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légalement saisis de leurs biens: on a jugé que la règle, le mort saisit le vif, avait agi, sur la succession des condamnés, comme s'il n'y avait pas eu de confiscation.

Le motif de cet arrêt est fort simple: les lois de floréal et prairial an 3 avaient déclaré les condamnations comme non avenues, eu considération de l'abus qu'on avait fait des lois révolutionnaires : elle suppose innocens tous les condamnés.

Au contraire la loi du 12 ventôse an 8 les arrêtés du gouvernement des 29 messidor an 9 et 3 floréal an 11, le sénatusconsulte qui porte l'amnistie présentent tous les prévenus d'émigration non rayés comme coupables de ce délit.

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La dame Despiennes opposait en outre une inscription hypothécaire prise, par la dame Desmairières, au nom de ses enfans, contre la dame Duhot, sur des biens provenant de la succession de la dame Vanderstraeten; preuve, disait elle, de l'aveu de la transmission immédiate de la dame Vanderstraeten à la dame Duhot: si les mineurs Desmairières avaient reçu directement de la première, ils auraient pris inscription sur leurs propres biens, ce qui ne se suppose. pas; il y a donc reconnaissance qu'ils n'ont atteint la succession de la dame Vanderstraeten qu'après la dame Duhot, leur ayeule: ils sont donc dans le cas de supporter les dettes de celle-ci.

Le jugement de première instance répond à l'objection; on peut ajouter que l'incapacité de succéder, dont était frappée la dame Duhot, ne pouvait être levée par une opinion quelconque de ses pe

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tits enfaus; l'erreur qui aurait dicté cette inscription, ne peut être d'aucune conséquence; d'ailleurs ce n'est pas là une reconnaissance ex certà scientia à laquelle on pourrait donner la force d'un aven; en der nèire analyse elle emporterait, selon la dame Despien. nes, la répudiation de la succession de la dame Vanderstraeten dont ils ont été saisis comme les plus proches habiles à succéder; mais cette répudiation ne pouvait avoir lieu sans l'autorisation préalablę du conseil de famille (art. 461 du Code Napoléon), et l'inscription hypothécaire, dont on l'a fait résulter, a eu lieu sous son empire.

Ici on peut se demander comment il se fait qu'on applique la règle de la saisine à une personne morte civilement, lorsque l'état, comme au cas présent, a confisqué les biens avant la mort naturelle?

On répond qu'un mort civilement a deux sortes d'héritiers des véritables héritiers et des successeurs ou héritiers irréguliers.

:

Le fisc n'est pas un véritable héritier (Lebrun, traité des successions, liv. 3, chap. 4, n.° 79): aussi il n'est tenu, envers les créanciers de l'émigré ou du condamné, que jusqu'à la concurrence de la valeur des biens qu'il obtient par droit de confiscation; il ne confond pas en lui-même les créances qu'il avait sur cet individu avant la condamnation à la confiscation, sans que, pour jouir de l'un et l'autre avantage, il ait besoin de recourir au bénéfice d'inyentaire.

Le véritable héritier, au contraire, que saisit la

loi, représente en tout point le défunt; il n'est avec lui qu'une seule et même personne, et l'existence de l'un n'est, selon la loi que la prolongation

de l'existence de l'autre.

La confiscation n'est nullement obstative à la saisine de l'héritier du sang; elle produit seulement cet effet que la succession se réduit à une abstraction, à un droit virtuel relativement à l'héritier; ce qui arrive aussi dans le cas où le défunt ne laisse aucun actif à recueillir, hæreditas sine ullo corpore intel. lectum habet. L. 50, ff. de petit. hæred.

Qu'est-il arrivé dans l'espèce? L'état, simple suc cesseur, qui représentait la dame Vanderstraeten, du chef de la confiscation seulement, a rendu ses biens, ou une partie de ses biens, aux vrais héritiers, à ceux qui avaient ce titre au moment de la mort civile, et qui l'avaient encore à l'époque de la mort naturelle.

Le tribunal d'Ypres s'est proposé la question suivante:

EXTRAIT DU JUGEMENT.

« Les cités sont-ils héritiers de la dame veuve Duhot, leur mère et grand'mère, et par suite tenus a paiement des dettes qu'elle peut avoir laissées par l'acceptation de la succession de la dame veuve Vanderstraeten, décédée plusieurs mois avant la dame Duhot? »

Sur quoi délibérant,

« Considérant dans l'espèce que, pour que les cités soient réputés héritiers de la dame Duhot,

eût fallu que la succession de la dame veuve Vanderstraeten leur fût dévolue par l'intermédiaire de la dame Duhot, et que celle-ci eût été héritière de la dame Vanderstraeten.

""

Considérant qu'en aucun temps, à aucune époque, la dame Duhot n'a eu qualité à recueillir cette succession; qu'à la mort de la dame Vanderstraeten, le 10 pluviôse an 8, étant déjà inscrite sur la liste des émigrés, tous ses droits civils étaient suspendus; qu'encore inscrite sur cette liste à la promulgation de la loi du 12 ventôse an 8, elle était réputée vraie émigrée, morte civilement, incapable d'exercer aucun acte du droit civil des Fran çais, et que son élimination de la liste des émigrés, en date du 23 vendémiaise au 10, n'a eu, à son égard, d'effet quelconque, parce qu'étant décédée le 29 pluviôse an 9, son élimination postérieure n'a pu lui rendre la vie civile;

<< Considérant d'ailleurs que la dame Vanderstraeten, également inscrite sur la liste des émigrés, ses biens et sa succession ont été dévolus au gouvernement jusqu'à la levée du sequestre, qui n'eut lieu qu'en germinal an 11;

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<< Considérant que, de l'inscription prise par la dame Desmaisières d'Arfeuille sur les biens de la succession de la dame Vanderstraeten, pour sûreté des créances qu'elle et ses enfans pouvaient avoir sur sa belle-mère, la dame Duhot, il ne résulte rien à l'intention de la demanderesse, parce qu'à l'époque que la dame Desmaisières-d'Arfeuille a pris cette inscription, elle pouvait croire la dame Duhot encore en vie, à Barcelone, et éliminée de la liste

des émigrés, habile à recueillir la succession de la dame Vanderstraeten comme son héritière pré

somptive.

« Considérant enfin, que la dame Duhot n'ayant pas eu qualité, et ne s'étant pas de fait portée héritière de la dame Vanderstraeten, sa succession est passée directement et immédiatement à ses en fans et petits enfans, lesquels, par cette acceptation, n'étant pas héritiers de leur mère et grandemère, la dame Duhot, ne sont par - conséquent point tenus des dettes qu'elle peut avoir laissées à sa mort;

« Le tribunal renvoie la demandéresse de ses fins et conclusions, et la condamne aux dépens. »

Dans la plaidoirie sur l'appel, la dame Despiennes sembla passer condamnation sur les effets de la loi du 12 ventôse an 8; elle concentra presque toute sa défense sur un point de fait qui a douné lieu à la discussion des 2, 3 et 4.e questions que nons avons posées.

Revenant néanmoins sur ses pas, elle voulut encore prouver, par un arrêt de la cour de Bruxelles, du 16 prairial an 12, rendu en faveur de la veuve Meyer contre les héritiers légaux de son mari, que les individus inscrits sur la liste des émigrés, et rayés ou éliminés aprés la loi de l'an 8, n'étaient pas constitués en état de mort civile (*).

(*) Voyez Rép., au mot émigration, § 6, n. 2.

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