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Nous avons rapporté cet arrêt (tome 3, pages 337 et suivantes); il est facile d'appercevoir une différence essentielle entre l'espèce de la veuve Meyer et celle-ci. Meyer, testateur, était décédé en 1799, long temps avant la loi de l'an 8; il n'était alors que prévenu d'émigration; il se trouvait placé dans le cas de la loi 13, § 2, ff. qui testam. facere poss. ; il n'était incapable, ni lorsqu'il fit ses dispositions, ni lorsqu'il mourut.

La dame Duhot, au contraire, décédée en l'an 9, était morte dans un état d'incapacité absolue, parce que la loi de l'an 8 avait eu pour elle l'effet d'un arrêté de gouvernement qui, statuant sur sa réclamation contre la liste des émigrés, l'aurait définitivement maintenue et aurait décidé qu'elle avait réellement abandonné le territoire français à l'époque in diquée par son inscription.

La dame Despiennes a donc entrepris de justifier son appel en s'attachant à la qualité de la veuve Duhot.

Depuis son premier mariage en 1755, a dit l'aplante, jusqu'à la mort de son second mari en 1784, elle a été décidément Espagnole; si, étant veuve, elle a continué de demeurer à châtel Desprets jusqu'à sa sortie de France et son inscription sur la liste des émigrés, elle n'a pas cessé d'ètre Espagnole ; car pourquoi aurait-elle changé de uation et de patrie? a-t-elle témoigné de faire ce changement et d'ab diquer sa qualité de sujète du roi d'Espagne.

Il s'agissait douc de prouver que la dame Duhot Tome 11, N. 6.

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avait perdu la qualité de Française par ses deux mariages avec des officiers espagnols, et, ultérieurement, que sa résidence en France, depuis 1778 jusqu'à 1794, ne la lui avait pas rendue.

D'abord on observait que le premier mari de la dame Duhot était domicilié à Madrid, et qu'il est décédé exempt de la compagnie flamande des gardes du corps; que veuve elle a passé à de secondes nôces, en Espagne, avec un brigadier des armées de sa majesté catholique; que, pendant ce second mariage elle a été domiciliée en Espagne avec son mari.

Ces faits établissent suffisamment qu'elle a cessé d'être française dès l'année 1755.

C'est un principe de tous les temps que la femme suit la condition de son mari; le Code Napoléon a consacré le principe; l'art. 12 porte l'étrangère qui aura épousé un Français suivra la condition de son mari; l'art. 19 statue : une femme française, qui épousera un étranger, suivra la condition de son mari; l'art. 108 dit encore la femme mariée n'a pas d'autre domicile que celui de son mari, ce qui est conforme à la loi 38, § 3, ad muni. cipalem, item rescripserunt imperatores Antoninus et Verus mulierem quamdiu nupta est incolam ejus dem civitatis videri cujus Maritus ejus est.

S'il est d'une vérité incontestable que les lois, autres que celles de police et de sûreté, ne régis sent que les sujets, assurément la dame Duhot, devenue espagnole, a été hors de l'atteinte de celles

décernées en France contre les émigrés; une loi positive, celle du 25 brumaire an 3, énonce d'ailleurs avec précision: ne seront pas réputés émigrés. 1.0... 7. les Français établis ou naturalisés en pays étranger antérieurement au premier juillet 1789; mais ils sont assujétis, pour ce qui concerne les biens qu'ils possèdent en France, aux dispositions des décrets relatifs aux différentes nations chez lesquelles ils résident.

Les lois sur les émigrés n'ont été faites que contre les Français qui sont sortis de France depuis la révolution.

Le conseil d'état, dans un avis approuvé par l'em, pereur, n'a pas hésité à rendre hommage à ce principe.

On sait que, dans des temps orageux, plusieurs étran gers possessionnés en France ont été inscrits sur des listes d'émigrés par des municipalités ignorantes ou avides de grossir ces listes fatales.

Après beaucoup d'éliminations et de radiations particulières, le gouvernement s'était déterminé à amnistier, sous certaines conditions, tous les prévenus d'émigration, ce qui a été exécuté par le sénatus - consulte de floréal an 10; plusieurs questions furent élevées, et entr'autres celle-ci qui concernait les étrangers: les étrangers prévenus d'émigration sont-ils soumis aux conditions de l'amnistie?

Le conseil d'état a répondu, à cette question, que l'amnistie était destinée à effacer le délit dont

le prévenu s'était rendu coupable, en émigrant au préjudice des défenses portées par la loi de son pays; or, il est certain que le délit n'a pu étre commis par l'étranger, et où il n'y a pas de délit, il ne peut y avoir de rémission, ni gráce: dans ce cas, l'acte qui constitue l'étranger en prévention doit être considéré comme non - avenu.

Il résulte, de cet avis approuvé, que, si la dame Duhot était étrangère, elle n'a pu se rendre coupa ble du délit d'émigration, en retournant à son domicile à Barcelone; il en résulte que quand elle n'eût pas été éliminée avant l'amnistie, l'acte qui la constitue en prévention d'émigration doit étre considéré

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Il restait à prouver que la dame Duhot n'était pas redevenue française par son retour en France avec son mari en 1778, et par sa résidence prolongée pendant 10 ans, depuis la mort de ce dernier jusqu'à sa sortie en 1794.

Il fallait ensuite répondre à l'objection que les tribunaux n'étaient pas compétens pour prononcer que la dame Duhot, jugée française par l'autorité administrative, était véritablement étrangère.

Pour établir le premier point, l'appelante alléguait que la dame Duhot avait joui d'une pension du roi d'Espagne, comme veuve d'officier; qu'elle n'était venue en France qu'avec un congé de ce monarque pour veiller à ses intérêts; qu'elle y était retournée, et y avait vécu jusqu'à la fin de ses jours.

A-la-vérité l'appelante ne représentait pas l'acte

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matériel de cette permission ni celui de la pension, mais elle les remplaçait par un certificat du gouverneur de Barcelone, en date du 15 mai 1796, qui attestait les deux faits, et, par un autre plus étendu le commandant général de la principauté quo de Cotalogne a délivré à la dame Duhot le 7 janvier 1797, contenant qu'elle jouissait de la pension par ordre exprès de sa majesté, et qu'elle avait été absente par congé à l'occasion de sa santé et pour arrangement de ses intérêts.

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Ces pièces méritaient d'autant plus de confiance que l'intimée et sa famille les avait employées auprès du gouvernement français.

Elle faisait valoir les inscriptions bypothécaires de l'an 12, dont il a été parlé, où la dame Duhot est qualifiée demeurant à Barcelone.

D'autres circonstances venaient à l'appui : la volonté de la dame Duhot, d'appartenir à la nation espagnole, est exprimée formellement dans la pétition qu'elle a présentée à l'administration du département du Nord en l'an 5, où elle a invoqué l'article 10 du traité de paix conclu avec l'Espgane le 4 thermidor

de l'an 3.

Enfin, le 8 frimaire an 9, elle a fait une déclaration devant le commissaire des relations commerciales du gouvernement français à Barcelone, où elle dit qu'elle est domiciliée en Espagne depuis quarante ans.

Deux choses doivent concourir pour déterminer le changement de domicile, le fait et la volonté; la

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