Page images
PDF
EPUB

1323. d. 1

HISTOIRE

DE LA

JACQUERIE

DE 1851.

PAR

ERNEST DU BARRAIL.

PARIS

AUX BUREAUX DU PUBLIC, RUE MONTYON, 15.

1852

Il s'agissait bien, en effet, pour ces soldats de la démagogie armée, de faire prévaloir telle ou telle forme politique, de proclamer telle ou telle maxime abstraite, de résoudre tel ou tel problême de l'ésthétique gouvernementale! Des rhéteurs seuls, et quels rhéteurs! pouvaient se laisser prendre à une si grossière illusion. Non, la seule chose qu'ils voulussent, la seule chose qu'ils comprissent, c'était tout brutalement et tout simplement la destruction de la propriété et sa division infinitésimale entre tous les légionnaires de ces cohortes abruties.

Que les chefs fussent assez fous, assez vains et assez sots pour se contenter des honneurs et des places (en supposant qu'il subsistât après leur triomphe quelque trace d'organisation), les soldats envisageaient le jour de la bataille à un point de vue beaucoup plus positif. Emplir sa poche avec les écus des aristocrates et des bourgeois, se gorger du vin des bourgeois et des aristocrates; s'accommoder, qui d'un meuble, qui d'un habit, qui d'un bijou, qui d'un cheval; s'emparer des terres et les adjuger au plus offrant et dernier enchérisseur, c'est-à-dire apparemment à celui qui parviendrait à égorger les autres, telles étaient les maximes et les convictions politiques en vertu desquelles se gouvernait cet étrange parti, nous allions dire

cette bande.

[ocr errors]

On sent qu'ici nous n'exagérons rien; et la méthode que nous avons adoptée porte en elle-même les gages d'une sincérité évidente, puisque nous avons donné à notre récit la simple forme d'un compte-rendu le plus officiel possible, d'après les rapports authentiques émanés des autorités constituées. Mais, si l'on s'étonnait du caractêre particulièrement horrible de cette grande série d'attentats, nous rappellerions qu'il s'explique par la longue démoralisation qu'avait produite dans les esprits l'enseignement révolutionnaire; et que, d'ailleurs, au dessus ou au dessous des partis politiques, l'histoire nous montre, à toutes les époques de crises, une masse informe et terrible qui s'agite en de sanglantes convulsions, et formule contre l'ordre social la protestation de toutes les incapacités, de toutes les faiblesses, de toutes les folies et de toutes les hontes.

L'Angleterre a eu sa guerre des Lollards, l'Allemagne ses Anabaptistes et sa guerre des Paysans, l'Italie a ses Brigands classiques, qui ne sont autre chose que des socialistes perma

nents; enfin la France a eu ses Jacques, dont les démagogues de 1851 viennent de renouveler les exploits.

Ce furent, en effet, dans les troubles qu'amenèrent les guerres malheureuses des rois de France contre les Anglais qu'éclata pour la première fois cette terrible insurrection qu'on appela la Jacquerie. Le roi de France était prisonnier; les grands barons étaient tués ou défaits; la fleur de la noblesse gisait sur les champs de bataille de Crécy et de Poitiers. Il ne restait plus pour défendre la société monarchique et féodale que des veuves et des orphelins, des femmes et des enfants. Voilà le moment que choisirent les partageux du moyen âge pour faire main-basse sur la propriété.

« En 1558, dit Froissart, advint une grande merveilleuse tribulation en plusieurs parties du royaume de France, si comme en Beauvoisin, en Brie et sur la rivière de Marne en Valois, en Laonais, en la terre de Coucy et autour Soissons. Car aucunes gens des villes champêtres s'assemblèrent en Beauvoisin, et s'en allérent sans autre conseil et sans nulles armures, fors que de bâtons ferrés et de couteaux, en la maison d'un chevalier qui près de la demeurait. Si brisérent la maison et tuérent le chevalier sa dame et ses enfans, petits et grands et ardirent ( brûlèrent ) la maison.

>> Secondement, ils s'en allèrent en un autre fort chatel et firent pis assez; car ils prirent le chevalier et le lièrent à nn estache bien et fort; et violèrent sa femme et sa fille les plusieurs, ce voyant le chevalier; puis tuèrent la femme qui était enceinte et grosse d'enfant, et sa fille et tous les enfants, et puis le dit chevalier à grand martyre et ardirent et abbattirent le chatel. Ainsi firent-ils en plusieurs châteaux et bonnes maisons, et multiplièrent tant que ils furent bien six mille; et partout là où ils venaient leur nombre croissait; car chacun de semblance les suivait. Si que chacun chevalier, dames et écuyers, leurs femmes et leurs enfants, les fuyaient; et emportaient les dames et les damoiselles, leurs enfants dix ou vingt lieues de loin où ils se pouvaient garantir; et laissaient leurs maisons toutes vagues et leur avoir dedans.

» Ces méchantes gens robaient et ardaient tout, et tuaient et efforçaient et violaient toute dames et pucelles sans pitié et sans merci, ainsi comme chiens enragés. Certes, oncques n'avait

« PreviousContinue »