Page images
PDF
EPUB

que c'est avec vous surtout que je dois le faire, parce que c'est vous qui êtes dépositaire de la seule déclaration écrite qui m'ait été demandée, parce que c'est à votre ministère que des dépositions relatives aux faits rapportés dans cette déclaration out été reçues; enfin, parce que si le ministre de l'intérieur luimême, qui, par les relations plus anciennes de subordination que j'ai avec lui, serait la première caution que j'invoquerais de mes sentimens, a pu s'étonner, s'inquiéter même de la conduite que j'aie tenue dans cette circonstance, je dois craindre à bien plus forte raison que vous, Monseigneur, de qui je suis moins ancienuement connu, vous n'ayez senti les mêmes doutes s'élever dans votre esprit.

A la vérité, vous ne m'en avez rien fait paraître lorsque je vous racontais si tranquillement ce que vous m'avez demandé de vous donner par écrit; mais que sais-je ? et dans le doute où je suis moi-même, ce qui est le plus raisonnable à faire, n'est-il pas de vous offrir les moyens d'éclaircir ceux que vous auriez pu concevoir.

Vous avez sous les yeux la déclaration écrite que vous m'aviez demandée; j'ai eu l'honneur de vous l'adresser hier dès huit heures du matin. Elle est conforme à tout ce que j'avais en l'honneur de vous dire la veille, à tout ce que j'avais dit auparavant à plusieurs personnes, et notamment dimanche dernier, à mon collègue Réal, en nous chauffant à nous deux au salon de Mars à Saint Cloud, après la messe.

De cette déclaration il résulte, quant au fait dont il s'agit; Qu'après avoir donné l'ordre de mettre des tables, je me suis retiré précipitamment chez moi; que tout en y rentrant, j'ai donné l'ordre de mettre mes chevaux pour aller chez le prince archi-chancelier; qu'un instant après, ou est venu me prévenir de l'arrivée de l'adjudant Laborde, qui apportait des ordres du ministre de la guerre, qu'alors je suis revenu en hâte à la grande salle; que là, tout s'étant éclairci, je suis retourné chez moi; en trouvant mes chevaux prêts, j'ai fait avancer aussitôt ma voiture au pied du grand escalier de l'hôtel de ville.

Si tous ces faits sont vrais, c'est à vous que j'en appelle, monseigneur; est-il possible de mettre en doute mon assertion que l'ordre donné pour placer des tables, n'a été qu'un moyen de mettre en confiance les gens à qui j'avais affaire, un moyen de leur échapper; en un mot, de recouvrer la liberté d'agir, et et de me rendre auprès du prince, pour lui rendre compte, m'éclairer et prendre ses ordres?

Eh bien! veuillez, monseigneur, prendre des informations sur ces faits; demandez à M. Saulnier, il vous dira que je n'étais pas dans la grande salle quand il y est arrivé, et qu'on lui a dit que je venais de me retirer chez moi. Etais-ce le cas, cependant de quitter cette salle, si j'avais à y protéger les opérations qui devaient s'y faire? Qu'on interroge les per

ionnes de ma maison, elles apprendront, et même avec une par ticularité dont le souvenir ne m'était pas resté, qu'en rentrant chez moi la première fois, j'ai demandé les chevaux avec une telle impatience, que ne trouvant personne sous ma main, j'ai ouvert la fenêtre de ma chambre à coucher pour crier à mon cocher qui sortait d'une remise, mes chevaux! mes chevaux! qu'averti par là, mon domestique de suite est venu me demander si l'on devait s'habiller et mettre la livrée; sur quoi j'ai répondu; eh! f......, il s'agit bien de livrée; venez en chemise si vous voulez, et dépêchons-nous. Demandez encore à M. Saulnier, et il vous dira qu'en effet, après son arrivée et celle de l'adjudant Laborde, on a été obligé de venir me chercher chez moi; que je suis revenu à la grande salle; que les choses s'y sont passées comme je le rapporte; et qu'il s'est retiré avec l'adjudant Laborde, et à leur suite tous ceux qui étaient dans la grande salle. Enfin, demandez, je ne sais plus à qui, au public, à tel de vos agens qui devait nécessairement se trouver dans la foule dont la place de l'hôtel de ville était couverte; demandez si ma voiture n'est pas arrivée. au pied du grand escalier, aussitôt après la sortie de l'adju dant Laborde et de M. Saulnier, chose qui n'aurait pu avoir lieu, si cette voiture n'avait pas éte préparée d'avance, d'après l'ordre que j'en avais donné avant l'arrivée de l'adjudant Laborde & de M. Saulnier.

Que voulez-vous que j'ajoute à tout cela, monsiegneur? S'il vous fallait encore quelque chose; si l'ensemble, si la concordance de tous ces faits, qui se démontrent et qui s'expliquent l'un par l'autre, ne vous suffisaient pas, eh bien! je vous l'avoue, je n'ai rien de plus; je ne saurais même avoir rien de plus à vous donner. Que dis-je! C'est même un bonhear extréme, un vrai coup du ciel, que j'aie cela à vous donner! Arrivant cinq minutes plus tard qu'ils n'ont fait, l'adjudant Laborde et M.Saulnier auraient appris, il est vrai, que j'étais en route pour me rendre chez monseigneur le prince archi-chancelier, et je sens bica que c'est là ce qui serait le plus décisif; mais quand, d'un autre côté, je frémis en songeant qu'arrivant au contraire quelques minutes plutôt qu'ils n'ont fait, ils auraient pu me trouver à l'instant même où je disais de mettre des tables, en sorte que je n'aurais plus, anjourd'hui pour me justifier que la seule affirmation de mes intentions, sans aucun fait matériel subséquent pour les vérifier; quand, dis-je, je frémis en songeant à cette derniére fatalité, qui pouvait se réunir à tant d'autres dont j'ai été obsédé dans cette funeste matinée du 23 Octobre, il faut bien que je me félicite de ce que les choses se sont du moins passées de manière que mes intentions se trouvent prouvées par ma retraite de la salle, et par mes préparatifs pour sortir de chez moi et me rendre chez le prince archi-chancelier.

Mais, m'a-t il été dit aussi par S. Exc. le ministre de l'inté

rieur, l'intention étant même prouvée, ce n'était pas là le parti qu'il fallait prendre. En ce cas, c'est une chose assez singulière, ou que mon jugement, ou que mon entêtement; car je déclare, avec toute la franchise dont je suis capable, que malgré le danger auquel je viens de reconnaître moi-même que le parti que j'ai pris aurait pu m'exposer, il me semble que me retrouvant dans des circonstances semblables c'est encore celuilà que je prendrais, non par peur, je le certifie, mais par un calcul semblable à celui qui a dirigé ma conduite dans la matinée du 23 Octobre.

En de pareilles conjonctures, il n'y a guère, je crois, qu'à choisir entre ceci.

Etre le plus fort quand on le peut, se faire tuer ou se laisser prendre quand il n'y a plus moyen de faire autrement, ou enfin louvoyer pour parvenir à recouvrer la liberté d'agir.

C'est ce dernier parti qui non-seulement m'a paru être, mais qui était, j'en demeure encore tout-à-fait convaincu, le plus convenable dans la circonstance. J'étais évidemment à la discrétion du commandant et de sa troupe; et sans pénétrer la chose comme elle était, je venais d'en voir assez dans la lettre que le commandant m'avait communiquée, pour juger que dans quelque système que ce fût, il allait y avoir un mouvement anarchique dont ceci était le début, et assurément il n'était pas en mon pouvoir, de moi, préfet de la Seine, d'arrêter ce mouve ment du milieu de mon cabinet.

Il était d'ailleurs assez naturel de supposer qu'au moindre mot d'humeur ou de reproche, les ordres qu'on devait avoir contre moi s'exécuteraient; au moyen de quoi, je ne verrais plus rien, ne serais bon à rien; et, au contraire, qu'en affectant autant de calme qu'il était possible d'en montrer, en ne brusquant rien, en feignant de ne rien voir que de très-simple dans ce qui m'était demandé, je mettrais en confiance les hommes qui m'observaient, je pourrais parvenir à les quitter sans leur laisser d'inquiétude, dans le moment même, sur la cause de mon absence, et cependant profiter de cette absence pour aller rendre compte, prendre des ordres, demander des moyens, et agir.

Toutefois le succès n'était pas absolument certain; mais le pis aller était que mon moyen ne me réussît pas; et c'était assez qu'il pût réussir, pour que je dusse le tenter, mais surtout le tenter tout-de-suite et avant l'arrivée de la commission qui semblait attendue; car alors les chances de succès devaient devenir bien autrement incertaines.

Voilà mes calculs, mes combinaisons, la cause de ma détermination à sortir de mon cabinet, à dire de mettre des tables, et à me retirer chez moi dès que je crus le pouvoir faire sans éveiller le soupçon des officiers; et plus j'y pense, plus je trouve qu'il était raisonnable à moi de m'attacher à ce parti.

Eh! sans doute, si j'avais su ce qui se passait en ce moment

sur d'autres points; si j'avais su que le prince archi-chancelier, était instruit de tout; que, par ses ordres, la force publique légitime était sur pied; que, dans moins d'un quart d'heure, l'hôtel de ville allait être délivré, je serais resté fort tranquille dans mon cabinet, avec le seul soin d'y prolonger le sejour de mes deux gardiens; et tout aurait fini le mieux du monde.

Mais, est-ce donc d'après ce qu'on trouverait aujourd'hui que j'aurais pu me contenter de faire alors qu'il faut me juger! et n'est-ce pas bien plutôt d'après ce qu'il était naturel que je songeasse à faire dans les circonstances telles qu'elles se présentaient à moi?

Or, il est de fait que j'ignorais absolument ce qui se passait ailleurs qu'à l'hôtel de ville, que je n'entendais même rien à ce qui s'y passait, sinon que, dans tous les systèmes, c'était une affaire de parti, un signal de troubles et de malheurs; enfin, que j'ignorais si le prince était informé.

Il l'était; toutes les mesures de préservation et d'ordre étaient prises. Mais encore une fois cen'est pas sur ce que tout était connu qu'il faut blâmer le parti que j'avais pris de me procurer le moyen d'aller dire ou m'instruire; supposez plutôt, ce qui n'était pas impossible en soi, et ce qui devait surtout être très-probable pour moi, puisque personne ne venait à moi, supposez que le prince n'eût pas été averti, que la force publique n'eût pas été encore mise en mouvement, que je fusse effectivement sorti après avoir fait tout ce que j'ai fait pour trouver le moyen de sortir, enfin que je fusse arrivé le premier auprès du prince, que le premier je lui eusse appris ce qui se passait: y aurait-il quelqu'un pour blâmer ni ma détermination, ni le moyen mis en usage pour l'exécuter.

Le parti auqel je me suis arrêté, était donc, au fond, sage et convenable, je dirai même le seul convenable; et s'il ne m'est pas permis de prétendre qu'en cela même est une nouvelle preuve que c'est bien à celui-là que je me suis arrêté, du moins puis-je eroire que ce ne sera pas non plus une preuve contraire, lorsque tant d'autres circonstances expliquent et caractérisent si bien le choix que j'en avais su faire comme de l'expédient le plus simple et qui devait être aussi le plus utile, une fois que l'exécution en serait seulement commencée avec succès.

En arrivant à la fin de cette lettre, qui, de toutes celles que j'ai pu écrire depuis douze ans, va me coûter le plus à signer, puisqu'elle n'est, dans le fait, qu'un assez long mémoire justificatif par faits et preuves, par propositions et démonstrations et où je n'ai cherché à établir la pureté de ma conduite que par sa justesse. Votre excellence s'attend peut-être à me voir invoquer ici, comme dernier moyen de détourner sa pensée des soupçons qu'e qu'elle aussi aurait pu concevoir, tout ce que j'aurais à dire, et de mon dévouement à l'empereur, et de ma reconnaissance pour tous les bienfaits que je tiens de lui, et du sentiment de mes deTOME IV. X X X X X

voirs envers lui, envers l'état, envers moi-même; en un mot, de toutes les sortes de liens qui garantissent ma fidélité. Non, Monseigneur, je ne vous parlerai pas de toutes ces choses au pied d'un tel mémoire; ou bien si j'écrirais sur cela dix lignes, je dé. chirerais tout le reste.

J'ai l'honneur de saluer V. Exc., Monseigneur, avec respect, FROCHOT.

(Signé)

Pour copie conforme,

Le ministre de la police générale,

Le duc de RoVIGO.

No. VIII,

CONSEIL D'ÉTAT.

Section de législation.

La section de législation qui, d'après l'ordre de S. M. a pris connaissance des informations et pièces relatives à la sédition du 23 Octobre dernier, ainsi que de la déclaration et de la lettre du comte Frochot, préfet de la Seine, des 23 et 30 Ootobre

dernier :

Et qui a délibéré sur la conduite dudit comte Frochot et le parti qu'il convient de prendre à son égard;

n'a

Est d'avis, à l'unanimité, qu'il est évident que le comte Frochot pas été complice de ladite sedition; mais qu'il n'a pas montré la présence d'esprit, le courage et le dévouement que la circonstance exigeait de sa part, et qu'ayant totalement oublié les obligations que les constitutions de l'empire, ses fonctions et son serment lui imposaient envers le prince impérial, l'intérêt public exige qu'il ne conserve pas la place de préfet du département de la Seine.

BOULAY, président; T. BERLIER, DELAMALLE,
REAL, BARTOLUCCI.

No. IX.

SECTION DE L'INTÉRIEUR.

La section de l'intérieur, convoquée par ordre de S. M., et où étaient les conseillers d'état en service ordinaire hors des sections; après lecture faite de toutes les pièces relatives à la conduite tenue par le compte Frochot, le 23 Octobre dernier, a entendu successivement les opinions motivées de chacun de ses membres, a résumé maintenant son opinion ainsi qu'il suit :

Dans les circonstances où le comte Frochot s'est trouvé le 23 Octobre, il faut distinguer les sentimens qu'il a éprouvés et la conduite qu'il a tenue.

« PreviousContinue »