent la question de fait, soutenant que ces propositions ne sont point dans le livre de Jansénius, que l'Église n'est point infaillible dans le jugement qu'elle porte sur le sens des livres, et qu'il ne lui est dû qu'un silence respectueux, lorsqu'elle condamne tel ou tel écrit comme hérétique ou dangereux pour la foi. Les jansénistes n'ont eu recours à la distinction entre le droit et le fait que pour se soustraire à la condamnation des erreurs qu'ils professaient en tenant aux opinions de l'Augustinus.

1055. Cette distinction n'est qu'un subterfuge; elle est contraire

) Actes des apôtres, c. xv, v. 20

à la croyance générale et constante de l'Église, et ne tend à rien moins qu'à rendre illusoires les promesses de Jésus-Christ. Aussi le pape Alexandre VII a déclaré, par la bulle de 1656, que les cinq propositions condamnées par Innocent X ont été tirées du livre de Jansenius, intitulé Augustinus, et qu'elles ont été condamnées dans le sens de l'auteur: in sensu ab eodem Cornelio intento damnatas fuisse declaramus ac definimus. Le même pape, par une bulle de l'an 1669, enjoignit aux archevêques, aux évêques, et à tous les ecclésiastiques tant réguliers que séculiers, aux docteurs et licenciés, à tous les principaux de colléges, maîtres et régents, de souscrire la formule suivante : « Je soussigné, N., me soumets « à la constitution apostolique d'Innocent X, donnée le 31o jour de « mai 1653, et à celle d'Alexandre VII, son successeur, donnée * le 16 octobre 1656; rejette et condamne sincèrement les cinq pro« positions tirées du livre de Jansénius, intitulé Augustinus, dans « le propre sens du même auteur, comme le siége apostolique les « a condamnées par les mêmes constitutions; je le jure. Ainsi « Dieu me soit en aide, et ses saints Évangiles! » Clément XI, par la bulle Vineam Domini Sabaoth, de l'an 1705, confirme les constitutions de ses prédécesseurs Innocent X et Alexandre VII, et condamne formellement le silence respectueux. Cette constitution ayant été reçue par presque tous les évêques, est devenue le jugement de l'Église universelle. Il est donc constant que l'Église catholique se croit infaillible, et qu'elle est réellement infaillible, quand elle prononce sur le sens d'un livre ou sur un fait dogmatique.

1056. Ce n'est pas au dix-septième siècle que l'Église a commencé de censurer ou d'approuver les livres; elle l'a fait depuis sa naissance et dans tous les temps. En condamnant les erreurs d'Arius, de Nestorius, de Pélage, et autres novateurs, elle a condamné en même temps leurs écrits. Le cinquième concile œcuménique, qui se tint en 553, n'eut pas d'autre objet que de décider si les trois chapitres, c'est-à-dire, les livres de Théodore de Mopsueste, les écrits de Théodoret contre saint Cyrille d'Alexandrie, la lettre d'Ibas à Maris, étaient infectés de l'hérésie nestorienne : il décida, en effet, qu'ils favorisaient cette hérésie, et défendit, sous peine d'anathème, d'en prendre la défense. Or, comment justifier cet anathème, si le concile n'a pas cru à l'infaillibilité de l'Église touchant le vrai sens d'un livre?

D'ailleurs, si l'Église pouvait se tromper sur le sens naturel et littéral d'un livre, elle pourrait par là même proscrire comme hé

rétique ou erroné un écrit qui serait véritablement orthodoxe, ou mettre entre les mains des fidèles un livre hérétique ou erroné qu'elle aurait faussement jugé exempt d'erreur : autant vaudrait-il dire sans détour que l'Église peut tomber dans l'hérésie. Évidemment il est impossible que l'Église soit infaillible en matière de religion, si elle ne l'est en même temps sur le sens des livres conformes ou contraires à la religion : ce serait en vain qu'elle condamnerait tel ou tel novateur comme hérétique, si elle pouvait se tromper sur le sens des paroles ou des écrits de ce novateur. Il est donc certain que l'infaillibilité de l'Église s'étend sur les faits dogmatiques, ou sur le sens des livres.

Remarquez que lorsque l'Église condamne une proposition dans le sens de l'auteur, elle ne prétend pas que l'auteur a véritablement eu tel sens dans l'esprit en écrivant; c'est là un fait purement personnel, qui n'intéresse en rien la foi des fidèles ; mais elle entend que la proposition a naturellement et littéralement tel sens. Cela s'appelle le sens de l'auteur, parce que l'on doit présumer qu'un écrivain a eu dans l'esprit le sens que ses expressions présentent d'abord à tout lecteur non prévenu. Quand on dit, Consultez tel auteur, cela signific, Consultez son livre ; si on ajoute, Vous entendez bien, vous entendez mal cet auteur, c'est comme si l'on disait: Vous prenez ou vous ne prenez pas le sens naturel et littéral des termes dont s'est servi l'auteur.

ARTICLE II.

De la discipline générale.

1057. La discipline ecclésiastique est l'ensemble des règlements extérieurs établis par l'Église. Cette discipline est générale ou particulière: elle est générale, quand ses règlements émanent du pouvoir souverain et obligent tous les fidèles, ou du moins toute une classe de fidèles, sauf les exceptions accordées ou consenties par le législateur; elle est particulière, comme le mot l'indique, lorsqu'elle se restreint à un ou à plusieurs diocèses, à une ou à plusieurs provinces ecclésiastiques. Or, il ne s'agit pas ici de la discipline particulière; elle peut être plus ou moins défectueuse, puisqu'un diocèse, une province, quelque considérable qu'elle soit, peut errer, même sur la foi. Mais il n'en est pas de mème de la discipline générale; elle ne peut jamais être contraire ni à

la foi, ni aux mœurs, ni à la piété chrétienne, ni à la perfection évangélique. Autrement, malgré sa promesse, Jésus-Christ cesserait d'être avec son Église, et l'on pourrait refuser d'obéir à l'Église sans encourir l'anathème qu'il a prononcé lui-même lorsqu'il a dit : « Si quelqu'un n'écoute pas l'Église, qu'il vous soit « comme un païen et un publicain; Si Ecclesiam non audierit, « sit tibi sicut ethnicus et publicanus. » La discipline, il est vrai, eut changer ou varier, suivant les temps et les lieux ; mais ce qui ne change pas, ce qui ne varie pas, c'est le droit que l'Église a toujours exercé en matière de discipline, à l'exemple des apôtres. Tel ou tel règlement n'est point un article de foi, puisqu'il n'a pas pour objet une vérité révélée; mais il est de foi que l'Eglise ne se trompe pas en portant tel ou tel règlement qu'elle juge utile à la conservation du dogme catholique, ou des bonnes mœurs, ou du respect dû aux choses saintes; il est de foi qu'elle n'enseigne rien, qu'elle n'approuve rien, et qu'elle ne fait rien contre la doctrine de Jésus-Christ, qui comprend le dogme et la morale quæ sunt contra fidem aut bonam vitam, nec approbat, nec tacet, nec facit (1). De toutes les lois générales ecclésiastiques, il n'en est aucune qui, eu égard au temps où elle a paru et à la fin que se proposait l'Église, n'ait été vraiment utile à la religion; aucune qui n'ait plus ou moins de rapport ou avec le dogme, ou avec la morale évangélique, ou avec la piété chrétienne. Aussi l'immortel Pie VI, réfutant les erreurs de la constitution civile du clergé, décrétée par l'assemblée nationale de France de l'an 1790, enseigne, dans un bref aux évêques de cette assemblée, que la discipline tient souvent au dogme, et qu'elle ne contribue pas peu à en conserver la pureté: Præmittendum ducimus quantum sacra disciplina cohæreat dogmati, et ad ejus puritatis conservationem influat (2).

ARTICLE III.

Des constitutions monastiques,

1058. Dès les premiers siècles, on a vu des chrétiens qui, à l'imitation de saint Jean-Baptiste et des prophètes, se retiraient

(1) Saint Augustin, lettre cxix. (2) Bref du 10 mars 1791, aux évêques de l'assemblée nationale, concernant la constitution dite civile du clergé de France.

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