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De 1811 à 1815

LA RUSSIE ET HAMBOURG

Avant de donner ici les lettres par nous achetées, datées des années 1811, 1812, 1813, 1814, lettres dont l'importance n'échappera à personne, nous voulons faire un aveu qui nous est arraché par la lecture attentive d'un livre moins lyrique certainement, mais tout aussi dramatique que la superbe épopée du comte de Ségur. Cette lecture, en nous pénétrant du sentiment de notre injustice envers la puissance particulière que donnait à Napoléon la nature mème de son incontestable génie, nous a fait regretter certains jugements trop absolus émis par nous.

Nous entendons parler ici du Manuscrit de 1812, pour servir à l'histoire de Napoléon, par le baron Fain.

Ce récit, appuyé aux pièces justificatives, dans sa simplicité loyale, plus qu'aucun autre livre m'a fait comprendre les dévouements exaltés inspirés par l'empereur, que M. Fain fait aimer, tant il parle de lui avec amour. Il le montre vraiment grand pendant cette terrible retraite de Russie, et son occupation constante des blessés le rend sympathique. Si l'empereur a eu des torts au début et à la fin de la campagne, il convient de se rappeler qu'il était homme et qu'aucun génie ne saurait échapper aux défaillances de l'humanité.

J'ai donc été injuste envers l'empereur par piété filiale. En lisant dans le recueil de M. Fain les brutales lettres adressées par Napoléon à son fils d'adoption, l'aimable prince Eugène, j'ai excusé certains ordres adressés à mon père, et puisque la brutalité était une coutume de l'empereur, il faut se contenter de répéter, après M. de Talley, rand : « Quel dommage qu'un aussi grand homme ait été si mal élevé! »

On nous permettra d'ajouter que le livre du baron Fain, entièrement consacré à la gloire de l'empereur, est tout à fait considérable pour l'histoire du maréchal Davout.

M. Fain ne quittait pas Napoléon, et il ne rapporte de lui aucune parole amère contre le prince d'Eckmühl, nommé de 50 à 60 fois dans le

premier volume, de 80 à 90 fois dans le second. Je dirai de plus que M. Fain semble tacitement regretter que l'on ait privé le prince d'Eckmühl de plusieurs de ses divisions, par cela même qu'il constate, avec un plaisir secret 1, la joie qui éclate sur le visage du maréchal en se retrouvant à la tête de ses soldats et la joie des soldats d'avoir reconquis leur maréchal.

Cette constatation, pour qui sait lire, est tout à fait importante.

De deux choses l'une ou les dissentiments ont surgi pendant le séjour à Thorn du maréchal Davout, dissentiments suscités après coup par les jalousies de l'entourage, puisque le plus léger blâme ne se trouve jamais sous la plume de M. Fain, bienveillant par nature, il est vrai, mais qui enregistre néanmoins les fautes commises par d'autres maréchaux et signalées par l'empereur; ou M. Fain, témoin de l'héroïque conduite du prince d'Eckmühl pendant toute cette campagne, a peutêtre craint de nuire à Napoléon, son idole, en rapportant d'injustes paroles lancées contre un soldat sans peur et sans reproche. L'historien Russe de cette superbe et terrible guerre, M. de Butterlin, dit: « Les yeux de la Russie étaient fixés sur le

1. Page 355 du 1" volume.

prince d'Eckmühl. » On cherche très ordinairement à rabaisser ceux qui dépassent le niveau commun, ou bien, avec plus de perfidie encore, on exalte les grands talents d'un homme, en déplorant son orgueil, son infatuation de lui-même, fût-il, comme le prince d'Eckmühl, grand par sa modestie, plus encore que par son génie militaire; or il est facile d'irriter le maître, surtout à l'heure des revers, contre celui qui a eu trop raison.

Redisons une fois encore la parole de Shakespeare, tant elle résume la situation : « Celui qui fait mieux que son général devient le général de son général et mécontente son général. »

Nous ne résistons pas au désir d'appuyer ce mot trop vrai par quelques paroles empruntées au livre même du baron Fain. Page 198 « C'est une troupe d'élite que ce maréchal (Davout) a formé et qui ne compte pas moins de 70 mille baïonnettes. » Page 209, on trouve le maréchal Davout maître de Minsk, et Bagration pressé entre le roi de Westphalie et le prince d'Eckmühl. Pages 230 et 232 « Des ordres pressants commandent au roi Jérôme d'avancer et il n'avance pas, et Bagration est sauvé par cette désobéissance. » La scène retracée, comme à regret, par le baron Fain est curieuse; l'empereur, en apprenant que son frère s'est retiré de l'armée, s'écrie : « Quelle incartade! puis il renferme bientôt ce grief dans

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