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en attaquant les barricades dans le mouvement républicain qui eut lieu à cette époque. Il parla longuement; je l'écoutai avec bienveillance, avec une grande patience: il était malheureux, je lui devais ce dédommagement. Ce jour-là, il ne fut question d'aucune autre chose. Je l'ai plaint d'avoir été brusquement mis à la retraite. Je lui dis: « Mon cher commandant, vous êtes garçon, vous n'avez pas d'enfant, vous avez un peu de fortune. Vous êtes trop heureux d'être libre et maître de vous après avoir servi trente ans. » La conversation fut bienveillante, confiante, amicale.

Le commandant m'avait dit la veille qu'il allait à Gand. J'avais eu, quand j'étais en mission en Belgique, mon quartier-général à Gand. Le commandant m'avait demandé des renseignements sur quelques personnes de Gand; je les lui avais donnés. Il m'annonça qu'il partait pour Gand; je le crus. C'était dans le mois de mars.

Au mois d'avril, le commandant Mésonan revint à Lille; je n'y étais pas, j'étais en inspection trimestrielle. Le commandant se présenta plusieurs fois chez moi, il ne me trouva pas. Cependant, comme il ne m'avait parlé que d'amis qu'il allait voir à Gand et à Bruxelles, d'anciens amis de captivité, je trouvais étonnant qu'il revînt si souvent à Lille. J'en demandai la cause au commandant Cabour, qui me répondit que Mésonan avait une liaison à Lille. Je le crus.

Au mois de juin, j'étais à Lille, commandant par intérim la division en l'absence du lieutenant-général Corbineau. Le commandant Mésonan vint chez moi. J'étais fort occupé. Je dois dire que je craignais qu'il ne me parlât encore de ses griefs. Je les avais écoutés une fois avec une grande patience; je ne voulais plus les entendre. Je lui dis : « Mon cher commandant, j'ai le capitaine Gueurel à diner, faitesmoi le plaisir de venir; vous trouverez ma femme et mes enfants, si un diner d'enfants ne vous ennuie pas. Il accepta. Après le dîner, nous fûmes à la promenade; il n'a été question de rien. L'heure où j'avais l'habitude d'aller à la préfecture étant arrivée, je quittai ces messieurs, qui devaient partir le lendemain, l'un pour Gand, l'autre pour Maubeuge. Alors le commandant Mésonan me remit une petite brochure, en me disant : « Mon général, lisez! Je la mis dans ma poche.

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Déjà, j'ai oublié de le dire, dans sa première visite, le commandant Mésonan, après m'avoir parlé de sa mise à la retraite au moment où il espérait, et avec raison, d'être

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devoir dans toutes les occasions. Une seule fois, elle ne l'a pas fait.

« C'est en 1815, l'empereur était malheureux et dans toute sa gloire; et aujourd'hui...!» Le commandant fut embarrassé. Alors il me dit : « Général, vous manquez une belle occasion, une occasion de fortune. La fortune, à ce prix, je n'en veux pas. Et vous, commandant, que j'aimais, que j'estimais, qui pouvez vivre heureux et tranquille avec votre retraite !... » Le commandant me cita alors des hommes que je ne veux pas nommer, qui, disait-il, étaient dans la conspiration.

Je lui dis que cela n'était pas possible; que quand on servait un gouvernement, on devait le servir avec loyauté, avec honneur, et qu'on ne le trahissait pas. Puis, ayant pitié de cet homme malheureux, malgré le manque d'estime qu'il m'avait montré, je lui pris les mains et luí dis : « Commandant Mésonan, pour Dieu! par attachement pour moi, par honneur pour vous, renoncez à vos projets, je n'en dirai rien à personne. Partez pour la Belgique, restez-y; dans quelque temps vous retournerez à Paris; mais, pour Dieu ! quittez Lille, et à âme qui vive je ne dirai rien de ce qui s'est passé ici. Le commandant était ému; il sortit en me disant : « Mon général, je pars ce soir. »

Cette scène se passait dans mon cabinet le 17 juin. Je jure devant Dieu et devant les hommes, je jure sur la tête de mes cinq enfants qu'il n'y eut pas un mot de plus ni un mot de moins, ce que j'énonce est l'exacte vérité, toute la vérité.

Qu'on ne dise pas, parce que je n'ai pas la lettre, que j'ai voulu me faire un mérite de mon rapport. Non, puisque je me suis compromis.

Le commandant partit. Je n'ouvris la bouche de ce qui s'était passé qui que ce soit, pas même à ma femme. J'aurais eu trop de douleur qu'on sût qu'un homme me méprisait assez pour me faire une pareille proposition.

Cependant, malgré ma promesse, j'avais un devoir à remplir. Je rencontrai, le 20 ou le 22 juin, le brave commandant Cabour, un vieux soldat, un homme loyal. Je devais empêcher qu'il eût des rapports avec Mésonan. Je lui dis : « Connaissez-vous bien Mésonan? - Oui, mon général. - Depuis quand le connaissez-vous? Depuis longtemps. Eh bien! ne le recevez plus, ne le voyez plus! Pourquoi, mon général, puisque vous lui donnez à dîner, et que vous le recevez chez vous? - Cela est vrai, mais je ne le recevrai

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plus. Voici ce qu'il a osé me proposer? Le commandant Cabour fut anéanti.

C'est un devoir que j'ai rempli. Comme chef, je n'avais pas rendu compte au ministre de la tentative de subordination. Je me connaissais, je me sentais; mais si un subordonné était venu me dire qu'on lui avait fait une pareille proposition, à l'instant même j'eusse écrit au ministre. Je pouvais être généreux quand je n'engageais que ma position; mais pour un autre je ne l'eusse pas fait.

Je partis de Lille pour remplir les fonctions de mon grade. Elles sont grandes dans le département du Nord, qui a deux mille cinq cents hommes à fournir à l'armée. Je voyageais avec le préfet du Nord, dans sa voiture. Le préfet, homme loyal, homme dévoué, que je connais depuis quinze mois, et que je regarde comme un ami, me parla de ses craintes sur les projets du parti bonapartiste. Il me dit qu'on se remuait en Belgique, qu'on s'agitait en France, que le parti cherchait à gagner et les troupes et les habitants. C'était le 3 juillet. Par suite de ma confiance en M. de Saint-Aignan, je lui dis que je partageais son opinion, ses craintes, et je lui rapportai, à l'appui de mes craintes à moi-mêine, la scène qui s'était passée avec le commandant Mésonan dans mon cabinet, et ses propositions. Le préfet me dit : « Quoi! vous n'avez pas écrit? Non, je n'ai pas écrit; je ne veux pas attacher mon nom à des procès politiques; je méprise toutes ces tentatives. » J'ai fait mon devoir; car, au milieu de tout cela, je remplissais mes devoirs militaires. Je donnai un ordre du jour, dans lequel je rappelais aux troupes, aux neuf colonels, aux treize places de guerre de la division, leurs devoirs envers le roi, envers le gouvernement de juillet et envers la France.

Le préfet me dit : « Je vous demande la permission d'en informer le ministre de l'intérieur. » J'y consentis; un refus pouvait me faire soupçonner dans l'esprit du préfet. Je tenais trop à son estime pour ne pas transgresser ma promesse. Je l'autorisai, en le priant de ne pas rendre compte du contenu de la lettre, du fait qui s'était passé dans mon cabinet.

Le 4 juillet, le préfet écrivit au ministre de l'intérieur pour signaler Mésonan comme un agent du prince Napoléon. Le même jour, mon aide de camp vint chez moi pour son service, et m'annonça que le commandant Mésonan s'était présenté en mon absence. Je fus indigné. Je trouvai que le

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