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Pour expliquer ce motif apparent, il faut rappeler en deux mots que, dans la Belgique, les gens de main morte ne pouvaient, d'après les placards, acquérir aucun immeuble qu'après en avoir obtenu l'autorisation du souverain; qu'ils étaient tenus de remettre les biens qu'ils avaient acquis sans autorisation, en main vivante, à peine de confiscation.

Les lois du pays de Liége donnaieut même l'action populaire à quiconque dénonçait des biens acquis sur le territoire de la principauté, par des corporations ecclésiastiques étrangères, et lui en accordaient la possession.

La seconde vente, faite au profit de Goossens comprenait sans doute des immeubles situés dans le pays de Liége.

A la vue de ces actes, la commission des hospices de Louvain résolut de les attaquer; elle demanda que les biens fussent remis dans le domaine des hospices, avec restitution de fruits.

Ses moyens sont que les ventes ont été faites en violation de toutes les formalités prescrites pour l'aliénation des biens des gens de main-morte, et par des motifs imaginés à dessein de donner quelque couleur à des actes frauduleux.

La cause portée à la connaissance du tribunal de Louvain, Goossens opposa, pour moyen de défense, que les biens dont il était acquéreur n'avaient jamais été amortis;

Que l'amortissement ne se présumait par quelque

laps de temps que ce fût, et que les biens possédés par des corporations ecclésiastiques, sans être amortis, devaient non seulement sortir de leurs mains, mais pouvaient aussi être vendus de main ferme et sans observation d'aucunes formalités;

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Que le législateur réagirait sur lui-même s'il exigeait, pour faire cesser une détention prohibée, les formalités qui ne protègent que les domaines acquis à juste titre au clergé; car il réserverait aux gens de main-morte le moyen de revenir contre des aliénations forcées, sous prétexte de violation de formes, contradiction insupposable et d'ailleurs démentie par l'usage et la jurisprudence.

Les lois du prince et les lois ecclésiastiques ne veillent qu'à la conservation des propriétés légitimes du clergé; mais suffit-il d'exprimer dans l'acte d'aliénation que les biens étaient détenus en contravention aux réglemens pour faire présumer la réalité

du motif?

En d'autres termes, lorsque l'aliénation est attaquée, sur qui doit retomber la preuve de l'amortissement?

Le tribunal de Louvain s'est prononcé sur les deux exceptions en faveur du sieur Goossens.

Attendu

1o. Que, si les biens dont il s'agit au procès n'ont pas été amortis, ils ont pu être vendus à main-ferme;

2°. Que les biens doivent être considérés comme non amortis jusqu'à preuve contraire;

3o. Que cette preuve est à la charge de la commission des hospices, et qu'elle ne l'a pas fournie.

Ce jugement a été déféré à la cour d'appel, par la commission des hospices.

Dans l'opinion du premier juge, l'amortissement ne se présume et ne se prescrit pas.

Cette doctrine, dit la commission des hospices est une erreur, réfutée par les auteurs qui ont traité la matière.

On oppose la clause irritante de l'article 2 de l'édit de 1520 et de l'article 11 de celui de 1753; mais est ce bien pour les acquéreurs que ces dispositions ont été conçues? n'est-ce pas uniquement dans des vues d'intérêt public, dans l'intérêt des vendeurs, des donateurs d'immeubles à des mainmortes, de leurs héritiers ou ayant-cause, que ces lois ont été rendues?

Tout possesseur est censé possesseur légitime jusqu'à preuve contraire: il peut dire, à quiconque veut le troubler dans sa jouissance, possideo quia possideo; je n'ai pas d'autre compte à vous rendre, et c'est à vous qui m'attaquez à prouver que ma possession est contraire aux lois.

Ainsi raisonnait le premier magistrat (*) du Parquet de la cour de cassation, dans une cause, analogue à celle qui se présente.

(*) Répertoire raisonné de jurisprudence, aux mots main-morte (gens de), § 5.

Quelles seraient les conséquences d'un systême contraire? on les apperçoit aisément.

Les corporations ecclésiastiques auraient eu le pouvoir d'aliéner sans formes et sans autorisation tous leurs anciens domaines, de disposer de leur dotation primitive.

Rien n'aurait contenu la prodigalité et la dilapidation des administrateurs infidèles, soit par inconduite, soit par cupidité.

C'est en vain que les successeurs auraient tenté les voies ouvertes par l'autorité des lois civiles et canoniques pour recouvrer les biens aliénés sans formes, sans nécessité. L'acquéreur leur aurait victorieusement répondu : les biens n'ont jamais été amortis, et tant que vous n'aurez pas administré la de l'accomplissement de cette formalité, mon acquisition reste inattaquable.

preuve

L'aliénation des biens du clergé ne pouvant s'effectuer valablement que pour des causes justes, vérifiées, reconnues et approuvées, d'après les règles prescrites par les lois du prince et de l'église, c'est à celui qui les possède par acquisition à justifier que la vente est régulière et revêtue des formes requises.

Il en est des propriétés ecclésiastiques comme de celles des mineurs; elles ne sont aliénables que dans les cas et suivant les formes établies par les lois : qui à pupillo emit, probare debet, tutore auctore, lege non prohibente, emisse. L. 13. § 2. ff. de publ.

in rem act.

Le principe de cette loi a été adapté aux biens du clergé. Pourquoi? parce que, dans les actes prohibés par une règle générale, la cause qui l'a fait cesser ne se présume pas in contractu prohibito justa alienandi causa non præsumitur, sed acquirenti et emptori probationis onus incumbit. (Kinscot, resp. 26, no. 7.)

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Le fait qui dispenserait de l'observation de la règle générale serait donc, selon Goossens, le défaut d'amortissement; eh bien! c'est à lui à prouver qu'il est dans l'exception.

Rapporterait-il cette preuve, on lui dirait encore: il n'est pas exact d'avancer que des administrateurs des biens d'une corporation ecclésiastique seraient autorisés à vendre de la main à la main, sans publications, sans affiches, les immeubles possédés, sans l'approbation du souverain;

Que la permission du prince soit inutile, on le conçoit, puisqu'il fait plus que permettre, il ordonne de se dessaisir, mais voilà tout.

La loi qui veut que les immeubles soient remis en main - vivante n'abandonne pas à la discrétion des administrateurs le mode de l'expropriation; elle doit toujours se faire pour la plus grande utilité de l'établissement, et ainsi d'après les formes qui peuvent conduire à ce but et assurer l'emploi des fonds.

La vente à main ferme répugne donc à la raison et aux principes conservateurs des biens appartenans à un établissement public quelconque.

Dans le systéme du sieur Goossens, les biens non

amortis

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