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plus habile que celui qui avait employé le mot qu'il mettait de côté; et, à la vue de tout le peuple, il se leva de son siége et s'en alla (1). Théodoret rapporte un fait qui lui était personnel : Tatien, chef des Encratites, avait composé une concordance des quatre Évangiles, connue sous le nom de Diatesseron, retranchant des livres sacrés ce qui lui paraissait contraire à ses erreurs. Plusieurs fidèles, ne s'apercevant pas de la fraude, lisaient cet ouvrage avec simplicité, comme un abrégé des Évangiles. Mais Théodoret l'ayant remarqué, supprima tous les exemplaires du Diatesseron, et leur substitua les quatre Évangiles tels qu'ils étaient reçus dans l'Église (2).

139. Saint Jérôme, chargé par le pape Damase de la correction des livres saints, craint de l'entreprendre, prévoyant qu'il va soulever les réclamations de tous les fidèles. Quel est, dit-il, celui - qui, prenant ma traduction en main, et s'apercevant de la diffé«rence de ce qu'il lira et de ce qu'il a, pour ainsi dire, sucé avec « le lait, ne s'écrie aussitôt, et ne me traite de faussaire et de sacrilége, m'accusant d'avoir osé faire quelques changements, quelques additions et retranchements dans les exemplaires (3)? » Aussi, saint Augustin, dans une de ses lettres à saint Jérôme, nous apprend le mauvais effet que cette version avait produit parmi les fidèles : un évêque l'ayant lue dans son église, on remarqua dans la prophétie de Jonas quelque chose qui différait de ce qu'on avait coutume d'entendre et de chanter, et il se fit un grand tumulte dans l'assemblée; les Grecs surtout accusèrent l'évêque de falsifier le texte : alors l'évêque, craignant d'être abandonné de son troupeau, se rétracta comme s'il avait fait une faute (4). C'est pourquoi saint Augustin ne faisait point lire à l'église la version de saint Jérôme il craignait, disait-il, de paraître proposer quelque chose de nouveau et de scandaliser les peuples; ne tanquam novum aliquid proferentes magno scandalo perturbemus plebes Christi (5). Tel était l'esprit des chrétiens touchant les Écritures, qu'ils ne croyaient pas qu'on pût y changer un seul mot, même

(1) Triphillius, citant ces paroles de Notre-Seigneur, Tolle grabatum tuum et ambula, avait substitué le mot scimpodium au mot grabatum. Sozomène, Hist. Eccl., liv. 1, ch. x1. — (2) Théodoret, Compendium des fables hérétiques, ch. XX.(3) Quis doctus pariter vel indoctus, cum in manus volumen assumpserit, et a saliva quam semel imbibit, viderit discrepare quod lectitat, non statim erumpat in vocein me falsarium, me clamitans esse sacrilegum, qui audeam aliquid in veteribus libris addere, mutare, corrigere? Præf. in quatuor Evangelia. (4) Lettre LXXI. (5) Lettre LXXXII.

sous prétexte de correction, et lorsque le sens ne devait pas en souffrir. Or, ce respect pour les livres saints, et particulièrement pour les livres du Nouveau Testament, cette vénération pour le dépôt de notre foi, cette espèce de culte que les martyrs, les évêques, les prêtres, les simples fidèles, avaient pour les Évangiles, n'est-il pas une garantie plus que suffisante de leur intégrité? Y a-t-il dans le monde un livre quelconque, et de quelque nature que ce soit, dont l'altération ait été, nous ne disons pas plus difficile, mais aussi difficile que celle des livres évangéliques? Non, il n'a pas été possible d'en altérer la substance. Cependant con

tinuons.

§ 1. Preuve tirée de l'impossibilité de toute altération substantielle.

140. Le respect des chrétiens pour les livres du Nouveau Testament a dû nécessairement en multiplier les copies à l'infini. Nonseulement les évêques, les prêtres, les lecteurs qui étaient chargés d'office de certaines lectures publiques, mais les simples fidèles eux-mêmes, en général, avaient une connaissance assez distincte des saintes Écritures. Ils les avaient dans leurs familles ; ils les lisaient habituellement; ils les portaient avec eux en voyage, et les méditaient jour et nuit. Ceux d'entre eux qui ne pouvaient en faire une étude particulière, les connaissaient au moins par l'usage où l'on était de les lire publiquement au peuple assemblé pour la célébration des saints mystères. Cette lecture a toujours été, dès les premiers siècles, comme une partie essentielle de la liturgie sacrée, de l'office divin. Saint Justin nous en parle comme d'une chose qui se pratiquait de son temps dans toute l'Église, comme d'un usage par conséquent dont l'origine remonte au berceau du christianisme. Écoutez ce qu'il dit : « Le jour du soleil (le dimanche), tous ceux qui se trouvent à la ville ou à la campagne s'as« semblent en un même lieu, suivant que le temps le permet; on « lit les commentaires des Apôtres et les écrits des prophètes. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours au peuple, pour l'exhorter à imiter de si belles choses. Puis nous nous << levons tous ensemble pour faire nos prières; après quoi on offre le pain et le vin (1) pour la consécration eucharistique. »

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(1) Solis die, omnium sive urbes sive agros incolentium in eumdem locum fit conventus, et commentaria Apostolorum aut scripta prophetarum leguntur,

141. En un mot, on peut dire que jamais livre ne fut plus connu, plus répandu, plus populaire, que les livres du Nouveau Testament. Or, il est certain qu'un ouvrage est d'autant plus à l'abri de toute altération, que les exemplaires en sont plus multipliés : l'interpolation ne pouvant être générale, à moins qu'on ne parvienne à changer toutes les copies, la difficulté du succès augmente en raison du nombre des exemplaires. Que serait-ce si ce grand nombre de copies était dispersé dans des régions éloignées, et parmi des peuples qui n'eussent aucun commerce entre eux? Supposons qu'aujourd'hui on entreprenne de changer quelques versets des Évangiles: il faudrait commencer par anéantir tous les exemplaires imprimés et manuscrits répandus dans le monde. Or, toutes les puissances de la terre, fussent-elles réunies, n'en viendraient jamais à bout: on exterminerait plutôt tous les peuples qui ont quelque connaissance du christianisme. Mais si la chose est impossible maintenant, elle l'a toujours été, puisque, depuis le temps des apôtres jusqu'à nous, il y a toujours eu des églises chrétiennes dans les différentes parties de l'univers, en Orient et en Occident; il y a toujours eu par conséquent une multitude d'exemplaires des livres du Nouveau Testament (1).

142. Dira-t-on que toutes les églises, quoique dispersées, ont pu s'accorder entre elles pour corrompre les livres saints? Mais plus on suppose cet accord général et unanime parmi les chrétiens, plus cette supposition est absurde, plus elle répugne aux lois de la nature. Que deviendrait la société, que deviendrait le genre humain, si des peuples entiers étaient capables d'entrer dans un tel complot, sans que personne élevât la voix contre l'imposture, sans qu'on pût même assigner l'époque, ni nommer les premiers auteurs de l'attentat? Direz-vous qu'il y a eu des faussaires assez adroits ou assez puissants pour faire adopter l'interpolation des Ecritures par tous les chrétiens? Mais, de grâce, faites-nous donc connaître ces imposteurs. Dites-nous de quelle partie du monde est sortie la fraude, quelles ont été ses premières conquêtes, comment elle a pu porter ses ravages partout, et bouleverser les croyances des évêques, prêtres, de tous les fidèles, sans rencontrer la moindre contradiction! Il est bien vrai que dans tous les temps il y a eu des nova

des

quoad licet per tempus. Deinde, ubi lector desiit, is qui præcest admonitionem verbis et adhortationem ad res tam præclaras imitandas suscipit. Postea omnes simul consurgimus, et preces emittimus : atque ubi desiimus precari, panis offertur, et vinum, et aqua. Apol. 1, no Lxvn. Édit. des Bénédictins, Paris, 1742, in-fol. (1) Duvoisin, Autorité du Nouveau Testament, c. xvш, art. 1.

teurs, et il y en aura toujours. Il y a eu des chefs de sectes, mais ils sont connus: sans parler des Cérinthe, des Marcion, des Valentin, on connaît les Arius, les Macédonius, les Pélage, les Nestorius, les Eutichès; et l'on ignorerait jusqu'au nom de celui qui, au lieu d'attaquer, comme ces hérésiarques, quelque dogme particulier, aurait tenté de falsifier les livres des apôtres, et aurait réussi à y insérer des faits, des miracles, des prédictions et des mystères qui sont un scandale pour les Juifs, une folie pour les Grecs! Non, évidemment, il n'était pas plus possible d'altérer ainsi les livres évangéliques que de les fabriquer après coup.

143. Nous irons plus loin si vous persistez à soutenir que ces livres ont été altérés, permettez-nous de vous demander encore par qui ils l'ont été. Ils n'ont pu l'être que par les catholiques, ou par les hérétiques, ou par les Juifs, ou par les païens. Ils ne l'ont pas été par les catholiques: s'ils avaient osé se permettre la moindre tentative à cet égard, les hérétiques, dont la souche remonte aux temps apostoliques, quoiqu'ils ne descendent point les uns des autres, eussentils gardé le silence, eux qui ont toujours cherché à mettre les catholiques en défaut? N'eussent-ils pas crié au scandale, à l'imposture? Certes, c'eût été une belle occasion de confondre ceux qui les traitaient de novateurs. Cependant ces reproches, de la part des sectaires, à l'égard des orthodoxes, ne se trouvent nulle part; l'histoire n'en fait point mention, ou, comme nous le voyons dans Tertullien (1), elle n'en parle que pour la confusion de ceux qui se les étaient permis. Les hérétiques de tous les temps ont bien accusé l'Église de mal interpréter les Écritures; mais de les avoir altérées dans le sens des incrédules, jamais. Elles n'ont point été non plus altérées par les hérétiques : il est vrai que quelques-uns d'entre eux, parmi les anciens, ont tenté de le faire, non pour ce qui regarde les miracles, mais pour quelques textes qui étaient contraires à leurs erreurs; encore leur tentative est-elle demeurée infructueuse. Aussitôt qu'ils commencèrent à publier leurs exemplaires falsifiés, la fraude fut découverte, et étouffée par les réclamations des catholiques, qui leur opposèrent l'ancienneté et l'universalité de leurs exemplaires. Les efforts des Marcionites, des Valentiniens et des Manichéens n'ont pas eu d'autre résultat que de prouver l'impuissance où ils étaient de corrompre les Évangiles, tout en

(1) Liv. Iv, contre Marcion, ch. 1, IV, etc.; Liv. des Prescriptions, ch. xxxvn. -Voyez aussi S. Augustin, de l'utilité de croire, ch. ш, no 7, et liv. xi, contre Fauste, ch. u, m et iv, etc

nous donnant une nouvelle preuve de leur intégrité. Comment, en effet, l'Église catholique, qui n'a jamais souffert aucune nouveauté, ainsi que nous l'apprend l'histoire, eût-elle souffert qu'on altérât les livres dont elle était dépositaire, pour ce qui regarde les faits, les miracles et les dogmes de Jésus-Christ? Il faut donc recourir aux Juifs et aux païens. Mais une telle supposition tombe d'ellemême. Quoi! les Juifs auraient falsifié les Évangiles, en y insérant des faits qui sont un sujet d'opprobre pour la synagogue! Comment d'ailleurs auraient-ils pu en imposer à tous les chrétiens? Et les païens auraient cherché à faire triompher le christianisme, tandis qu'ils sévissaient contre les chrétiens, uniquement parce qu'ils étaient chrétiens, parce qu'ils confessaient Jésus-Christ! Non, les livres évangéliques n'ont pu être altérés ni par les païens ni par les Juifs, ni par les hérétiques, ni par les catholiques. Donc, encore une fois, ces livres sont parvenus jusqu'à nous tels, quant au fond de l'histoire et de la doctrine, qu'ils sont sortis de la plume de ceux qui les ont écrits.

144. Enfin, nous pouvons accabler nos adversaires par une preuve de fait qui est sous nos yeux. On peut leur dire : Nous pos sédons un grand nombre d'ouvrages des Pères des premiers siècles de l'Église ; et l'on ne sache pas qu'aucun incrédule ait eu la pensée de dire que tous ces écrits auraient pu être supposés ou falsifiés par un imposteur. C'est comme si on disait que tout ce qui nous reste des anciens auteurs profanes, poêtes, rhéteurs, historiens, philosophes, qui ont paru en différents siècles, pourrait bien avoir été corrompu par un ou plusieurs faussaires: cette idée ne serait pas un paradoxe, mais une extravagance. Eh bien! si vous parcourez les écrivains de l'antiquité chrétienne, vous verrez que, dans leurs commentaires, dans leurs traités dogmatiques, dans leurs homélies et leurs livres de morale, ils ont transcrit en quelque sorte le Nouveau Testament tout entier ; vous y trouverez le sens et presque toutes les paroles mêmes des Évangiles; en sorte que si, par impossible, ces livres venaient à disparaître tout à coup, on parviendrait à les refaire en rassemblant les citations éparses dans les auteurs ecclésiastiques. Donc les Évangiles que nous avons entre les mains sont conformes aux Évangiles qu'on isait dans la plus haute antiquité; donc, en traversant les siècles, ils n'ont souffert aucune altération essentielle (1).

(1) Duvoisin, l'Autorité des livres du Nouveau Testament, ch. xvIII, art. II; M. Frayssinous, Défense du christianisme, conf, sur l'autorité des Évangiles; Bergier, Abbadie, etc.

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