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Le 20 brumaire an 8 (11 novembre 1799), les trois consuls, Buonaparte, Sièyes et Roger-Ducos, viennent, à quatre heures du matin, s'installer au palais du Luxembourg, et commencent immédiatement l'exercice de leurs fonctions. Par l'un des premiers actes de leur autorité. Cambacérès, Fouché, Reinhard et Bourdon sont continués aux ministères de la justice, de la police, des relations extérieures et de la marine; le général Berthier est appelé au ministère de la guerre, Gaudin à celui des finances, et Laplace à celui de l'intérieur; le secrétariat-général du gouvernement est confié à Maret et à Lagarde, et le commandement de la garde au général Murat. Le même jour, les consuls rendent un arrêté contre les cinquante-trois individus exclus de la représentation nationale; trente-sept sont condamnés à la déportation dans la Guyane française, et le reste à l'exil dans une des villes du département de la Charente-inférieure. Tous sont menacés de la perte de leurs propriétés, s'ils ne se rendent au lieu désigné pour leur résidence, ou s'ils en sortent sans en avoir obtenu la permission du gouvernement. On ne remarquait parmi les personnes portées sur cette liste, que le général Jourdan et Santhonax; tous les autres étaient d'obscurs et odieux révolutionnaires. Enfin, Buonaparte, agissant déjà comme s'il était l'unique maître de la France, s'empresse de publier une proclamation aux troupes de ligne, aux invalides et aux gardes nationales, pour leur témoigner sa satisfaction sur la conduite qu'ils ont tenue dans la journée immortelle du 19 brumaire. En s'adressant aux grenadiers qui lui ont sauvé la vie, lorsqu'il était près de tomber sous les coups des représentants armés de poignards, il leur dit qu'ils se sont couverts de gloire. En même tems les consuls adressent au peuple français une proclamation, dont nous transcrivons ce fragment: « La constitution de l'an 3 allait » périr; des atteintes multipliées lui avaient à jamais ravi >> le respect des Français. L'ordre social marchait rapide»ment vers une désorganisation complète. Les patriotes >> se sont entendus. Tout ce qui pouvait nuire à la nation » a été soigneusement écarté. Tout ce qui était resté pur » dans la représentation nationale s'est réuni sous les ban» nières de la liberté. La république française, raffermie » et replacée, dans l'Europe, au rang qu'elle n'aurait jamais dû perdre, verra se réaliser toutes les espérances » des citoyens. Jurez d'être fidèles, avec nous, à la répu

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blique une et indivisible, fondée sur l'égalité et le système » représentatif. »

Le 21 brumaire (12 novembre), le ministre des relations extérieures, Reinhard, écrit aux agents extérieurs de la France, pour leur faire connaître la loi qui a changé le gouvernement français, et l'a remplacé par une commission consulaire. Il les invite à communiquer immédiatement cet événement aux gouvernements près desquels ils résident, et à les assurer que les nouveaux chefs de l'éta t` sont animés du sincère désir de faire, avec toute l'Europe une paix honorable et solide. Le lendemain, Reinhard notifie aussi aux ministres étrangers, résidant à Paris, la loi du 19 brumaire, en leur tenant à peu près le même langage. On verra bientôt quelle confiance a inspiré aux puissances de l'Europe le nouveau gouvernement de fait introduit en France, et quel cas elles font des assurances qu'il leur donne de ses intentions pacifiques.

Le même jour, 21 brumaire (12 novembre), les chouans pénètrent dans la commune de Baugé; ils y restent environ trois heures; ils y veulent piller les caisses publiques; mais elles avaient été vidées trois ou quatre jours auparavant. Ils désarment les citoyens, et emmènent tous les chevaux qu'ils rencontrent. Cependant pas un républicain n'est tué; un seul est blessé : c'est le brigadier de la gendarmerie. Quelques jours auparavant, un autre rassemblement de chouans avait tenté une invasion à Vannes; il avait été promptement dissipé et mis en fuite par les citoyens réunis à la gendarmerie et aux troupes de ligne.

Les consuls avaient invité la commission législative du conseil des cinq-cents à examiner attentivement la lòi du 24 messidor précédent (12 juin 1799), relative aux otages, loi qui a produit des effets si funestes. La commission s'est empressée de répondre aux intentions des consuls. Le 22 brumaire (13 novembre), elle déclare, à l'unanimité, que cette odieuse loi est abrogée, que les individus, arrêtés en exécution de ses dispositions, seront sur-le-champ remis en liberté; et que tout séquestre, apposé en vertu de ces mêmes dispositions, sera immédiatement levé.

Lors de la retraite des armées d'Italie et de Naples, en 1799, le général Monnier, à la tête de deux mille. hommes environ, entra dans la marche d'Ancône, et ce fut avec cette faible troupe qu'il défendit, pendant six mois, le territoire et la place d'Ancône, contre des forces

six fois plus considérables. D'abord, un grand nombre d'habitants du territoire se révoltèrent; et, dirigés par l'exgénéral cisalpin Lahoz, ils se réunirent aux troupes alliées, envoyées contre les Français. Ces troupes se composaient d'Autrichiens, de Russes, de Turcs et de Napolitains. Rassurées par leur nombre, elles vinrent attaquer le général Monnier; celui-ci les battit et les repoussa. Souvent elles revinrent à la charge, et tentèrent de déloger les Français des postes fortifiés qu'ils occupaient aux environs d'Ancône; elles furent toujours mises en déroute. Ces attaques se répétèrent ainsi pendant cinq mois, et sans que d'aussi nombreux assaillants pussent obtenir une seule fois l'avantage sur les Français. C'est à cette époque qu'un corps de huit mille Autrichiens, sous les ordres du général Froelich, qui venait de faire capituler le général Garnier dans Rome, arriva au secours des assiégeants. Le général autrichien, concertant aussitôt avec eux ses mouvements, dirigea de vives attaques contre la petite armée du brave Monnier; il lui fut impossible de la vaincre. Tous les efforts qu'il fit lui coûtèrent de grandes pertes. Le général français était si actif et si habile, qu'il faisait face à tous ses ennemis. Cependant ses munitions s'épuisaient. Bientôt même il manqua de vivres. Cette fâcheuse position n'abat it point son courage, et il continua de résister à toutes les sommations qu'on lui fit de se rendre. Mais enfin il vint un moment où il ne pouvait plus résister, sans compromettre inutilement la vie des braves qu'il commandait. Le 19 brumaire (10 novembre), l'une des courtines du bastion de la citadelle d'Ancône s'écroule. Outre cet accident malheureux, on n'a plus de munitions pour répondre à l'artillerie des assiégeants. Dans la soirée de cette journée, une dernière sommation est faite à Monnier. Les conditions qu'on lui propose sont honorables; il les soumet à un conseil de guerre ; la nécessité contraint à les recevoir. Le 22 brumaire suivant (13 novembre), la capitulation est signée. Elle permet à la garnison de sortir de la place avec les honneurs de la guerre, et de retourner en France par le chemin qu'elle jugera le plus commode; elle accorde au général Monnier une garde d'honneur de quinze cavaliers et de trente carabiniers; enfin elle exprime la promesse que les malades seront soignés dans les hôpitaux, et que nul individu ne sera recherché pour les opinions qu'il aura pu montrer pendant le séjour des Français dans Ancône. La

garnison partit trois jours après. Quand Monnier fut arrivé en France, il fut récompensé de sa belle conduite par le grade de général de division.

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Les sages et vigoureuses mesures les consuls ont prises pour assurer la tranquillité de l'Etat, ont inspiré au public une si grande confiance, que le 23 brumaire (14 novembre) le tiers consolidé monte à 17 francs; six jours auparavant, il était à 11 francs. La rente provisoire passe en même tems de 3 francs à 8. Les Français peuvent enfin respirer après tant d'années de malheurs et de crimes, et se livrer, sans crainte, à toute leur horreur pour les jacobins. Tel était l'ouvrage de Buonaparte. Aussi son nom était-il dans toutes les bouches; il était l'objet de l'admiration universelle; et, sur tous les théâtres, on représentait des pièces où l'on chantait sa gloire.

Depuis quelque tems, l'armée française en Italie, sous les ordres du général Championnet, n'éprouvait plus que des revers. Elle avait perdu, à la bataille de Genola ou Fossano, le tiers de ses forces actives, environ huit mille hommes. Championnet ne se trouvait plus qu'à la tête d'un' faible corps d'armée, séparé en trois parties. La première partie était sous Coni; la seconde couvrait la retraite des Français par le col de Tende; la troisième, enfin, s'était rassemblée sous Mondovi. Les Autrichiens, voyant la dispersion de l'armée française, redoublèrent de vigueur dans leur poursuite et dans leurs attaques, pour la chasser entièrement du Piémont ; assaillie sur tous les points par des forces supérieures, elle perdait journellement du terrain. Vers le milieu du mois de brumaire (novembre), les généraux Lichtenstein et Mitrowski viennent attaquer Mondovi, que conservaient les divisions Lemoine et Victor. En peu d'heures, les Français sont délogés des hauteurs situées en arrière de cette ville; et, lorsque la nuit est venue ils l'évacuent à la faveur de l'obscurité. Alors le général Championnet opère sa retraite définitive par Godussio. L'arrière-garde de l'armée française, suivie de près par les troupes autrichiennes, se voit attaquée par elles. Le 24 brumaire (15 novembre), elle se retire à là hâte; et ce n'est qu'en faisant de grands efforts de courage, qu'elle parvient à rejoindre le corps d'armée. Le même jour, le général autrichien Bellegarde se rend maître d'Ormea; le général Mélas du camp de Limone, et la division Somma-' riva, des Barricades, après quoi elle s'établit à l'Argentière.

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Le 25 brumaire (16 novembre), le consul Buonaparte va visiter les maisons d'arrêt; il interroge lui-même les détenus; il s'assure de la salubrité de leurs prisons, de leur nourriture et de la conduite des geôliers envers eux. Au Temple, il se fait représenter les écrous, et fait élargir sur-le-champ les otages, en leur disant, qu'une loi injuste les ayant privés de leur liberté, son devoir est de la leur rendre. Il quitte les autres détenus, en leur promettant de faire examiner promptement les causes de leur arrestation.

Le même jour, 25 brumaire (16 novembre), l'armée française du Rhin attaque l'ennemi sur toute la ligne, entre Philisbourg et le Necker. La première division, commandée par le général de la Borde, se porte sur Neulosheim, où elle livre un combat très-vif aux Autrichiens, et les culbute sur Waghausel. Elle leur prend cinq pièces de canon, et fait mille prisonniers, qui faisaient partie de de la garnison de Philisbourg. Pendant ce mouvement, la brigade de gauche de la même division, s'étant dirigée sur Weissenthal, chassait toujours l'ennemi devant elle jusqu'à Graben. Le nouveau blocus de Philisbourg est le résultat de cette opération. De son côté, le général Decaen, commandant la deuxième division, attaque l'ennemi sur Roth et le Bulb; de là, se portant rapidement sur Waghausel, sur Foretz et Bruschall, il en chasse les Autrichiens, et les poursuit jusqu'à Bretten. L'exécution de ce mouvement a été parfaitement secondée par la réserve de cavalerie aux ordres du général d'Hautpoul. Les deux généraux de division Ney et Baraguey-d'Hilliers obtiennent aussi de trèsgrands avantages sur l'ennemi, le premier, à Waibstall, Epinges et Sintzheim, dont il s'empare après un combat très-opiniâtre; et le second, sur la rive droite du Necker, à Dilsberg et à Langenzel.

Une loi du 10 messidor an 7 ( 28 juin 1799), avait ordonné un emprunt forcé de cent millions. Cette loi blessait tous les principes de l'ordre social, et avait excité un profond mécontentement dans le peuple; les consuls se hâtent d'en proposer la suppression aux commissions législatives. Cette proposition est adoptée avec empressement, le 27 brumaire (18 novembre). L'emprunt forcé est remplacé par une subvention extraordinaire de guerre, portant sur les quatre contributions directes. Vingt-cinq centimes par franc seront levés sur le principal de ces contributions

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