Le projet du code civil tranchait la question. Il portait, art. 29, sect. 5, chap. 2: « Les jugemens. ... par défaut n'emporteront hypothèque que du jour de leur signification,». Cette modification n'est pas exprimée dans l'article 2123 du Code - Napoléon. « L'hypothèque judiciaire (porte ce dernier article) résulte des jugemens, soit contradictoires, « soit par défaut, définitifs ou provisoires, en faa veur de celui qui les a obtenus, etc. » La loi ne soumet donc pas à la nécessité d'une signification préalable les jugemens par défaut pour leur donner l'effet de l'hypothèque; elle les place sur la même ligne que les autres jugemens, quoique le projet de la commission eût établi une distinction. Ce retranchement est une puissante raison de croire que le législateur n'a pas voulu de la modification proposée. M. De Malleville, sans discuter spécialement le point de difficulté sous le rapport de l'ordonnance de 1667, dont il ne parle pas, laisse croire que l'article 2123 n'est susceptible d'aucune distinction, puisqu'il se contente de dire qu'il est conforme à l'ordonnance de Moulins,.. On lit dans le mémorial universel (*) de législation et de jurisprudence, rédigé par M. Bazille, une dissertation intéressante que l'auteur termine en se décidant pour l'hypothèque des jugemens par défaut, indépendamment de la signification. Cette doctrine n'est pas suivie par tous ceux qui ont écrit sur la matière. (*) Tome 4, page 190. Tissandier professe une opinion contraire dans son traité des hypothèques, page 129, où il dit que les jugemens par défaut doivent être signifiés avant d'ètre inscrits, par la raison que l'hypothèque doit exister pour la rendre publique. Les auteurs des pandectes françaises embrassent le sentiment de Tissandier, page 243, tome 15 de leur ouvrage. *།, La fréquence des inscriptions devait naturellement amener ce point de controverse devant les tribunaux ; et en effet il fut discuté, en 1807, à la cour d'appel de Riom, qui par arrêt du 9 avril, même année, prononça la nullité de l'inscription. Dans l'espèce de cet arrêt, le jugement par défaut était du 14 et l'inscription du 17 brumaire an 14. Le jugement ne fut signifié que le 21. L'inscription s'était faite sous l'empire du code civil, et la signification avant le code de procédure. « Attendu, dit la cour d'appel de Riom, qu'un jugement en défaut ne peut produire aucun effet tant qu'il n'a pas été signifié; • Attendu que d'après l'article xi, titre XXXV de l'ordonnance de 1667, un jugement en défaut ne conserve d'hypothèque qu'après la signification et du jour de cette signification; << Attendu que cette disposition se trouve conforme à celle de l'article 155 du code de procédure civile ; « Attendu que lors de l'inscription dont il s'agit le jugement, en vertu duquel elle a été faite, n'a-" vait pas encore été signifié, « La cour dit bien jugé. » Il est à observer que le juge de première instance avait annullé l'inscription par d'autres motifs, et que son jugement ne fut maintenu qu'à raison du défaut de signification du jugement par défaut. L'arrêt de la cour d'appel de Riom décide qu'avant le Code - Napoléon, et que sous le Code Napoléon et sous le code de procédure, les jugemens par défaut ne produisent l'hypothèque judiciaire qu'autant qu'ils sont signifiés. Pour justifier cette décision, on peut soutenir que l'article 2123 du Code Napoléon est indifférent sur la question; qu'en confondant les jugemens par défaut avec les jugemens contradictoires il n'attribue d'effet aux premiers qu'autant qu'ils sont signifiés : Que, lors de la rédaction de cet article, le législateur du code a dû se borner à émettre le principe de l'hypothèque judiciaire, sans s'expliquer sur les conditions requises pour opérer l'exécution de ce principe, parce que les formes qui constituent les jugemens, et l'effet dont ils sont susceptibles, appartiennent au code de procédure. Suivant l'article 155 du code de procédure, les' jugemens par défaut ne peuvent être exécutés qu'après la signification. - L'inscription hypothécaire est-elle un acte d'exécution? The On répond que c'est un acte purement conservatoire; et si, par le mot exécution, on n'entend que des actes faits par le ministère des huissiers, comme saisie de meubles ou saisie réelle, emprisonnement etc., il faut convenir de la justesse de la réponse : mais agir en vertu d'un jugement; faire, en verta d'un jugement, ce que la loi ne permettait pas avant qu'il existât, n'est-ce pas l'exécuter? Une saisie-opposition n'est en elle-même qu'une mesure conservatoire ; et cependant, si elle se pratique en vertu d'un jugement, on ne peut nier qu'elle soit un acte d'exécution. L'inscription affecte les biens, c'est une main-mise équivalant à un arrêt sur l'immeuble. Que, dans un cas, l'opération soit déléguée à un officier ministériel, et, dans l'autre, au conservateur des hypothèques, l'acte n'est pas moins une con. séquence, un effet du jugement. Qu'est-ce qu'une condamnation par défaut ? C'est un titre imparfait et qui ne reçoit son complément que quand il devient en quelque sorte synallagmatique, ce qui n'a lieu que par la significa. tion. Jusques - là nos lois ne voient qu'une partie, et attendent, pour donner un être réel au jugement, que l'autre partie soit informée juridiquement de ce qui a été prononcé, afin qu'elle puisse déduire ses exceptions en justice. Le jugement est précédé d'une assignation, cela est vrai; mais la loi met si peu de confiance dans cet exploit que l'article 156 du code de procédure civile exige qu'un jugement, obtenu par défaut contre une partie qui n'a pas constitué d'avoué, soit signifié par un huissier commis. Le même article déclare que, si ce jugement n'est pas exécuté dans les six mois, il sera réputé non avenu. Qu'arriverait-il donc si partie qui a obtenu une condamnation par. défaut prenait inscription sans le faire signifier, et qu'elle restat à tous autres égards ོ། dans l'inaction pendant six mois? Si l'inscription n'est pas un acte d'exécution, le jugement est réputé non avenu, et par conséquent l'inscription croule, après avoir pesé pendant six mois sur les immeubles du défaillant, sans quil fut présumé avoir eu connaissance de la condamnation, et bien moins encore d'une mesure oblique dont il a pu résulter préjudice à son crédit et à sa réputation. Mettre sous le poids d'une inscription publique les biens dun individu n'est pas une chose indifférente. Un prétendu créancier, un malveillant, un insolvable qui a eu l'adresse de surprendre un jugement pat défaut, et qui en a dérobé la connaissance à la partie, réparera - t il le tort qu'il a occasionné? · Il est vrai que la signification n'écarte pas tous les inconvéniens; du moins elle suffit pour les prévenir le plus communément, parce qu'elle ouvre la voie de l'opposition, que l'opposition suspend l'exécution et rétablit les parties dans le droit de se faire entendre sur leurs moyens et exceptions. Si le demandeur en opposition triomphe, le jugement par défaut n'a été qu'un être de raison, un acte d'exécution d'autant plus perfide qu'il n'a pas été au pouvoir de la partie d'y défendre. Il y aurait sans doute moins de danger de n'admettre l'inscription hypothécaire qu'après les délais de l'opposition. Or le délai ne court que par la signification. En tout cas, un jugement par défaut ne devrait être considéré comme titre effectif à l'égard du défaillant qu'au moyen de la notification qui lui est faite. Ce n'est que par là qu'il devient commun aux deux parties. |