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fourbe, non-seulement aux yeux de son peuple, mais aux yeux de toutes les nations! Non, encore une fois, il n'entrait point dans l'esprit de Moyse de vouloir tromper les Juifs.

167. Troisièmement: en supposant même qu'il eût voulu les tromper, il ne l'aurait pas pu. Nous l'avons déjà dit: les faits qu'il raconte dans la seconde partie du Pentateuque sont des faits qui intéressaient souverainement toute la nation: il s'agissait du salut ou de la perte des Hébreux. Ce sont des faits sensibles qui étaient à la portée de tous, même des plus simples, des plus grossiers, des plus ignorants; des faits non clandestins, mais publics et notoires, qui se sont passés sous les yeux du peuple; ce sont des faits permanents, qui se renouvelaient tous les jours, des miracles qui ont duré près d'un demi-siècle. Or, évidemment, les Juifs n'ont pu être trompés sur des faits de cette nature. En effet, si les prodiges dont parle Moyse ne sont que des fables, comment aurait-il pu persuader aux Israélites, au nombre de deux millions, qu'à sa voix toutes les eaux en Égypte avaient été changées en sang, à l'exception de celles qui étaient à leur usage dans la terre de Gessen; que des nuées de reptiles et d'insectes avaient désolé tout le pays; que la peste, les ulcères, la grêle, avaient couvert l'Égypte entière pendant trois jours ; que dans une nuit tous les pre.niers-nés parmi les Égyptiens avaient été mis à mort par un ange exterminateur? Par quel art, quel secret, quel enchantement, aurait-il pu les abuser, et leur faire croire que la mer s'était entr'ouverte sous leurs pas pour leur offrir un passage, et que l'armée de Pharaon, qui les poursuivait, avait été engloutie sous les flots; qu'une nuée lumineuse éclairait et dirigeait leur marche; que Dieu s'était montré sur le mont Sinaï avec l'appareil le plus formidable, et qu'ils avaient été saisis de frayeur au bruit de sa voix, à la vue des éclairs et de la montagne en feu; que, durant leur pèlerinage dans le désert, ils avaient recueilli pour nourriture une manne qui tombait du ciel chaque jour de la semaine, excepté le jour du sabbat; que, dans leur soif, ils avaient été désaltérés par des torrents d'eau vive sortant des rochers, au commandement de leur chef; que leurs vêtements s'étaient conservés pendant quarante ans? Non, Moyse n'aurait pu leur persuader qu'ils avaient vu de leurs yeux, pendant des années entières, ce qu'ils n'auraient pas vu. Quelque habile que soit un imposteur, il n'arrivera jamais jusque-là; la crédulité des hommes a des bornes; il est un terme que l'imposture ne saurait passer, sous peine pour le genre humain d'être condamné au scepticisme le plus désespérant. Si on veut qu'une nation tout entière

soit capable de prendre les illusions de l'imagination pour des faits notoires en ce qui concerne ses annales, son gouvernement et son culte, il ne nous restera plus rien de certain dans l'histoire; on pourra faire passer les batailles de Pharsale et d'Actium, la conquête des Gaules par César, pour des fables ou des imaginations de fanatiques.

168. Vous nous direz peut-être que les Juifs ne croyaient pas aux miracles de Moyse, et qu'ils se sont entendus avec lui pour composer cette merveilleuse histoire, soit pour se faire valoir aux yeux des nations, soit pour attacher leurs descendants à la religion qu'ils avaient établie dans le désert. Les Juifs, dites-vous, ne croyaient pas aux miracles de Moyse! Mais s'ils n'y croyaient pas, comment expliquez-vous leur conduite? N'est-ce pas alors le comble du délire et de l'extravagance? Obéir pendant quarante ans à un imposteur connu pour tel, se soumettre aveuglément à toutes les lois qu'il lui plaît de dicter, se laisser tranquillement égorger par ses ordres, uniquement pour n'avoir pas fait sa volonté, c'est un excès de stupidité qui ne se conçoit point; ce serait, dans toute une nation, un prodige de démence, nous ne dirons pas une fois, mais mille fois plus étonnant que tous les miracles du Pentateuque. Vous prétendez qu'ils ont pu concerter l'imposture avec Moyse par un motif de vanité ou par zèle pour la religion. « Quel etrange sys<< tème ! quelle chimère! Quoi! deux millions d'hommes se seront « accordés à tracer le plan d'une imposture qui devait durer qua« rante ans ! Ils auront dit à Moyse: Vous inventerez les prodiges les plus éclatants, vous composerez la fable la plus absurde, et « nous et nos enfants nous feindrons de croire tout ce qu'il vous « aura plu d'imaginer; nous nous obligerons solennellement à vous révérer comme l'envoyé du ciel; vous nous imposerez une loi ⚫ sévère, une religion pénible, chargée d'observances minutieuses; « la moindre contradiction sera punie de mort. Nous vous suivrons « dans les déserts les plus arides; et s'il nous échappe quelque mur« mure, vous nous décimerez, et vous cimenterez votre pouvoir du sang de quarante à cinquante mille victimes. N'est-ce pas insulter « à la raison humaine, que de supposer un semblable pacte entre « un fourbe et toute une nation? Et pourquoi encore? Pour laisser « à la postérité une religion toute fondée sur l'imposture, une religion qui devait faire le malheur des enfants comme elle avait fait

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celui des pères ! Le beau projet! qu'il est conforme aux sentiments

de la nature! et que ceux qui le prêtent à tout un peuple connais« sent bier le cœur humain ! Si on veut que ce soit la vanité qui

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ait présidé à la confection de ce roman, pourquoi les Juifs se sont-ils interdit tout commerce avec les étrangers, et leur ont-ils dérobé si longtemps la connaissance de leurs livres et de leur religion? Pourquoi a-t-on mêlé à cette histoire un si grand nombre de faits capables de déshonorer la nation juive et ses ancêtres? « Quelle gloire la famille d'Aaron et la tribu de Ruben pouvaient« elles se promettre des crimes et du supplice de Nadab, d'Abiu, « de Dathan et d'Abiron ? Et l'adoration du veau d'or, et les mur• mures continucls des Israélites, et les reproches amers du légis« lateur, et l'arrêt qui condamne toute cette génération à errer a pendant quarante ans et à périr dans le désert, sans pouvoir en<< trer dans la terre promise, sont-ce là des traits destinés à conci« lier aux Hébreux l'estime des autres peuples (1)? » Évidemment on doit rejeter comme absurde la supposition d'un complot entre le peuple juif et son législateur, tendant à tromper la postérité.

Résumons: Moyse n'a pu se tromper sur les faits qu'il rapporte dans la seconde partie du Pentateuque; il n'a pas voulu tromper les Israélites ; il n'aurait pas pu les tromper quand même il l'aurait voulu: donc les faits et les miracles dont il nous a fait le récit sont vrais, certains, incontestables.

169. Cette conclusion se trouve confirmée par des institutions, des monuments qui rendent l'histoire de Moyse sensible à tous les yeux. La fête de Pâques, celles de la Pentecôte et des Tabernacles; l'usage de racheter les premiers-nés; les cantiques sacrés en usage chez les Hébreux, tel que celui où Moyse célèbre le passage de la mer Rouge; le vase plein de manne et la verge miraculeuse d'Aaron, déposés dans le Tabernacle; les deux Tables de la loi, placées dans l'Arche d'alliance; les lames d'airain, attachées à l'autel comme un mémorial du crime et de la mort des lévites téméraires qui avaient voulu usurper le sacerdoce; une foule de rites et de cérémonies publiques, tout cela rappelait aux Juifs et leur rendait comme présents les prodiges qui avaient signalé leur sortie d'Égypte, la promulgation de la loi, et le séjour de la nation dans le désert. « Il y a, en quelque sorte, deux histoires de Moyse: l'une qui est écrite dans les livres qui portent son nom, l'autre qui est « comme gravée dans les cérémonies et dans les lois observées par ⚫ les Juifs, dont la pratique était une preuve vivante du livre qui

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(1) Duvoisin, l'Autorité des livres de Moyse, part. 1. ch. ш. Voyez aussi le Discours sur les preuves des livres de Moyse, imprimé à la suite des Pensées de Pascal; la Défense du Christianisme, par l'évêque d'Hermopolis; conf. sur le Pentateuque; Bergier, etc.

« les ordonnait, et même de ce qu'il contient de plus merveil« leux (1). » Sans doute les monuments, s'ils sont de beaucoup postérieurs aux événements, ne sont pas toujours par eux-mêmes une preuve décisive; mais lorsque, dans une nation, son histoire, ses traditions orales, ses fêtes religieuses et civiles, ses institutions, remontent à la même époque, au mème temps où les faits se sont accomplis, comment n'être pas frappé de leur accord, et ne pas convenir que cet ensemble parfait a sur tout esprit raisonnable une force invincible?

§ II. De la vérité des faits rapportés dans la Genèse.

170. L'histoire des Hébreux, depuis leur sortie d'Égypte jusqu'à leur entrée dans la terre promise, est digne de foi: Moyse est donc l'envoyé de Dieu. De l'aveu de tous, cette histoire, une fois admise comme véritable, nous offre les preuves les plus frappantes de la divinité de sa mission; ce législateur se présente de la part de Dieu, il parle et agit au nom de Dieu, et donne pour lettres de créance les miracles qu'il fait au nom de Dieu. Aussi a-t-il toujours été regardé chez les Juifs comme l'envoyé de Dieu, comme un législateur inspiré de Dieu, comme un auteur sacré. Or, ce même Moyse est l'auteur de la Genèse comme des autres livres du Pentateuque; c'est celui-là même dont l'inspiration divine est si bien établie, qui a écrit l'histoire de la création, du déluge et des patriarches: donc les faits rapportés dans l'histoire de la Genèse sont vrais; Dieu ne saurait permettre que celui qui commande à la nature en son nom enseigne l'erreur: autrement l'erreur retomberait sur Dieu même.

171. Cependant il ne faut pas croire que le législateur des Juifs ait manqué de moyens humains pour composer l'histoire de la Genèse. Les traditions du genre humain conservées par les patriarches, les monuments, les cantiques, qui étaient en usage chez les Hébreux comme chez les autres peuples, et vraisemblablement les mémoires écrits dans les premiers temps, ont pu l'instruire des faits passés, sans qu'il eût besoin d'une révélation particulière et immédiate de la part de Dieu, pour tout ce qu'il raconte dans cette première partie du Pentateuque. « Voilà, dit Bossuet, les moyens dont Dieu s'est servi pour conserver jusqu'à Moyse la mémoire * des choses passées. Le grand homme, instruit par tous ces moyens, « et élevé au-dessus par le Saint-Esprit, a écrit les œuvres de Dieu

(1) Bossuet, Discours sur l'hist, univ., part. 11, no ma

◄ avec une exactitude et une simplicité qui attire la croyance, non « pas à lui, mais à Dieu même (1). » Pour recueillir l'histoire des siècles passés, celle d'Adam, celle de Noé, celle d'Abraham, celle d'Isaac, celle de Jacob et celle de Joseph, il ne lui fallut pas déterrer de loin toutes les traditions de ses ancêtres. Il naquit cent ans après la mort de Jacob. Les vieillards de son temps avaient pu converser avec ce patriarche; la mémoire de Joseph et des merveilles que Dieu avait faites par ce grand ministre du roi d'Égypte était encore récente. La vie de trois ou quatre hommes remontait jusqu'à Noé, qui avait vu les enfants d'Adam, et touchait, pour ainsi dire, à l'origine des choses.

172. D'ailleurs, les traditions primitives, répandues parmi les anciens peuples, se trouvent d'accord avec la narration de Moyse sur les principaux faits de l'histoire de la Genèse, savoir sur la formation du monde, sur la création de l'homme, son innocence et sa félicité dans le paradis terrestre, sa chute et sa dégradation, sur la longévité des patriarches, sur le déluge et la renaissance du monde par les trois enfants de Noé, sur la tour de Babel, la confusion des langues et la dispersion des hommes. Ces faits, ainsi que plusieurs autres, quoique plus ou moins altérés, sont rapportés par les anciens auteurs profanes, et on en trouve des vestiges chez toutes les nations.

173. Selon la Genèse, Dieu créa le ciel et la terre : la terre était toute nue, inanis et vacua; les ténèbres couvraient la face de l'abîme d'eau, où la terre était comme absorbée. L'Esprit de Dieu, c'est-à-dire, suivant plusieurs interprètes, le souffle de Dieu, un vent violent était porté sur les eaux, les disposant à produire les ètres qui en devaient sortir. Le verbe hébreu marque l'action d'un oiseau qui couve ses œufs. On y voit aussi que la terre et la mer produisirent les animaux. Or nous trouvons les vestiges de ce récit dans les fragments qui nous restent des plus anciens historiens. Sanchoniaton, auteur phénicien, antérieur à la ruine de Troie, parle du chaos ou d'un air ténébreux qui a précédé la naissance du monde. Il nous montre ensuite une essence spirituelle, éternelle, donnant la forme et le mouvement à la matière. Il dit que l'univers était alors dans le limon comme dans un œuf; ce qui se rapporte bien à ce que dit Moyse, lorsqu'il nous représente l'action de l'Esprit de Dieu sur la matière par l'idée d'un oiseau qui s'excite à la production. Macrobe dans ses Saturnales, Linus et Anaxagore nous

(1) lbid.

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