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préméditation, eût changé leurs dispositions, ce coup de feu devint le signal de leur retraite de la caserne. Ils l'effectuèrent en ordre, sans être poursuivis, mais sans renoncer encore à leur projet. Après avoir échoué auprès de la garnison, ils osèrent compter sur la population dont ils croyaient si follement avoir toutes les sympathies. Les habitants de Boulogne ont fait raison de cette absurde illusion.

C'est vers la haute ville que marchent les conjurés, semant des proclamations et de l'argent, aux cris de vive l'Empereur! Louis Bonaparte veut s'emparer du château et y prendre des armes pour les distribuer à la population. Le souspréfet, prévenu à temps, marche à leur rencontre, et, au nom du roi, leur intime l'ordre de se séparer. Lombard lui répond par un coup de l'aigle qui surmontait le drapeau. Ils continuent leur marche, un instant interrompue, vers la haute ville. Les portes en avaient été fermées par les ordres du sous-préfet et du commandant de place. Les conjurés essayent de les enfoncer. Deux haches sont inutilement dirigées contre cette clôture. Il faut renoncer à cette autre partie du plan, et il ne reste plus aux conjurés qu'à fuir, qu'à regagner leur embarcation; mais, soit que, dans leur délire, ils gardent encore quelque espérance d'entraîner la population, soit que la confusion et le désespoir les égarent, soit qu'ils cherchent une mort que ce lieu aurait la puissance d'ennoblir, ils marchent à la colonne élevée sur le rivage à la gloire de la GrandeArmée.

La distance est parcourue sans obstacle. Arrivés au pied de la colonne, les conjurés veulent constater leur prise de possession par la plantation du drapeau sur le sommet. Celui qui le porte, Lombard, pénètre dans l'intérieur et se met en devoir d'en gravir les degrés; les autres font des dispositions pour se défendre contre la force publique, qu'ils voient arriver de toutes parts. En effet, le capitaine Col-Puygellier avait fait battre la générale, distribué des cartouches et mis sa troupe à la poursuite des rebelles. Le sous-préfet, le maire, les adjoints, le colonel et les principaux officiers de la garde nationale avaient rivalisé de zèle pour réunir les citoyens, qu'une ardeur égale avait rapidement amenés sous le drapeau de l'ordre public, de la liberté et des lois. Tous se disputaient le premier rang pour affronter les coups des conjurés.

Mais ceux-ci, à la .vue de cet accord dans la défense entre la troupe et la population, n'avaient pas tardé à se débander.

Ils laissèrent Lombard dans la colonne, où deux citoyens de Boulogne le firent prisonnier, et ils s'enfuirent les uns vers le rivage, où ils essayèrent de gagner le bateau qui les avait portés; les autres vers la ville ou dans les campagnes.

Les premiers, parmi lesquels était Louis Bonaparte, le colonel Voisin, Faure, Mésonan, Persigny, d'Hunin, parvinrent à entrer dans un canot qu'ils s'efforcèrent de pousser au large. Ils ne voulurent pas s'arrêter sur l'ordre qui leur en fut donné on tira sur eux quelques coups de fusil qui blessèrent le colonel Voisin et tuèrent le sieur Faure. Le mouvement qui s'opéra dans le canot le fit chavirer. D'Hunin se noya. Les autres se mirent en devoir de gagner à la nage le paquebot, mais le commandant du port, Pollet, qui avait été dépêché pour le saisir, les ayant aperçus, les retira de l'eau et les fit prisonniers. Presque tous ceux qui s'étaient sauvés dans les rues de la ville ou dans les campagnes éprouvèrent le même sort. Au total on arrêta cinquante-sept personnes, non compris le capitaine de l'équipage du bateau le Chateau d'Édimbourg, qui depuis a été mis en liberté, comme nous l'avons dit plus haut.

C'est ici le lieu de rendre publiquement et solennellement à toute la population de Boulogne-sur-Mer, à ses magistrats, à la garde nationale, à ses chefs, comme à ceux de sa garnison, la justice qui leur est due. Dans cette mémorable circonstance, personne n'a failli et personne n'a hésité dans l'accomplissement du devoir. Aucun n'a mesuré le danger, tous ont bravement payé de leur personne. Gloire et honneur à la fois à ces citoyens dévoués, dans les efforts desquels toute la France s'est reconnue ! Éclatante preuve de l'attachement du pays au gouvernement et à la dynastie de 1830! La France ne se laissera jamais imposer un gouvernement par la violence, la révolte et la trahison; elle veut maintenir ce qu'elle a elle-même établi, et nul n'aura la puissance de la contraindre à se désavouer.

Il ne suffisait pas que l'exécution de l'attentat eût été empêchée, il fallait encore que ses auteurs fussent placés sous la main de la justice; le gouvernement a rempli ce devoir en les déférant à la Cour des Pairs, si bien placée pour reconnaître avec une pleine indépendance l'existence et la nature des faits qui leur sont imputés, pour en apprécier impartialement les conséquences et leur attribuer, dans une juste mesure, le degré de culpabilité qui en peut ressortir. Nous allons maintenant, par une scrupuleuse analyse de

l'instruction à laquelle nous nous sommes livré, et qui a été conduite avec toute la célérité que comportait le soin religieux qui doit être apporté en de telles affaires; nous allons, dis-je, essayer, messieurs, de vous donner une idée exacte de la part que chacun des inculpés est présumé avoir prise à l'attentat dont vous devez connaître.

Mais, avant d'entrer dans ces détails, vos précédents nous imposent le devoir d'appeler l'attention de la Cour sur sa compétence. Il serait inutile d'exposer, même brièvement, toutes les charges de l'instruction, si vous deviez plus tard vous dessaisir.

Les principes vous sont familiers. Ils sont écrits dans la Charte et dans les nombreux arrêts déjà rendus par la Cour.

L'article 28 de la Charte porte: « que la Chambre des « Pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats « à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi. »

Ainsi donc, tant qu'une loi spéciale n'aura pas défini les crimes de trahison et des attentats à la sûreté de l'État, ils rentreront tous, d'une manière générale, dans les attributions de la Chambre des Pairs, dont la compétence n'aura de limite que dans la prudence du gouvernement qui la saisit, et, en définitive, dans l'appréciation que la Cour en fait toujours elle-même. A cet égard, vos précédents ont posé des principes, ont fondé une jurisprudence qui offrent à l'État et aux citoyens les garanties les plus rassurantes.

Dans l'esprit de la Charte, la haute juridiction de la Chambre des Pairs est constituée pour opposer une digue aux graves commotions qui peuvent naître de certains attentats dont les dangers s'accroissent par la combinaison et la nature des faits qui les constituent, du nombre de ces faits, des lieux où ils se sont passés, du but que leurs auteurs se sont proposé, et enfin des personnes qui y ont pris part, de la position et du rang que ces personnes tiennent dans l'Etat. Quand toutes ces circonstances manquent, il n'y a pas de raison pour enlever à l'autorité judiciaire ordinaire une action à laquelle elle suffit parfaitement.

Mais quand, au contraire, elles se rencontrent plus ou moins complétement, et surtout quand elles viennent toutes à se réunir, il y a évidemment lieu de recourir au pouvoir qui a été institué en vue de situations parfaitement analogues à celles qui se produisent. Ne pensez-vous pas, messieurs,

que tel est le cas qui résulte du compte que nous venons de vous rendre?

La gravité des faits, leur nombre, leur longue préméditation, la persévérance de ceux qui les ont préparés et accomplis, le but qu'ils se proposaient, le nom dont ils se sont couverts, la situation de quelques-unes des personnes que l'instruction a mises en état de prévention, le rang militaire qui a appartenu, qui même, pour certains d'entre eux, appartenait encore, au moment de l'attentat, à plusieurs de ceux qui y auraient participé, les prétentions de leur chef qu'il n'a jamais désavouées, même après la sévère leçon qu'il venait de recevoir, tout nous semble concourir à exiger votre haute intervention, et nous serions tenté de dire qu'il faudrait rayer de la Charte l'article 28, dont la sage prévoyance est cependant incontestable, si vous ne deviez pas retenir, pour les juger, les faits consommés à Boulogne dans la journée du 6 août dernier.

Il nous reste maintenant à retracer les preuves du crime et les charges qui pèsent sur chacun des inculpés. Cette tâche ne peut être ni longue ni difficile après les détails dans lesquels nous sommes déjà entrés.

C'est au moment même de la consommation du crime que ses auteurs ont été arrêtés. Ils ont été surpris les armes à la main, provoquant les troupes à la trahison et à la défection par la corruption et la violence, par la séduction d'un grand nom, par des promesses, des distributions d'argent. Des proclamations invitaient la population elle-même à la révolte en même temps que des décrets et des arrêtés prononçaient la déchéance de la famille royale. Détruisant d'une main le pouvoir légitime, de l'autre les conjurés organisaient l'usurpation. A ce double fait joignez les aveux constants, uniformes, persévérants de plusieurs d'entre eux, la manifestation précise de leurs intentions, de leurs regrets d'avoir échoué par suite de l'attitude ferme et décidée de la population, de l'armée et de l'administration; et vous aurez la réunion de toutes les preuves exigées pour l'établissement d'un fait. »

De tous les faits qui précèdent, le rapporteur conclut que le crime imputé aux prévenus est constant et avéré, et pour en compléter la preuve, il énumère successivement les charges qui, selon l'accusation, pèsent sur chacune des personnes impliquées dans cette affaire.

Nous voilà, messieurs, continue M. Persil, parvenu au terme de la pénible tâche qui nous a été imposée.

Dans le commencement de ce rapport, destiné à faire passer sous vos yeux la série de tous les faits qui ont constitué l'attentat de Boulogne, nous en avons qualifié le principe; une incroyable audace, une aventureuse présomption, une délirante ambition, ont seules pu nous l'expliquer.

Abusant de la protection qui leur était accordée par des institutions qu'ils voulaient néanmoins renverser, et sous l'égide du respect justement commandé par notre législation pour la liberté de la presse, des conjurés ont pu fonder dans le sein même de la capitale une presse quodíenne, destinée à populariser leur cause, à lui créer des partisans. Leurs émissaires, suppléant au nombre par l'activité de leurs démarches, ont parcouru le pays, 'inquiété les populations, cherché à ébranler la fidélité des troupes, et, par un odieux embauchage, entraîné des malheureux que le besoin livrait sans défense à leur coupable séduction.

Un jour, dans l'enivrement de leur présomptueuse folie, ils ont pu, au nombre de cinquante à soixante, partant de l'étranger, descendre sur nos côtes, et tenter de s'emparer de l'une de nos villes, d'où ils croyaient pouvoir s'élancer sur la capitale.

Vous jugerez les auteurs de cet odieux attentat, et, autant qu'il est en vous, vous préviendrez par la sage fermeté de vos décisions le retour de tant d'égarements si funestes. Vous vous serez ainsi acquittés envers le pays et envers la couronne des devoirs que votre haute situation vous impose. Le gouvernement (nous n'en doutons pas) remplira aussi les siens: il saura, par la prudence et par la vigueur de ses mesures, empêcher le retour de ces malheurs dont la périodicité pourrait être considérée comme une insulte pour le pays, qui s'en indigne. »

Arrêt de mise en accusation (16 septembre).

La Cour des Pairs se déclara compétente :

Attendu qu'il appartient à la Cour d'apprécier si les attentats dont la connaissance lui est déférée rentrent, par leur gravité et leur importance, dans la classe de ceux dont le

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