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Dieu ne sont-ils pas en effet pour l'homme les seules sources, l'une première, l'autre seconde, de tous les biens, ainsi que de toutes les douleurs?

b) Dieux cosmiques. Le monde actuel est le produit de l'action de l'Esprit divin sur le chaos, ou le fils d'un dieu démiurgique et d'une déesse cosmogonique. Il sera donc personnifié par un jeune dieu, tel qu'Horus.

Par la même raison, la jeunesse et la beauté seront l'attribut de toutes les divinités qui personnifient les différentes parties du monde, depuis Apollon et Diane qui président au soleil et à la lune, jusqu'aux nymphes des sources, des chênes et des montagnes.

Les fléaux de la nature sont représentés par des

monstres.

3o Les dieux de l'homme se subdivisent en cinq classes les dieux abstraits ou moraux, les dieux historiques, les dieux protévangéliques, les dieux infernaux et les âmes des morts.

a) Dieux moraux. L'homme, qui a divinisé la nature, se sent supérieur à elle, car il porte en lui l'image de Dieu. Poursuivant donc son œuvre de polythéisme, il doit personnifier ses facultés, ses affections, ses vertus, et mettre sa vie entière sous la protection d'un certain nombre de divinités spéciales.

Mais il faut distinguer dans l'homme entre son essence ou sa nature, qui est immuable et nécessaire parce qu'elle lui vient de Dieu, et sa liberté, qui lui permet de faire de sa nature un bon ou un mauvais usage. Par son essence, nous l'avons vu, il est à la fois semblable à Dieu et au monde physique. Sa liberté, au contraire, le fait différer radicalement, par sa responsabilité, des êtres qui sont au-dessus de lui, et par ses péchés, du Dieu de sainteté. Aussi les divinités qui se rapportent au cercle de la liberté, sont-elles tout à fait distinctes de celles qui

personnifient la nature humaine. On a inventé de toutes pièces les premières, ou les divinités morales, qui président aux vertus et aux vices, la Bonne Foi, la Pudeur, la Fraude, et qui n'étendent pas leurs fonctions au delà des étroites limites du domaine de la liberté, tandis que l'on a simplement emprunté aux vrais dieux (théothées) et aux dieux de la nature les secondes divinités auxquelles on a confié la surveillance des puissances de l'âme, des passions et des relations sociales. L'Amour qui unit les âmes, est le même que l'Amour cosmogonique; la déesse de la guerre, Enyo=Bellone, avant d'assister aux batailles meurtrières, présidait aux violentes luttes des éléments; l'Eternelle Sagesse, Thoth, qui a tracé le plan de l'univers, est la divinité des sages, des savants, des prêtres ; celle qui distribue les récompenses et les châtiments parmi les hommes, est cette Némésis qui avait, au temps du chaos, séparé la lumière et les ténèbres; la cité, qui est l'image du royaume céleste ou de l'Olympe, a pour protecteur Jupiter même, le roi du monde; les neuf Muses elles-mêmes étaient dans l'origine les Saisons ou les harmonies de l'année. C'est ainsi que, d'après la grande loi des analogies, l'esprit humain, qui, en formant le langage, n'avait pas jugé nécessaire d'inventer des mots nouveaux pour les faits du monde intellectuel, n'a point non plus créé de divinités spéciales pour ce même ordre de faits.

b) Dieux historiques. La nature humaine ayant été divinisée, il ne se pouvait que les hommes éminents chez qui elle éclatait dans toute sa gloire, ne fussent aussi élevés par la postérité au rang des dieux. Mais jamais la démence humaine n'est allée jusqu'à les faire s'asseoir sur le trône du vrai Dieu, jusqu'à leur rendre le culte. que l'Eternel seul a le droit d'attendre de nous. Nous avons un trop vif sentiment des misères de notre exis

tence, nous souffrons trop de nos fautes, de nos maladies, de la mort, pour nous croire sérieusement la Divinité même. Nous rendrons un culte secondaire aux Saints, aux Héros, mais jamais ils ne se confondront dans notre esprit avec l'Etre infini et parfait qui a tout créé. Quand les Césars, à leur mort, étaient mis au rang des dieux, les poëtes pouvaient bien, dans quelques vers élégants, les inviter à prendre le sceptre de Jupiter; mais la conscience nationale ne les faisait pas les égaux des divinités qui les admettaient dans leurs conseils ; et en Chine, où l'on adore les ancêtres, Confucius lui-même n'est point un dieu. Que l'identité de Dieu et de l'homme passe pour le fondement et le comble de la science de l'absolu aux yeux de ces philosophes panthéistes qui, dans les siècles de décadence, ont perdu, avec le sens moral, tout bon sens, et qui se croient la Raison absolue parce qu'ils ont réduit leur âme à n'être plus que raisonnement : c'est ce qui se conçoit à peine. Mais transporter une telle aberration de l'esprit humain aux origines de l'humanité, et en faire la croyance de tout un peuple et de tous les peuples, c'est ne comprendre ni l'homme, ni l'histoire. Evhémère, qui a été le Voltaire de son temps, n'aurait pas dù compter parmi ses partisans saint Augustin, Banier, Faber et tant d'autres. Ils auraient dû se souvenir de la distinction si tranchée que fait Hérodote entre le culte des dieux et celui des héros.

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Ce qui explique en quelque manière leur erreur, c'est que l'esprit mythique de l'antiquité, confondant le dieu avec ses adorateurs, a rapporté aux grands dieux (théothées) qui président sur l'humanité, tels qu'Osiris, Saturne, Jupiter, les destinées de l'humanité elle-même,

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ses migrations, ses découvertes, ses institutions, ses revers et surtout sa destruction et sa palingénésie diluviennes. Les mythologies se sont ainsi remplies de dieux détrônés, de dieux qui meurent comme de simples mortels, et l'on comprend qu'au premier coup d'œil on puisse prendre Osiris pour un roi d'Egypte. Mais avec un peu d'attention on se convainc que les Egyptiens étaient trop hommes pour avoir fait d'un prince leur dieu suprême. On apprend en même temps à discerner, chez la plupart des nations, une double histoire du monde primitif, l'une mythique et divine, l'autre légendaire et humaine. Le grand fait de cette histoire est le Déluge, que nous nommerons la Passion de l'humanité, et qui a été pour l'Antiquité, comme la Passion du Christ pour l'Eglise, le fondement de toute la religion, le sujet des fêtes les plus solennelles, et le thème des plus profondes et des plus poétiques méditations, qui ont donné naissance à une foule innombrable de mythes.

Les peuples de l'Antiquité pouvaient d'autant mieux faire de l'histoire de la primitive humanité celle des dieux, qu'ils avaient conservé un vif souvenir de cette race colossale dont la vie était de près de mille ans. Sa taille grandissait à leurs yeux à mesure que leur stature et leur longévité se raccourcissaient; et plus les ténèbres s'épaississaient autour d'eux, plus sa gloire les éblouissait de son éclat. De là ces Elohim, ces Déwas et ces Souras, qui entourent le dieu suprême comme des sujets leur roi.

Cependant les hommes les plus célèbres du monde primitif sont devenus, dans l'Antiquité, l'objet d'un culte spécial, qui a beaucoup varié d'un peuple à l'autre, mais qui n'a partout occupé qu'une place subordonnée. Tantôt le héros humain conservait dans l'esprit de ses adorateurs sa vraie figure et son humanité : tel Scephrus=Abel,

en l'honneur de qui les Arcadiens célébraient une fête lugubre. Tantôt, au contraire, l'homme se confondait avec celui des dieux qui l'avait inspiré : le forgeron Tubal Cain, avec le dieu démiurgique du feu, Phtha= Héphæstus=Vulcain; Jubal le musicien, avec Apollon, le dieu des harmonies universelles; Nahéma, avec Vénus; Seth, avec Thoth. A ces personnages humanitaires et primitifs, s'associent les héros nationaux des temps postérieurs, les fondateurs des cités, les grands rois, si tant est qu'ils ne soient pas des êtres fictifs.

Les êtres fictifs abondent dans l'histoire divine et dans l'histoire humaine des temps primitifs. Nous ne parlons ici que de ceux qui ont reçu un culte quelconque. Les uns sont le résumé, l'idée vivante, le Génie de toute une période tel Prométhée, le caïnite hypocrite et industrieux. Les autres personnifient soit, comme Proserpine, fille de Cérès et mère de Bacchus, la beauté divine de la jeune humanité, soit, comme Hécate, les mystérieuses terreurs des âmes subitement précipitées dans les Enfers par le Déluge. Les êtres fictifs de cette dernière espèce sont les seules des divinités historiques à qui l'on ait rendu un vrai culte de latrie. Mais aussi ne sont-elles point des hommes déifiés, et tiennent-elles de fort près d'une part aux divinités morales, et d'autre part aux vrais dieux (théothées) et aux déesses cosmogoniques qui règnent sur l'humanité.

c) Dieux protévangéliques. La promesse d'un Sauveur faite à Adam après la chute, portait que le Vainqueur du serpent naîtrait de la femme, c'est-à-dire de la femme seule, sans le concours de l'homme et par un acte créateur de Dieu. Aussi les dieux sauveurs qu'a inventés l'impatience des païens, sont-ils tous soit le fils de Dieu et d'une mortelle, ou un demi-dieu, tel qu'Hercule, une incarnation de Dieu, tel que Vichnou=Crichna. Mais

soit

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