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avec la compagnie de manière à lui rembourser la perte du bateau si cela arrivait.

D. Avez-vous remarqué que ces messieurs aient bu pendant les dernières heures qu'ils sont restés à votre bord? R. Ils ont bu énormément, et je n'ai jamais vu plus boire qu'ils l'ont fait, et de toutes espèces de vins.

D. Est-il à votre connaissance que les voyageurs qui se trouvaient à bord fussent porteurs de beaucoup d'argent? R. Il m'a paru qu'ils en avaient beaucoup, et j'ai remarqué au moment de leur embarquement qu'ils ont remis cent francs à chaque soldat. Avant le débarquement ils ont presque tous coupé leurs moustaches.

D. Quel était le nombre des soldats qui se trouvaient à bord? R. Environ une trentaine.

D. Avez-vous remarqué qu'il y eût quelques soldats en armes sur la côte, au moment du débarquement de vos passagers? R. Il n'y avait personne sur la plage.

D. J'avais oublié de vous demander s'il est à votre connaissance que l'on ait fait des signaux à bord de votre navire, auxquels on aurait répondu de la côte française? R. Non, aucun signal n'a été fait à bord, ni aperçu venant de la terre. D. Dites-moi si vous saviez que vous aviez des armes à votre bord, et à quel moment les hommes s'en sont armés? R. Je n'ai eu connaissance des armes qui se trouvaient à mon bord qu'au moment où on les a retirées d'un fourgon pour en armer plusieurs hommes. Le nombre des caisses était de trois ou quatre.

Rapport de M. le Préfet du Pas-de-Calais.

Boulogne-sur-Mer, 8 août 1840.

Monsieur le ministre,

J'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence un rapport détaillé sur la tentative dont Boulogne a été le théâtre avanthier matin.

Dans la nuit du 5 au 6 août, vers minuit, le sous-brigadier des douanes, Audinet, étant de service avec deux préposés, aperçut devant le poste, à environ un quart de lieue en mer, un bateau à vapeur mouillé; la situation de ce navire n'excita

pas autrement son attention, parce qu'il était depuis quelques jours surtout habitué à voir des paquebots, soit au mouillage, soit louvoyant, de Boulogne à la Pointe-aux-Oies, pour attendre des dépêches; mais ayant vu, vers deux heures du matin, un canot qui lui sembla plein de monde se détacher de ce navire, Audinet se porta rapidement en avant des préposés au fil de l'eau; le canot ayant touché à vingt-cinq pas de lui, il le héla; on lui répondit : « Nous sommes des hommes du 40 de ligne, et nous allons de Dunkerque à Cherbourg; mais une roue de notre paquebot s'est brisée, et voilà pourquoi nous débarquons.

Le brigadier vit alors que le canot était effectivement monté par une quinzaine de militaires de différents grades qui sautèrent à terre. La pensée qu'on le trompait ne lui vint pas dans ce moment, il ne conçut de soupçons que quand plusieurs des individus débarqués, le menaçant de leurs baïonnettes, lui dirent: Ne vous opposez pas au débarquement ou vous serez traités comme des Bédouins; » et qu'un officier eut repris: « C'est de la douane, ne leur faisons pas de mal. Aussitôt le sous-brigadier Audinet et les préposés Caroux et Leguay, qui l'avaient rejoint, furent entourés par les rebelles bien armés. Puis le canot retourna au paquebot et fit trois voyages successifs pour amener à terre le reste de la troupe; dans l'intervalle, cinq autres employés des douanes, occupés à faire leurs rondes, furent également arrêtés par les rebelles. Aucun des douaniers ne fut maltraité ni désarmé.

Pendant le débarquement, quatre individus venant de Boulogne arrivèrent à la plage, embrassèrent plusieurs des militaires débarqués, et les deux premiers reçurent des uniformes d'officiers dont ils se revêtirent immédiatement. Sur ces entrefaites, le lieutenant des douanes Bally fut prévenu, vers trois heures et demie, de la présence du paquebot. Il se rendit à Vimereux, persuadé qu'il s'agissait uniquement d'une infraction aux règlements sanitaires. Dans l'instant où il arrivait sur la place de ce village, cinq ou six officiers s'avancerent sur lui, et sur sa réponse qu'il était chef de la douane du lieu, on le somma de guider le détachement jusqu'à Boulogne. Le détachement était composé d'une trentaine d'hommes portant l'uniforme et le numéro du 40 de ligne, et d'une trentaine d'individus revêtus d'insignes et d'uniformes d'officiers de tous grades.

Au moment du départ, il y eut dans le groupe des officiers quelques discussions sur le chemin qu'il convenait de suivre,

il fut d'abord question de prendre la falafse, mais les individus arrivés de Boulogne ayant indiqué le chemin de la Colonne, leur avis prévalut. La troupe se forma et l'on se mit en marche. Les rebelles placèrent séparément et à distance les employés qu'ils prenaient pour guides ou plutôt qu'ils enlevaient, afin de ne rien laisser d'inquiétant derrière eux; leur chef, M. Bally, après avoir supplié vainement qu'on le laissât à Vimereux, se vit contraint de marcher comme les autres. On fit plusieurs haltes, et il paraît certain que dans l'une d'elles de copieuses libations de vin de Champagne et d'eau-de-vie eurent lieu de la part des insurgés.

La troupe étant arrivée à la hauteur de la Colonne qu'on laissa à droite après lui avoir fait le salut du drapeau, un officier général ayant vu M. Bally parler à un de ses préposés dont il s'était rapproché, vint à lui et, après lui avoir défendu de causer, lui dit : « Savez-vous bien que c'est le prince Louis-Napoléon qui est à notre tête; Boulogne est à nous, et dans peu de jours le prince sera proclamé empereur des Français par la nation qui le désire et par le ministère français qui l'attend. »

M. Bally lui répondit que ce qu'il entendait rendait sa position et celle de ses employés plus fâcheuse encore qu'il ne l'avait pensé d'abord; il demanda avec instance qu'il lui fût permis, puisque l'on voyait Boulogne et le chemin direct, de retourner à son poste avec ses hommes; le général s'y refusa et dit qu'il fallait aller plus loin encore. Un quart d'heure après, à deux cents pas environ du bureau de l'octroi, M. Bally renouvela sa demande, en s'adressant au prince lui-même, qui lui dit alors: « Je veux bien que vous retourniez à Vimereux, mais sous condition que vous irez directement et sans dire un mot de ce qui vient de se passer. »

Les préposés se réunirent et repartirent avec leur lieutenant, observés par quatre hommes armés qui les suivirent jusqu'au pied de la Colonne et les virent se diriger sur la crèche de Wimille. Au moment de la séparation, un officier supérieur s'approcha de M. Bally et lui offrit une poignée d'argent qui fut vivement repoussée. Des tentatives de séduction de la même nature ont été faites auprès de ses préposés, qui ont tenu la même conduite, à l'exception d'un seul dont l'administration des douanes a déjà fait justice.

Cependant les rebelles, arrivés à Boulogne vers cinq heures du matin, se présentèrent à la caserne au moment du lever des militaires, et s'efforcèrent de les entraîner par des

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offres d'argent et des promesses de grades. Le lieutenant de voltigeurs Aladenize, appartenant au 42, et arrivé à Boulogne depuis la veille 1, paraît avoir surtout usé de toute l'influence que lui donnait sa position pour les séduire, lorsqu'est intervenu le capitaine de grenadiers Col-Puygélier, commandant le détachement en garnison dans la ville, et par son énergie, par l'expression vive et entraînante de sa fidélité au roi, il a donné aux soldats un exemple unanimement suivi. C'est alors que Louis Bonaparte, après avoir tenté, dit-on, de lui arracher sa décoration, a dirigé sur lui, presque à bout portant, un pistolet dont la balle a frappé au cou un grenadier du 42°. On craint pour la vie de ce militaire, qui est

marié.

Après cette tentative d'assassinat sur la personne de leur commandant, il n'y avait plus rien à attendre des braves du 42., et les rebelles, quittant la caserne, se répandirent dans les rues, jetant des proclamations, de l'argent, aux cris de vive l'Empereur! Ils arrivèrent ainsi devant le poste de la place d'Alton, où se trouvaient quatre militaires, commandés par le sergent Morange; les promesses et les menaces furent successivement employées envers ces militaires comme envers leurs camarades, et cette fois encore repoussées avec non moins d'énergie et de loyauté; continuant leur route vers la Haute-Ville, et formés en cortége au milieu duquel flottait un drapeau tricolore, à l'aigle impériale, sur lequel étaient inscrits en caractères dorés les noms des principales victoires remportées par nos armées, ils arrivèrent près de l'hôtel de la sous-préfecture.

Le sous-préfet, M. Launay-Leprevost, avait, depuis quelques instants, eu le temps de revêtir son uniforme, de courir lui-même au quartier de la gendarmerie pour faire prendre les armes, et d'ordonner la fermeture des portes de la HauteVille. Il vit le groupe de séditieux qui marchait l'épée nue et aux cris répétés de vive l'Empereur! Quoique seul, il se dirigea directement sur eux, les somma, au nom du roi, d'abattre leur drapeau et de se séparer à l'instant; puis, s'adressant à ceux qu'il croyait des militaires égarés, il les

1. Il était à Saint-Omer avant l'état-major de son régiment, le 5 au soir. Il reçut un courrier qui lui fut expédié par un sieur Bataille, inculpé, et se rendit immédiatement à Boulogne où il arriva pendant la nuit.

rappela énergiquement au devoir, en leur représentant qu'ils étaient les dupes d'un aventurier, etc.

Les cris de vive l'Empereur! couvraient sa voix, mais il ne cessa d'y répondre par le cri de vive le Roi! jusqu'au moment où Louis Bonaparte ayant commandé de le repousser, il fut frappé à la poitrine par l'aigle du drapeau et faillit être renversé. Le cortége continua alors sa marche, et le sous-préfet ne put que leur déclarer que dans peu d'instants il les rejoindrait à la tête de la garde nationale. Il courut aussitôt au poste de la place d'Alton, où il trouva les quatre braves du 42°, commandés par le sergent Morange. Il parcourut ensuite les rues principales, appelant aux armes les citoyens qu'il connaissait, en leur indiquant le poste de la place d'Alton pour le lieu de ralliement.

Bientôt il s'y réunit un certain nombre de gardes nationaux, et le colonel Sansot, qui lui-même avait fait battre la générale à la Haute-Ville et rallié à d'autres gardes nationaux, vint l'y joindre à cheval. Des cartouches furent distribuées malheureusement avec quelque lenteur.

Cependant les rebelles s'étaient présentés aux portes de la Haute-Ville qu'ils avaient trouvées fermées, et après avoir inutilement tenté d'enfoncer à coups de hache celle de Calais, que gardait le commandant de place avec un détachement de vingt hommes du 42°, commandés par un officier, ils prirent la direction de la Colonne de la grande armée, distante d'un kilomètre de la ville, et y arborèrent le drapeau.

Mais ils furent bientôt suivis par le détachement de la garde nationale, commandé par le colonel Sansot, en tête duquel s'étaient aussi placés le sous-préîet et M. DutertreDelporte, adjoint au maire de la ville, et qu'éclairait la brigade de gendarmerie commandée par le lieutenant Bilot; au détachement, fort de cent hommes à peu près, mais qui se grossissait incessamment, se joignirent, par les ordres du commandant de place, les vingt militaires du 42 qui gardaient la porte de Calais, et tous marchèrent contre les rebelles, qui s'étaient d'abord placés en tirailleurs dans les bois qui enceignent le monument.

Le colonel Sansot fit ses dispositions pour les attaquer, et ce fut alors, sur l'observation du sous-préfet, qu'il convenait de placer les militaires en avant, afin d'épargner le sang des citoyens, presque tous pères de famille, que, avec une admirable unanimité, officiers et gardes nationaux réclamèrent à grands cris l'honneur de marcher les premiers. Le sous

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