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cessait, comme lorsqu'il y avait des baux à loyer ou à ferme, ou même lorsque, sans location ou ferme, les fruits surpassaient évidemment les intérêts, ces mêmes tribunaux imputaient l'excédant sur le capital.

Cette règle aussi sage qu'équitable a été adoptée par le projet de loi, puisqu'il charge le créancier d'imputer d'abord les fruits sur les intérêts, s'il lui en est dû, et ensuite sur le capital de sa créance.

On ne peut cependant se dissimuler que cette disposition semble, au premier aperçu, atténuée par celle du projet de loi, qui veut que, lorsque les parties ont stipulé que les fruits se compenseront avec les intérêts, ou totalemeut, ou jusqu'à une certaine concurrence, cette convention s'exécute comme toute autre qui n'est point prohibée par les lois.

Mais à ceux qui voudraient conclure de la première partie de cette disposition que toute convention de cette nature est autorisée, quelque disproportion qu'il puisse y avoir entre les fruits et les intérêts, on répondrait, d'après les termes de la seconde partie, que cette convention ne doit avoir son effet que comme toute autre qui n'est point prohibée par les lois. Cette disposition se combine avec l'article 34 du titre du Prét, où il est dit que l'intérét légal est fixé par la loi, et que l'intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe pas. C'est avec raison que le législateur s'est réservé dans ce titre le soin de fixer l'intérêt légal, et de prononcer sur l'intérêt conventionnel. Un Code qui aura la durée des siècles ne peut contenir des dispositions transitoires qui tiennent à des circonstances et à des rapports souvent indépendans de l'autorité. Nous savons et nous éprouvons que la diminution du prix de l'argent est tout à la fois un signe et un moyen de prospérité; qu'elle porte aux entreprises utiles; qu'elle favorise et multiplie les produits agricoles; qu'elle donne à l'industrie nationale les moyens de lutter avec succès contre l'industrie étrangère. Ces bienfaits vont s'affermir et s'accroître par l'effet de nos nouvelles lois.

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Plus les capitalistes trouvent de sûreté dans les lois, plus l'intérêt de l'argent est modéré. Or quel peuple sur la terre pourra se glorifier d'avoir une législation qui donne plus de stabilité aux engagemens, qui assure plus de respect aux propriétés, qui prescrive des règles plus précises pour leur disposition, qui repose enfin sur des bases plus saines et plus morales?

Tout concourt donc à faire penser qu'on n'abusera pas du silence de la loi, tant qu'elle croira devoir le garder; et pour revenir au contrat qui nous occupe, la pudeur publique veillera à ce que le créancier n'y impose point des conditions trop onéreuses à son débiteur, en exigeant des fruits d'une valeur évidemment disproportionnée avec les intérêts qui lui sont dus.

Un second effet de l'antichrèse entre le débiteur et le créancier, c'est l'obligation pour celui-ci de payer les contributions et charges annuelles de l'immeuble : ce sont des charges des fruits, et qui retombent par conséquent sur celui qui les perçoit. Il est tenu, comme le créancier sur gage, de 2097 pourvoir à l'entretien et aux réparations. Une disposition précise du projet de loi l'autorise à se décharger de toutes ces obligations, en remettant la jouissance de l'immeuble à son débiteur, s'il n'a renoncé à ce droit. Il est certain qu'à moins de stipulation contraire, on ne peut être tenu d'exécuter une convention qu'on n'a formée que pour sa sûreté et son avantage.

J'ai mis sous vos yeux toutes les dispositions du projet de loi; les règles de la morale et de l'équité y sont également respectées. Le Tribunat vous propose de le convertir en loi.

Le Corps législatif rendit son décret d'adoption dans la même séance, et la promulgation du titre eut lieu le 5 germinal an XII (26 mars 1804).

TITRE DIX-HUITIEME.

Des Priviléges et Hypothèques.

DISCUSSION DU CONSEIL D'ÉTAT.

(Procès-verbal de la séance du pluviose an XII.
7

28 janvier 1804.)

LE CONSUL charge la section de législation de présenter, jeudi prochain 12 pluviose, les deux rapports qu'elle a préparés sur les deux systèmes du régime hypothécaire; savoir, celui proposé par les rédacteurs du projet de Code civil, et celui de la loi du 1er brumaire an VII.

Ces rapports seront imprimés.

(Procès-verbal de la séance du 12 pluviose an XII. -
.— a février 1804.)

PREMIER RAPPORT DE LA SECTION DE LÉGISLATION.

M. BIGOT-PRÉAMENEU, au nom d'une partie de la section. de législation, fait l'exposé suivant des motifs du régime hypothécaire adopté dans le projet de Code civil.

Ce rapport est ainsi conçu :

Le nouveau système de la publicité et de la spécialité des hypothèques est-il préférable aux règles suivies dans cette matière jusqu'à la loi du 11 brumaire an VIL?

Les motifs qui s'opposent à ce que ce système soit adopte vont être exposés.

On rappellera quelle est, dans cette matière, l'ancienne législation que l'on propose de maintenir, et l'on discutera ensuite les questions de publicité et de spécialité.

SECTION 1re.-État de la législation jusqu'à l'an VII.

Un principe fondamental sur lequel il ne peut y avoir di

versité d'opinions se trouve rappelé en tête de tous les projets de loi sur les hypothèques : Quiconque s'est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présens et à venir.

La conséquence de ce principe est que le crédit de celui qui contracte un engagement se compose, non seulement de ses immeubles, non seulement de tous ses biens actuels, mais encore de ceux que sa bonne conduite, que son industrie, que l'ordre naturel des successions peuvent lui faire espérer.

Les Romains, nos maîtres en législation, n'ont jamais fait la moindre dérogation à un principe aussi fécond dans ses heureux effets. Si, d'une part, ils ont voulu faire reposer la foi des engagemens sur tout ce que le débiteur possède et pourra posséder, ils auraient également cru porter atteinte au droit de propriété du débiteur s'ils l'avaient privé de l'avantage d'offrir, dans toute son étendue, la garantie qui est en son pouvoir.

Quant aux droits des créanciers entre eux, ils étaient réglés sur des principes d'équité.

Dans tous les temps il s'est trouvé des créanciers qui, non contens d'une obligation personnelle et générale, ont voulu rendre leur créance préférable à celle des autres créanciers. Ils ont exigé qu'on mît en leur possession des choses mobilières qui devinssent ainsi leur gage spécial, ou que le débiteur affectât, sous le nom d'hypothèque, tout ou partie de ses biens présens et à venir. Le débiteur n'était point dépossédé par l'effet de cette hypothèque, mais il ne pouvait disposer du bien hypothéqué qu'avec la charge dont il était grevé envers le créancier : celui-ci pouvait le suivre entre les mains des tierces personnes auxquelles il aurait été transmis, et son droit ne se perdait que par la prescription.

Ainsi le créancier avait, du moment où l'engagement était contracté, un droit réel sur le bien hypothéqué, droit considéré comme un accessoire à l'engagement, et qui consé

quemment s'appliquait aux biens présens et aux biens futurs.

De là ces règles que le créancier hypothécaire est préféré à celui qui n'a qu'une obligation personnelle, et que, dans le concours de plusieurs créanciers hypothécaires, celui dont l'hypothèque rémonte à une date antérieure est préférable.

Tel était l'ordre simple entre les créanciers qui avaient obtenu l'hypothèque par convention avec le débiteur; mais il est aussi des engagemens qui, par leur objet, et par des principes d'humanité ou de justice, doivent être exécutés de préférence aux autres conventions, et conséquemment aux hypothèques qui en sont l'accessoire; ce sont les créances qui par ces motifs sont mises comme privilégiées dans une classe à part. Il faut qu'à cet égard les règles de l'équité soient aussi impérieuses que certaines, puisqu'elles se retrouvent dans tous les temps et dans tous les Codes.

Il est encore des engagemens qui se forment sans convention et par l'autorité de la loi. Elle intervient alors pour conserver aux créanciers un droit que la nécessité de maintenir l'ordre public doit garantir; et du moment que ce droit légal est établi, il ne doit plus dépendre du débiteur d'attribuer à un autre, par simple convention, un droit d'hypothèque qui puisse prévaloir.

Telles sont les hypothèques que la loi donne à la femme sur les biens de son mari, aux mineurs et aux interdits sur les biens des tuteurs, etc.

La force des jugemens n'eût été qu'illusoire si le condamné eût pu ensuite, par une simple convention d'hypothèques, donner sur ses biens un droit préférable : il était encore d'une nécessité absolue que les condamnations judiciaires, comme les engagemens légaux, eussent, suivant leur date, rang au nombre des dettes hypothécaires.

Telle est en peu de mots cette théorie simple qui, depuis tant de siècles, fixe les droits entre les créanciers et les débiteurs, et les droits des créanciers entre eux ; théorie fondée sur l'usage le plus étendu du droit de propriété, soit pour

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