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poque de l'ouverture de la succession, il a dû subsister tel qu'il était; il ne peut être soumis à la loi nouvelle sans la faire rétroagir.

On répond à cette objection qu'il faut distinguer entre le droit et l'exercice du droit;

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Que le droit n'est pas atteint par le code, mais que la durée de son exercice et les conditions requises pour le conserver peuvent être régies par la nouvelle législation sans aucune rétroactivité.

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Le temps antérieur au code n'est pas compté ou n'exige pas non plus que les créanciers aient rempli les formalités que prescrit l'article 2111 avant qu'il fut obligatoire; mais pourquoi seraient-ils mieux traités que les autres depuis la publication du code? N'ont ils pas eu le même délai qu'ont tous les créanciers des successions ouvertes depuis la nouvelle lai?

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Les cours d'appel de Nimes, de Rouen et de Toulouse ont en effet décidé que les créanciers d'une succession ouverte sous la loi du 11 brumaire an 7 avaient dû se conformer aux dispositions de l'article 2111 du code civil, dans les six mois qui en ont suivi la publication.

Cette question s'étant présentée entre plusieurs autres à la cour d'appel de Liége, dans la cause de Degradi, etc. contre Vosen, etc. y a été jugée dans le même sens, par arrêt du 13 mars 1811, plaidant MM. Roly et Lesoinne.

« Attendu, dit cette cour, que ni l'épouse Mon

taigne ni la veuve Renoz, qui demandent la séparation des patrimoines, n'ont pas pris, à charge des biens qui devaient leur servir d'hypothèque, des inscriptions valables dans le délai de six mois, à dater de l'époque à laquelle l'article 2111 du Code Napoléon est devenu obligatoire; qu'au contraire les inscriptions par elles prises frappent directement sur la personne de l'héritier; d'où suit qu'elles l'ont considéré comme leur débiteur.

« Attendu qu'il est indifférent que la succession du sieur Louvrex ait été ouverte avant la promulgation du Code Napoléon, paisqu'il n'a pas proscrit les demandes en séparation de patrimoine; qu'il n'a soumis le droit de les former qu'à l'accomplissement d'une formalité qu'il dépendait absolument des intéressés de remplir; d'où il suit que l'application de cette disposition du code doit se faire aux successions ouvertes même sous l'empire des anciennes lois, sans craindre d'attribuer à cette loi un effet rétroactif. >>

Nota. Les cours de Turin et de Limoges ont eu une opinion différente; elles ont jugé que l'art. 2111 du Code Napoléon ne pouvait, sans effet rétroactif, être appliqué aux successions ouvertes sous les lois antérieures.

L'arrêt de la cour d'appel de Limoges a été déféré à la cour de cassation; et , par arrêt de la section des requêtes, en date du 8 mai 1811, le pourvoi a été rejeté..

Ainsi a prévalu l'opinion que la faculté de demander la séparation des patrimoines, quant aux successions ouvertes avant le Code Napoléon, peut s'exer

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cer sans que les formalités prescrites par l'art. 2111 aient été accomplies dans le terme de six mois, de. puis la publication de cet article.

Nous ne pouvons mieux fixer les idées sur l'état de la question qu'en rapportant les motifs et l'arrêt de la cour de cassation, du 8 mai 1811. Voici comme le tout est conçu:

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Attendu 1.0 que les droits réels, soit conven. tionnels, soit légaux, doivent être constamment régis par les lois sous l'empire desquelles ils ont été irrévocablement acquis, lors mème qu'ils ne sont exercés qu'après la publication d'une loi nouvelle ; que s' s'ils étaient détruits, altérés ou seulement modifiés en vertu des dispositions d'une loi postérieure, cette loi aurait évidemment un effet rétroactif, et que, suivant une maxime fondamentale en législation, qui est consignée dans l'article 2 du Code Napoléon, les lois ne dis posent que pour l'avenir;

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Que néanmoins le législateur peut déroger à cette maxime dans des circonstances extraordinaires et par des motifs d'intérêt public; mais que la dérogation ne peut être suppléée ni induite par voie de raisonnement; qu'elle doit être expresse, formelle et textuellement écrite dans la loi à laquelle on veut donner un effet rétroactif;

« 2.° Que le droit d'accorder aux créanciers du défunt de demander la séparation de son patrimoine d'avec le patrimoine de l'héritier est un droit réel, puisqu'il frappe sur les biens, puisqu'il a pour objet le paiement des dettes auxquelles sont obligés les biens, et qu'il est irrévocablement acquis dès l'instant du décès du débiteur;

puisqu'il peut être immédiatement exercé sur la succession, et qu'il est conféré par la loi sans aucune condition résolutoire indépendante de la volonté du créancier;

3.° Que des principes qui viennent d'être établis, i résulte que, il dans une succession ouverte sous l'empire de la loi du 11 brumaire an, les créanciers ont le droit de demander la séparation des patrimoines, même après la publication du Code Napoléon, sans être tenus de faire inscrire leur privilège sur les biens du défunt, puisque l'article 14 de la loi du brumaire an 7, qui autorise cette demande, ne l'a pas soumise à la condition de l'inscription, et que cette condition n'a été prescrite que par l'article 2111 du Code Napoléon, et n'a été prescrite que pour l'avenir.

a Qu'en effet la disposition de l'article 2111 ne contient aucune expression qui puisse autoriser à l'étendre au passé et à lui donner un effet rétroactif sur les droits antérieurement acquis.

Qu'on voit au contraire dans ces articles que F'inscription doit être faite dans les 6 mois, à compter de l'ouverture de la succession, et qu'il en résulte bien évidemment que sa disposition ne peut s'appliquer aux successions antérieurement échues, puisqu'il n'y aurait pas réellement de délai pour l'inscription à l'égard des successions qui seraient échues plus de six mois avant la publication de la loi qui contient l'article 2111 du code, et que le délai de six mois ne serait pas entier à l'égard des successions ouvertes un peu plus tard; qu'enfin s'il eût été dans l'intention du législateur de comprendre, dans l'article

2111, les successions antérieures, et de ne faire courir le délai de 6 mois, à l'égard de ces successions, qu'à compter de la publication de la loi nouvelle, il aurait dû le dire expressément, et qu'il n'est permis, ni de suppléer ce qu'il n'a pas dit, ni d'ajouter à la disposition qu'il a faite, et uniquement pour donner à cette disposition un effet rétroactif;

4.° Que l'inscription d'un privilège ou d'une hypothèque n'est pas une simple formalité de procédure, uniquement relative à la manière dont le droit du créancier doit être exercé, et qui doive être réglée par la loi existante au moment où le droit s'exerce; que déjà il a été jugé plusieurs fois que c'est une formalité substantielle et qui tient à l'essence même du droit, puisqu'elle est nécessaire pour le consolider, pour le maintenir, et que son inexécution suffit pour le détruire;

« 5.° Que, du système de la publicité des hypo. thèques, il ne résulte pas nécessairement que les

créanciers du défunt soient tenus de faire inscrire leur privilège sur des registres publics pour être admis à former la demande en séparation de patrimoines, puisque la loi du 11 brumaire an 7, qui avait admis le système de la publicité des hypothè ques et même d'une manière plus absolue et dans des termes plus rigoureux que le Code Napoléon, n'avait cependant pas soumis l'exercice de la demande en séparation de patrimoines, à la condition de la formalité de l'inscription, et que d'ailleurs la loi peut, en adoptant un système, y apporter telles modifications, telles restrictions qu'elle juge con venables;

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