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dernière accolade, excitait dans les salons de Paris un vif intérêt.

Le comte Beker ne pouvait qu'avec peine se soustraire à cette curiosité universelle. Il dînait chez le duc d'Otrante, alors ministre de la police, qui prêtait une vive attention au récit que le général lui faisait de son voyage avec l'Empereur, lorsque le Ministre, dans un moment d'épanchement, arrêta la conversation sur les négociations secrètes qu'il avait liées avec le prince de Metternich, au sujet de l'abdication de Napoléon et de la reconnaissance du roi de Rome.

En présence d'un autre membre de la Chambre des représentants, il assura que le Prince n'avait exigé que l'abdication de l'Empereur, formulée en peu de mots « tout, excepté l'Empereur. »

Frappé de cette disposition de la cour de Vienne, le général dit au duc d'Otrante : « Pourquoi, monsieur le Duc, n'avez-vous pas signalé ces mémorables paroles aux deux Chambres? Vous saviez pourtant que si la France, après une année d'expérience, pouvait n'être plus disposée à sacrifier son avenir à la conservation d'un homme, elle pouvait du moins nourrir encore des sympathies pour son fils. >> Le Ministre s'aperçut qu'il s'était trop avancé dans ses révélations, il détourna la conversation et rentra dans les grands appartements encombrés

par les notabilités politiques et militaires de l'Eu

rope.

Paris était alors un affligeant théâtre. La douleur de ceux qui portaient le deuil de leur pays envahi contrastait avec la gaîté dont les accès bruyants se manifestaient dans le jardin des Tui

leries.

Là, dans des chants injurieux, outrageant la mémoire de l'Empereur, dansaient sous les fenêtres du Roi, avec des soldats étrangers, des femmes qui avaient tout renié, jusqu'à la gloire de leur patrie.

Ce spectacle, qui scandalisait même les officiers des armées alliées, produisit une impression bien pénible sur l'esprit du général Beker, qu'attristaient d'autres souvenirs encore si récents.

Il avait consacré quelques jours à la capitale, il eut hâte de s'en éloigner.

Il alla demander au Ministre de la guerre, son ancien ami, l'autorisation de rentrer dans ses foyers.

Le Maréchal avait rendu compte au Roi de la manière dont le comte Beker avait rempli sa mission : il proposa au général, au nom de Louis XVIII, le commandement d'une division militaire.

Cette proposition, toute honorifique et toute flatteuse qu'elle paraissait être à celui qui la reçevait, ne convint pas néanmoins à son caractère,

il remercia le Ministre de ses offres en ajoutant que, la moitié de la France étant occupée par les armées étrangères et l'autre moitié livrée aux discordes intestines, il ne se sentait pas la force nécessaire pour faire exécuter les ordres du Gouvernement.

Le Maréchal, cédant à ces motifs, lui fit expédier aussitôt l'autorisation qu'il sollicitait.

LE MINISTRE DE LA GUERRE AU GÉNÉRAL BEKER.

Paris, le 24 juillet 1815.

Général,

J'ai l'honneur de vous annoncer que, conformément à la demande que vous en avez faite, vous êtes autorisé à vous rendre dans le département du Puy-de-Dôme pour y attendre de nouveaux ordres.

Signé le Ministre Secrétaire d'État de la guerre,

GOUVION-SAINT-CYR.

Libre enfin de suivre son impulsion, le général Beker retourna dans le département du Puy-deDôme, alors occupé par le corps du maréchal Suchet, licencié depuis, avec les débris de l'armée de la Loire.

Il revit sa retraite de Mons, pour y goûter un repos si nécessaire, après tant d'émotions cruelles,

et après tant de jours d'agitation physique et morale 1.

1. L'honorable général Beker, rentré à Paris, demeura jusqu'à sa mort un des habitués fidèles du prince d'Eckmühl; puis ensuite, de ma mère, chez laquelle je l'ai vu pendant toute mon enfance. Un cruel malheur, la mort de son fils unique, le fit entièrement renoncer à la vie du monde et à Paris.

DEUX LETTRES COMPARÉES

Aux émouvantes pages de cette brochure portant l'indiscutable accent de la vérité, pages écrites par un ami fidèle de l'Empereur et qui le montrent flottant entre cent pensées diverses, nous ferons succéder deux documents contradictoires, reliés cependant par une même pensée d'injuste blâme. Nous entendons ici parler de quelques lettres traduites de la correspondance de la famille Mendelssohn, puis de quelques paroles de madame Campan, adressées à la reine Hortense.

Voici d'abord ce que dit Mile Mendelssohn, gouvernante de Fanny Sébastiani, devenue hélas ! la duchesse de Praslin1:

« Je puis vous raconter comme un trait remarquable que ce terrible Davout, la terreur du Nord, le provocateur de souffrances indicibles, ne montre aucune volonté chez lui; il n'a pas le courage de commander quelque chose au moindre des domestiques, sans le consentement de sa Maréchale, qui gouverne sa maison avec la même rigueur inflexible que lui les pays vaincus.

1. Die familea Mendelssohn, 1727-1817. Hensel. Berlin, 1879.

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