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INTRODUCTION.

L'humanité, d'après la chronologie vulgaire, compte environ soixante siècles de vie. Mais ses biographes ne lui en donnent communément que quarante, et gardent sur les vingt premiers un silence presque complet. Les traditions relatives à sa naissance, à son éducation, à son adolescence, sont-elles donc si peu nombreuses qu'il ne vaille pas la peine de les recueillir, ou si incertaines qu'on doive se résigner à ignorer tout le premier tiers de sa vie?

Ces vingt siècles, qui finissent où commencent les temps qu'on appelle historiques, comprennent les origines de toutes les choses humaines. Chaque peuple ancien, comme le Nil, cache ses sources dans des contrées qu'on dirait inaccessibles: en remontant le cours des générations, on n'arrive point au berceau de la nation, on n'assiste point à la formation de son caractère moral, de son type physique et de sa langue, à la naissance de sa religion, de ses institutions sociales et politiques, de ses arts, de ses sciences, de son écriture. Chacun de ces peuples s'offre subitement à nous armé de toutes pièces comme Minerve, et le dieu qui les a conçus, se dérobe à nos regards dans la mystérieuse nuit de ces temps antédiluviens que Varron déjà désignait par le terme d'inconnus.

Cependant l'historien, le philosophe ne consent pas aisément à ignorer les premières destinées de l'humanité, le lieu de son enfance et son état primordial. Il supplée à la certitude par l'hypothèse. Deux seuls cas sont possibles : le Paradis avec Dieu, ou la forêt avec les brutes. Ces héros égyptiens, chaldéens, phéniciens, phrygiens, ariens, chinois, qui sont sur le seuil de l'histoire, tout resplendissants de beauté et de gloire, sont-ils issus de sauvages qui seraient lentement arrivés à ce haut point de culture intellectuelle, ou d'un peuple Primitif qu'aurait éclairé une révélation divine, et qui aurait tout inventé et tout transmis à ses successeurs?

La première hypothèse, qui est en opposition évidente avec la tradition religieuse de l'Antiquité, et qui est née aux siècles de décadence dans les écoles des philosophes matérialistes, tire aujourd'hui sa principale force de l'histoire naturelle. Les races humaines, semble-t-il, ont des types trop différents et trop immuables pour être de simples variétés d'une même espèce: il existe trois, cinq, quinze humanités distinctes, et chaque peuple est autochthone. Les partisans de l'autre hypothèse répliquent que, pour transformer en des espèces des races qui se mêlent sans cesse, et qui produisent en s'unissant une lignée indéfiniment féconde, il faut aller à l'encontre de tous les principes admis en histoire natu-relle1. On cherche à expliquer par le concours de diverses causes cette multitude de types qui passent, par des gradations insensibles, de la beauté des Blancs à la laideur des Mongols et à la difformité des Nègres. Mais c'est sur l'étude comparée des langues et des religions que s'appuient spécialement ceux qui disent que tous les peuples proviennent d'une souche commune.

Nos lecteurs connaissent tous l'excellent résumé qu'a publié tout récemment, sur ce sujet, M. le docteur H. Hollard : De l'homme et des races humaines.

La linguistique date d'hier. Elle avait trouvé tous les idiomes isolés, et déjà elle en a groupé le plus grand nombre en un petit nombre de familles plus ou moins étendues. Elle a même commencé à comparer les familles entre elles. A chaque étude nouvelle, les ressemblances se multiplient, les barrières s'abaissent ou tombent, les rangs se serrent. Toutes les langues convergent vers celles du peuple Primitif.

Mais les mots communs supposent des idées communes, et tout idiome est l'exacte image de ce que sait, croit et possède le peuple qui le parle. La linguistique peut donc fournir à l'histoire de précieux matériaux, et en particulier jeter quelque lumière sur la civilisation du premier monde. Aujourd'hui déjà l'on tente de déterminer, avec le secours de cette science, quels étaient les croyances et les mœurs, les ustensiles, les animaux domestiques, les plantes cultivées de ce grand peuple japhétique qui, en se divisant, a formé les Indiens et les Perses, les Grecs et les Italiens, les Slaves et les Lettes, les Germains et les Scandinaves, les Celtes et les Gaëls. Ce qui n'est encore possible que pour la famille, bien connue, des langues indo-celtiques, le sera plus tard pour toutes les autres.

Les résultats de la linguistique sont confirmés en plein par l'étude comparée des religions anciennes. En 1766, l'auteur de l'Antiquité dévoilée par ses usages, Boulanger, disait déjà : « Dans ce chaos de « traditions, on ne reconnaît pas moins qu'il n'y a par toute la terre <« qu'une mythologie. » Cette conviction s'impose involontairement à l'esprit de quiconque s'occupe de ce genre de recherches ; l'étude la plus persévérante ne fait que la fortifier, et chaque monument, chaque livre de l'antique Orient, qu'on découvre ou traduit, apporte à l'appui de cette théorie des preuves inattendues. Les peuples sauvages eux-mêmes, à mesure que les missionnaires apprennent à mieux connaître leurs croyances, attestent que les

différents continents ont tous les mêmes symboles, les mêmes mythes, et ces ressemblances, qui ne peuvent s'expliquer ni par les lois fondamentales de l'esprit humain, ni par le hasard, supposent nécessairement que tous les peuples sont issus d'un commun berceau.

Telle est aussi la conclusion à laquelle l'histoire de l'astronomie avait conduit Bailly. Il n'avait cependant point réuni tous les faits favorables à son hypothèse. En 1821, M. de Paravey a voulu établir devant l'Académie des Sciences que les constellations des Hindous, des Chinois, des Égyptiens et des Arabes ont de telles ressemblances qu'il paraît impossible qu'elles n'aient pas une source commune, et le rapporteur, qui était Delambre, a déclaré que <«<les preuves lui semblaient si variées et si nombreuses, que, quand même on parviendrait à en écarter la plus grande partie, l'assertion n'en resterait pas moins démontrée. » Or la sphère, dont toutes les autres ne seraient que des copies plus ou moins altérées, ne serait-elle point celle du peuple Primitif?

N'est-ce point aussi à ce peuple qu'il faut rapporter, d'après la brillante découverte de M. le professeur Boeck, de Berlin, l'invention de ce système métrique, qui était le même chez les principaux peuples de l'Antiquité, et qu'ils n'ont fait qu'appliquer chacun d'une manière particulière ?

Enfin, quelque incertaine que soit encore l'histoire de l'écriture, ce n'est pas se hasarder beaucoup que de prétendre que les alphabets, comme les sphères, ont une source unique, et que cette source est placée au delà de la dispersion des peuples dans la patrie de la nation Primitive. Nous pouvons signaler quelques lettres qui sont certainement universelles.

Palæographie, métrologie, astronomie, mythologie, linguistique, toutes ces sciences apportent donc leur contingent de preuves en faveur de l'hypothèse d'un peuple Primitif. Mais ces preuves sont la plupart encore fort incomplètes, et l'on ne peut nier

qu'il ne soit d'ordinaire très-difficile de mettre à l'abri de toute contestation la vérité et surtout l'âge des faits sur lesquels elles reposent. Ne serait-il donc point possible, sans négliger le secours de ces sciences, d'arriver au même but par une voie à la fois beaucoup plus directe et plus sûre? Le peuple Primitif, s'il a jamais existé, ne peut avoir disparu sans laisser dans la mémoire des nations subséquentes quelques traces de son existence. Il doit y avoir partout des traditions qui le concernent. Peut-être qu'en les recueillant, les critiquant et les comparant, on pourrait reconstruire son histoire par les mêmes procédés qu'on emploierait pour refaire celle des Étrusques ou des Chaldéens. N'a-t-on pas même, dans les neuf premiers chapitres de la Genèse, un récit, complet dans sa concision, de ce qui s'est passé de plus important pendant les vingt siècles qui ont précédé la grande dispersion, et ce récit ne peut-il pas expliquer les confuses traditions du monde païen en même temps qu'il recevrait à son tour de ces mêmes traditions une lumière toute nouvelle ?

Nous avons tenté cette œuvre, et nous offrons ici au public des matériaux pour servir à l'histoire du peuple Primitif

Ce peuple, c'est l'humanité tout entière au temps de son enfance et avant sa division; c'est le tronc de cet arbre colossal, qui a pour branches les trois races, blanche, jaune et noire, et pour rameaux les innombrables nations, historiques ou sauvages, de l'Antiquité et du monde Moderne. Toutes les inventions les plus importantes sont dues au plus ancien des peuples; nos croyances fondamentales étaient déjà les siennes, et le Déluge qui l'a détruit, n'a point anéanti sa religion et sa civilisation, dont les descendants de Noë ont été les vigilants héritiers, et qu'ils ont transmises aux nations qui sont sorties d'eux.

Ainsi s'expliqueraient de la manière la plus simple les analo

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