Page images
PDF
EPUB

Comme je cherchais à relever son courage en lui disant qu'il ne tenait qu'au Pape d'éviter la catastrophe qui l'effrayait en s'acommodant avec ses sujets, en se réconciliant avec l'Italie, il répliqua Cette seconde partie de votre formule est encore plus difficile à remplir que la première. Pie IX croit sa conscience de prêtre engagée à ne pas accepter les défaites que, en sa qualité de Souverain des États de l'Église, il a subies; quand il s'est montré disposé à accepter le modus vivendi politique que M. Vegezzi abritait derrière sa mission ecclésiastique (1), c'est qu'il espérait que le modus vivendi religieux auquel il aspirait serait trouvé; non seulement il ne l'a pas été, mais, depuis lors, l'Église en Italie ayant été dépouillée de ses biens, plutôt sous l'empire de passions révolutionnaires que sous la pression des nécessités du trésor public, les prêtres et les religieux ayant été persécutés et chassés sans motif sérieux, l'on n'obtiendrait plus du Saint-Père une réconciliation officielle avec le Gouvernement qui a commis ces actes; pour lui, ce serait les légitimer. Mais, en même temps, il y aurait possibilité d'en arriver à un modus vivendi de voisinage par l'intermédiaire officieux de la France; cela a été fait pour les conventions postale, télégraphique, etc., cela pourrait se faire également pour les autres rapports administratifs. Quant à ce que vous appelez la réconciliation du Saint-Père avec ses sujets, je pense que vous entendez par là que Sa Sainteté doit leur octroyer des réformes. Quelle devra être l'étendue de ces réformes? Le Nonce a été chargé de le demander à M. Drouyn de Lhuys(2), et confidentiellement je vous dirai que l'on a même agité la question de faire consulter directement l'opinion de l'Empereur sur ce sujet. Mais vous-même qui, depuis trois années, résidez parmi nous, que jugeriez-vous qu'il nous fût utile de faire?"

Je répliquai: «Que voulez-vous que je vous dise? Je le savais en 1862, je le savais encore il y a quinze mois; maintenant, c'est à vous à le savoir. Vous devez connaître l'état des esprits dans Rome, les aspirations du moment; vous gouvernez et administrez : c'est à vous de déterminer le prix que vous voulez mettre à l'al

(1) Cf. t. VI, p. 173, note 1, et Émile OLLIVIER, t. VII, p. 223-226.

(2) Note marginale au crayon de la main de Drouyn de Lhuys: «Le None ne m'en a pas dit un mot."

liance de vos sujets. Sachez donc avant tout ce qu'il faut à votre peuple, sachez l'étendue des concessions que vous êtes disposés à lui faire, et dites-le nous. Seulement, je vous rappellerai que, à ma première audience du Saint-Père, dès 1863, je lui soumis respectueusement l'utilité qu'il y aurait pour son Gouvernement à assimiler civilement, administrativement, judiciairement, la condition de ses sujets à celle des sujets du Roi Victor-Emmanuel. Cette même idée, je l'ai reproduite devant le Pape, devant son Secrétaire d'État et devant ses autres Conseillers, vous compris, en chaque occasion où il m'a été donné de revenir sur ce sujet; personne d'entre vous n'avez [sic] jamais dit non; vous avez toujours dit Attendons! Nous verrons! Plus tard!" Dites-vous bien aujourd'hui que les choses ont marché, que les exigences se sont accrues, et que, si ces bases de solution peuvent être encore suffisantes, c'est à la condition que juges et administrateurs seront laïques. La substitution d'une administration laïque à l'administration mixte actuelle est, dans l'opinion des Romains, des Italiens, des étrangers, le point capital de la question, la condition absolue d'un rapprochement entre le Pape et ses sujets; dans la pratique, cette réforme serait d'autant plus simple à effectuer qu'il ne se trouve pas plus de deux cents ecclésiastiques employés dans les diverses administrations."

:

:

Mgr Berardi reprit Quant à une administration laïque, on peut y arriver dans la pratique, mais il sera bien difficile de l'accepter en principe, vu la nature mixte du Souverain; ce programme se rapproche en général de celui dont, en 1847, le Pape a tenté l'application; il a été débordé, et, s'il l'essaie en 1866, il le sera encore; on dira que c'est sa faute, et qu'il est tombé devant les réformes qu'il aura octroyées. Que si vos troupes ne partaient pas en décembre, que si elles restaient le temps voulu pour surveiller ces expériences administratives qui entraîneront des interprétations différentes et des résistances, ce serait autre chose; mais, si vos troupes doivent s'éloigner dans quatre mois, que le Pape accorde ou n'accorde pas de réformes, c'est tout un, sa chute est certaine.»

Comme je disais à Mgr Berardi qu'il voyait l'avenir trop en noir, et qu'il ne semblait pas que les empêchements à un accommodement entre Rome et l'Italie d'une part et les Romains de

:

l'autre fussent aussi majeurs, il répliqua «Nous voudrions pouvoir nous faire des illusions, mais interrogez vous-même vos Collègues il n'y en a pas un qui ne s'attende à ce qu'un mouvement révolutionnaire n'éclate dans Rome et dans Viterbe au lendemain du départ de vos troupes; cela se dit publiquement dans les salons, dans les cafés, dans les rues; le Pape y croit, on y croit autour de lui, on y croit à l'étranger; et comment n'y pas croire? Nous sommes menacés de l'extérieur, menacés à l'intérieur. Le Roi Victor-Emmanuel disait l'autre jour: «Maintenant que nous avons Venise, Rome est l'affaire d'un coup de pied». Personne après avoir vu, dans la question de la cession de la Vénétie, l'Italie, peuple et gouvernement, s'affranchir avec emportement de sa reconnaissance envers l'Empereur, ne croit plus aux barrières morales entre l'Italie et Rome; à l'intérieur, le parti d'action attend uniquement parce que de Florence l'ordre lui est venu d'attendre le départ de vos dernières troupes; le lendemain, on le lâchera sur nous, et ce parti est si bien discipliné qu'il ne devancera pas d'une heure le terme de l'expiration de la Convention, crainte de fournir un prétexte à sa non-exécution et de faire reprendre à la France sa liberté d'action. »

Cette crainte des excès qui pourront se commettre au lendemain du départ de nos troupes et qui, en effet, est confessée aussi bien par les gens qui redoutent le désordre de la rue, quelle que soit leur opinion politique, que par le Pape et ses Conseillers, peut ne pas être étrangère aux idées de compromis qui se font jour au Vatican comme en ville. Sans aller au fond des pensées et des réserves des partis, il semblerait, Monsieur le Ministre, que, si, sous la pression de la nécessité, il était obtenu, ce que je suis loin de garantir, des réformes qui fussent assez radicales pour contenter le peuple romain et l'opinion publique libérale éclairée en Europe, nous serions justifiés si nous demandions à l'Italie, en nous appuyant sur la différence des situations dans la péninsule italique au 15 septembre 1864 et au 10 décembre 1866, de s'abstenir d'entraver la marche du nouvel essai qui se ferait à Rome, et au besoin [de] coopérer avec la France pour en assurer le succès.

P.-S. La minute de mon rapport se trouvait à la copie pendant le temps que j'étais allé voir ce matin le Cardinal Anto

nelli. J'en avais les arguments fort présents à l'esprit, et je les ai, un à un, incidemment amenés dans ma conversation avec le Secrétaire d'État. Je dois dire que, tout en rencontrant en lui le même abattement que chez Mgr Berardi, je l'ai trouvé moins résigné que celui-ci à subir un compromis vis-à-vis de l'Italie et un accommodement avec les sujets du Saint-Père. J'aurais été tenté de jeter au panier ma dépêche si à la fin de notre entretien, qui, de part et d'autre, avait conservé le caractère académique, Son Eminence ne m'avait pas confié, aussi bien que l'avait fait Mgr Berardi, que Mgr Chigi (1) avait été dernièrement chargé de prier Votre Excellence de préciser les réformes que le Gouvernement de l'Empereur pourrait conseiller au Gouvernement pontifical. It a nié, toutefois, que l'idée d'envoyer directement une personne à l'Empereur, chargée de solliciter l'opinion de Sa Majesté au sujet des réformes à faire, ait été débattue. Ce que le Cardinal s'est surtout attaché à défendre, c'est la forme mixte du Gouvernement pontifical.

3320. LE DỤC DE GRAMONT, AMBASSADEUR À VIENNE, À DROUYN DE LHUYS. (Télégr. Déchiffrement. Autriche, 492.)

Vienne, 7 août 1866, 3 1/4 soir. (Reçu à 91 soir.)

J'ai communiqué la substance de votre télégramme d'hier. Le Cabinet de Vienne répond que l'uti possidetis n'a été accepté, comme condition, que pour une suspension d'hostilités de quelques jours, mais pas pour un armistice; que le cas de la Prusse est d'ailleurs différent de celui de l'Italie, attendu que la Prusse, en adhérant aux préliminaires, s'est engagée à évacuer à la paix les territoires autrichiens qu'elle occupe encore, ce qu'elle fait déjà d'avance; l'Italie, au contraire, déclare vouloir revendiquer le Trentin et garder ce que la retraite de l'armée autrichienne lui a permis d'occuper. Voilà pourquoi l'Autriche n'accepte pas l'uti possidetis avec l'Italie.

Je trouve ici une résolution inébranlable, et je crois qu'on ris

(1) Nonce apostolique à Paris.

quera tout si l'Italie ne se contente pas de la Vénétic et ne renonce pas à tout autre territoire autrichien.

Le Cabinet de Vienne ajoute qu'il regrette beaucoup de ne pouvoir adhérer à une proposition qui émane de l'Empereur, mais il en rejette la responsabilité sur l'Italie qui, la première, a refusé d'adhérer aux préliminaires également proposés par l'Empereur (1).

3321. LE DUC DE GRAMONT, AMBASSADEUR À VIENNE, A DROUYN DE LHUYS. (Orig. Autriche, 492, no 108.)

Vienne, 7 août 1866. (Cabinet, 9 août; Dir. pol., 23 août.)

Quelques instants après le départ du courrier que j'ai expédié avant-hier à Votre Excellence et qui portait les dépêches Direction politique no 106(2) et 107(3), M. le Comte de Mensdorff me fit dire que S. M. l'Empereur avait jugé indispensable d'apporter encore quelques modifications au projet de traité de cession relatif à la Vénétie dont je venais de vous envoyer le texte.

J'ai eu l'honneur d'en informer hier Votre Excellence par le télégraphe. (Voir le télégramme du 6 août, annexe no 1 (4).)

Les changements demandés consistent à reporter le dernier paragraphe de l'article 3 du premier projet à la suite de l'article 4 et d'en faire ainsi l'article 5, en remplaçant dans ce paragraphe le mot autorités par ceux-ci autorités militaires (5).

(1) Allusion aux circonstances dans lesquelles avaient été signés, après l'envoi des préliminaires français à Vienne et à Berlin le 14 juillet, les préliminaires de Nikolsbourg, sans la participation de Barral et de Govone (cf. Benedetti, 28 juillet, n° 10).

(2) Du 5 août.

(3) La dépêche de Gramont du 5 août, n° 107, ne fait que développer les informations contenues dans le télégramme du même jour, 21 soir.

(4) Nous n'avons pas cru nécessaire de publier ce télégramme, dont la dépêche du 7 répète toutes les indications en les précisant.

(5) Voir le texte primitif de la convention en annexe à la dépêche de Gramont du 5 août, n° 106. Dans le texte définitif proposé par Mensdorff et que Gramont joignait à sa dépêche du 7, la fin de l'article III, depuis: «Les commandants, etc...» forme donc un article V, avec addition du mot mili taires après autorités.

« PreviousContinue »