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1. On distingue deux espèces de billets à domicile.

Par la première, le souscripteur du billet indique pour le payement un domicile autre que le sien, mais dans le même lieu.

Cette stipulation n'a d'autre effet que celle d'une élection de domicile ordinaire : elle autorise le porteur à faire protester et à assigner le débiteur au domicile indiqué, mais elle ne change pas du reste la nature du billet.

2. Dans la seconde espèce, beaucoup plus usitée que la précédente, le souscripteur, indique pour le payement un domicile tout à la fois autre que le sien, et situé dans un lieu différent.

3. Le billet à domicile acquiert alors un caractère particulier qui le fait participer sous certains rapports du billet ordinaire, et, sous d'autres, de la lettre de change.

4. Ainsi, comme dans le simple billet, le contrat intervient entre deux personnes seulement le souscripteur et le bénéficiaire. On emploie la même formule : je payerai. — V. Formule.

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Au contraire, dans la lettre de change, il y a trois personnes; outre le tireur et le preneur, il y a le tiré chargé de compter l'argent à l'époque stipulée. Ainsi le tireur dit payez.

Mais, d'un autre côté, et c'est là le caractère le plus important, à la différence du billet à ordre, et de même que dans la lettre de change, il y a remise de place, transport fictif d'argent d'un lieu dans un autre. Nouguier, Lettre de change, t. 2, n. 1545; Bédarride, ibid., t. 2, n. 688 et suiv.

5. Le billet à domicile peut, du reste, être créé soit au profit d'une personne déterminée, soit à ordre, soit au porteur; et, dans ces différents cas, il demeure soumis aux règles spéciales tracées pour ces diverses espèces de billets.

6. Lorsqu'il est payable dans le lieu même où il a été souscrit, il ne constitue un acte de commerce que s'il a pour cause une opération commerciale, ou si, n'énonçant pas une cause purcment civile, il émane d'un commerçant. Nouguier, t. 2, n. 1546; Bédarride, t. 2, n. 691. — V. Acte de commerce, n. 18 et suiv.

7. Mais quand il contient remise de place en place, il est nécessairement réputé, par cela seul, opération commerciale, bien qu'il ait pour cause une affaire purement civile, et il rend le souscripteur, quelle que soit sa qualité, de commerçant ou de simple particulier, justiciable du tribunal de commerce.

La cause qui a fait environner la lettre de change de certains priviléges, notamment de ne relever, dans tous les cas, que de la juridiction commerciale, c'est l'utilité que le commerce tire de son emploi, c'est la facilité qu'elle donne de faire circuler les capitaux sans risques et sans frais; du moment donc qu'un titre présente ces facilités, il mérite de jouir des mêmes avantages. Vainement opposerait-on que le billet à domicile ne peut pas

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être confondu avec la lettre de change proprement dite, et que,
par suite, il ne saurait participer aux prérogatives toutes spéciales
accordées à cette nature de titre. L'art. 632 du Code de com-
merce dispose en effet, en termes formels, que l'on doit réputer
acte de commerce entre toutes personnes les lettres de change ou
remises d'argent faites de place en place. La remise d'argent, de
quelque manière qu'elle soit effectuée, est donc mise sur la
même ligne que la lettre de change, du moins quant à la com-
pétence; toute la difficulté consiste à rechercher, en fait, si le
billet à domicile présente l'opération de change à laquelle la loi
attache le caractère commercial. Bruxelles, 17 févr. 1807; Cass.,
1er mai 1809; Bruxelles, 28 nov. 1812; 8 juill. 1820; Lyon,
8 août 1827; Toulouse, 3 déc. 1829; Bourges, 4 déc. 1829; Trib.
com. Nîmes, 11 févr. 1830; Toulouse, 14 mai 1831 (S. 31. 2.
302. — P. chr.); Paris, 12 nov. 1833 (S. 33. 2. 598. — P. chr.
D. 34. 2. 20); Lyon, 16 août 1837 (S. 38. 2. 296. P. 38. 1.
214. D. 38. 2. 47); Bourges, 13 juin 1838 (P. 39. 1. 31);
19 mars 1839 (S. 39. 2. 264. P. 39. 2. 23); Caen, 19 janv. 1840
(P. 43. 1. 561); Lyon, 21 déc. 1840 (P. 41. 1. 82); Bordeaux,
8 juin 1842 (S. 42. 2. 519.-P. 43. 1. 562.-D. 43. 4. 8); Cass.,
4 janv. 1843 (S. 43. 1. 234. — P. 44. 1. 640. - D. 43. 1. 32);
Paris, 14 févr. 1844 (Droit, 23 févr.); 22 juill. 1845 (Droit,
17 sept.); Grenoble, 23 juin 1847 (S. 48. 2. 365); Caen, 25 juin
1847 (P. 48. 1.59); Grenoble, 14 déc. 1847 (S. 48. 2. 366); Seine,
29 juin 1852 (ibid., t. 1, 280); Caen, 10 déc. 1849 (P. 50. 2. 704);
Bordeaux, 22 janv. 1852 (J. trib. com., t. 1. 130); Trib. de Mo-
dène, 24 avril 1874 (Rev. de dr. internat. privé, 74. 125); Po-
thier, Contrat de change, n. 215; Merlin, Quest. de dr., v° Billet à
domicile, n. 1, et Répert., v° Ordre (billet à), § 2, p. 838; Vincens,
Législ. com., ch. 11, n. 5, p. 368; Pardessus, n. 479; Boucher,
Tr. du papier de crédit, t. 1, liv. 1, chap. 4, part. 3, p. 811; Hor-
son, Questions sur le C. de com., quest. 33 et 35; Fremery, Etud.
de dr. com., ch. 15, p. 98; Thiériet, Rev. de législat., t. 10, p. 454;
E. Persil, Lettre de change, sur l'art. 110, n. 15, et Bécane, p. 246
et 247; Despréaux, Compét. des trib. com., n. 502 et suiv.; Oril-
lard, ibid., n. 455; Encyclopédie du droit, v° Billet à domicile,
n. 15; Dalloz, Rép., v° Effets de commerce, n. 899 et 902; Nou-
guier, t. 2, n. 1546; Bédarride, t. 2, n. 690 et suiv. V. toute-
fois, en sens contraire, Colmar, 14 janv. 1817; Cass., 31 juill.
1817; Lyon, 21 juin 1826; Grenoble, 3 févr. 1836 (D. 37. 2. 51);
Paris, 18 août 1836 (s. 36. 2. 453. P. chr. D. 37. 2. 77);
Lyon, 12 janv. 1839 (S. 39. 2. 518. P. chr. D. 40. 2. 38);
Besançon, 18 janv. 1842 (S. 43. 2. 90. P. 42. 1. 562); Amiens,
6 déc. 1843 (S. 45. 2. 661); Nancy, 5 avril 1845 (S. 45. 2. 658.
P. 45. 1. 740. D. 45. 2. 54); Lyon, 3 janv. 1848 (S. 48. 2.
705); Bourges, 5 avril 1848 (P. 48. 2. 375); Riom, 19 juin 1849

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(S. 49. 2. 498); Orléans, 7 mai 1850 (S. 50. 2. 332); Bourges, 17 déc. 1850 (P. 50. 2. 701); Paris, 28 févr. 1851 (S. 51. 2. 236); Cass., 9 juill. 1851 (S. 51. 1. 497. P. 51. 2. 191); Bordeaux, 28 août 1851 (S. 52. 2. 109. - P. 52. 1. 459); 22 janv. 1852 (S. 52. 2. 234. - P. 52. 2. 168); Agen, 4 févr. 1852 (S. 52. 2. 109. -P. 52. 1. 459); Cass., 21 août 1854 (S. 54. 1. 571. P. 54. 2. 466. D. 54. 1. 281); 20 nov. 1856 (J. trib. com., t. 6. 272); Metz, 7 janv. 1857 (P. 57. 144); Pau, 28 mai 1859 (S. 60. 2. 93.

P. 60. 829); Locré, Espr. du C. de com., t. 1, p. 555, et t. 4, p. 188; Favard, Rép., v° Billet à domicile; Dageville, t. 1, sur l'art. 188, p. 514; Alauzet, Comment. C. com., t. 2, n. 1236; Demangeat, sur Bravard, Tr. de dr. com., t. 3, p. 38, note; Boistel, Préc. du cours de dr. com., p. 564; Rivière, Répét. écr. sur le C. com., p. 456.

Peu importe que le lieu du payement soit au domicile du bénéficiaire. Caen, 19 janv. 1840 (P. 43. 1. 561).

8. Toutefois, pour que le billet à domicile, souscrit par un simple particulier, et pour une affaire civile, entraîne la juridiction commerciale, il est indispensable que le lieu où il est souscrit et celui où il est payable soient places de commerce, ainsi que la loi l'exige pour la lettre de change elle-même. On ne saurait considérer comme telle une commune rurale et purement agricole. Lyon, 21 juin 1826; 8 août 1827; et 12 mars 1832 (S. 33. 2. 272. P. chr.); Grenoble, 17 juill. 1838 (S. 38. 2.366); 25 août 1838 (S. 39. 2. 163); Bordeaux, 11 août 1842 (S. 42. 2. 112); Riom, 7 avril 1845 (S. 45. 2. 661); Grenoble, 28 juin 1847 (P. 48. 2. 423); Lyon, 3 janv. 1848 (S. 48. 2. 705); Nouguier, t. 2, n. 1549. Contrà, Bedarride, t. 2, n. 694. — V. Lettre de change.

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9. Il n'y a pas remise de place en place, lorsque le débiteur souscrit, en province, un billet qu'il adresse par la poste au bénéficiaire à Paris, où doit être payé l'effet au domicile du débiteur lui-même; dans ce cas, en effet, il n'y a point change véritable, remise d'argent de place en place. Paris, 10 avril 1844 (Droit, 11 avr.).

10. En vertu de la doctrine opposée qui refuse au billet à domicile, lorsqu'il n'est pas souscrit par un commerçant ou pour cause commerciale, le caractère d'un titre commercial, il a été jugé :

1° Que le fait par un non-commerçant d'avoir souscrit un certain nombre de billets à domicile ne peut le faire considérer comme se livrant habituellement à des actes de commerce, et comme pouvant, par suite, être déclaré en état de faillite, alors d'ailleurs qu'il n'est pas établi que ces billets aient été souscrits à l'occasion d'opérations de commerce. Metz, 7 janv. 1857 (S. 57. 2. 496.-P. 57. 144).

2° Que la fabrication d'un billet à domicile par un non-commerçant constitue, en l'absence de toute circonstance imprimant au billet le caractère commercial, un faux en écriture de commerce et non un simple faux en écriture privée. Paris, 28 fév. 1851 (S. 51. 2. 235.-P. 51. 1. 305); Cass., 30 janv. 1852 (S. 52. 1. 480. P. 53. 1. 490. D. 52. 5. 275); 20 nov. 1856 (S. 57. 1. 238.-P. 57. 665. D. 57. 1. 29).

11. Si le billet est rédigé à ordre, il suffit cependant qu'il soit revêtu de la signature d'un commerçant pour que la juridiction commerciale devienne compétente même à l'égard des non-commerçants. Paris, 22 mars 1842 (P. 42. 1. 548); Nancy, 11 mars 1856 (J. trib. com., t. 15. 180); Paris, 9 mai 1856 (ibid., t. 5. 435); 30 juill. 1859 (ibid., t. 9. 34); Cass., 14 août 1862 (S. 63. 1. 197.-P. 63. 718. D. 62. 1. 458); Paris, 25 août 1865 (ibid., t. 15. 349); 30 janv. 1866 (ibid., t. 15. 509); 15 fév. 1875 (ibid., 75. 486); 20 nov. 1876 (ibid., 77. 178); Bédarride, t. 2, u. 681 et suiv.; Nouguier, t. 2, n. 1519 et suiv.; Rivière, p. 855 et suiv. V. Billet à ordre, n. 104, 112 et suiv.

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Peu importe que le commerçant soit intervenu au billet à titre d'obligé principal ou comme simple endosseur. Douai, 11 déc. 1840 (P. 42. 1. 11); Paris, 24 nov. 1842; Bastia, 28 août 1854 (S. 54. 2. 644. P. 55. 2. 192); Marseille, 10 oct. 1861 (J. Mars., 62. 1. 120); Paris, 23 mars 1872 (J. trib. com., 72. 337); 20 nov. 1876 (ibid., 77. 178); Vincens, t. 2, p. 371; Rivière, p. 856 et 857; Bédarride, t. 2, n. 685. V. Billet à ordre, n. 113. 12. Dans tous les cas, le souscripteur du billet est valablement assigné au domicile par lui indiqué pour le payement; il serait non recevable à soutenir que l'indication de ce domicile emporte seulement attribution de juridiction au tribunal de l'arrondissement, mais que l'assignation n'en doit pas moins être remise au domicile réel : le protêt et les autres actes d'exécution doivent être faits au lieu désigné pour le payement, et l'assignotion constitue le commencement de l'exécution du titre. Cass., 4 fév. 1808; Paris, 2 juin 1812; Cass., 13 janv. 1829; Bordeaux, 4 fév. 1834, Paris, 8 juill. 1836 (S. 36. 2. 367. P. 37. 7); Aix, 1er fév. 1838 (P. 38. 2. 316); Bédarride, t. 2, n. 526 et 695; Nouguier, t. 2, n. 1551.

13. Celui qui se trouve porteur d'un billet à domicile par suite d'un endossement, est assujetti, pour assurer son recours en cas de non-payement, aux diligences prescrites au porteur de tout billet à ordre ou lettre de change. V. ce mot.

14. Si ces diligences n'ont pas été faites dans le temps prescrit, les endosseurs sont libérés sans être tenus de prouver que le tireur du billet s'est trouvé, à l'échéance, au domicile indiqué pour le payement, ou qu'il y a fait remettre les fonds. V. Billet à ordre, n. 43 et suiv.

15. Mais le défaut de protêt à l'échéance fait-il perdre le recours du porteur, même contre le souscripteur du billet, lorsque ce dernier prouve qu'il y avait provision au domicile indiqué?

Pour la négative, on dit qu'il ne faut pas confondre, malgré l'analogie qui existe entre ces deux natures d'effets, le billet à domicile et la lettre de change dans la lettre de change, le tiers annonce qu'il ne remboursera pas les fonds en personne, et qu'un tiers, dont le porteur peut exiger l'engagement personnel, sera chargé de ce soin; dans le billet à domicile, au contraire, le souscripteur seul figure en nom, et s'oblige à effectuer le payement; il doit donc veiller à l'exécution de son engagement, et ne saurait être déchargé que par le payement; autrement, ce serait proclamer qu'un débiteur peut être libéré si son billet ne lui est pas présenté à l'échéance. C'est pour cela que, dans l'énumération des règles communes à la lettre de change et au billet à ordre, le Code de commerce n'a pas compris celles relatives à la provision. Paris, 21 fév. 1828; Horson, Quest. 61; Pardessus, n. 481; Vincens, t. 2, p. 369; Bioche et Goujet, Dict. de proc., v° Effets de com., n. 10; Encyclop. du droit, v° Billet à domicile, n. 17; Dalloz, Rép., v° Effets de com., n. 254 et 900; Nouguier, t. 2, n. 1550; Rivière, p. 458; Alauzet, t. 3, n. 1500; Namur, Le Code de commerce belge, t. 1, n. 783.

Toutefois on répond, avec raison selon nous, que si le billet à domicile diffère de la lettre de change, il n'en est pas moins vrai que le souscripteur peut opposer au porteur le défaut de protêt à l'échéance, parce que ce billet renferme à la fois, de la part du premier, une obligation de payer, et un mandat par lequel il charge le créancier de se présenter pour obtenir son payement au domicile indiqué; le créancier, en acceptant l'obligation, accepte aussi le mandat qui en est inséparable, et doit l'exécuter sous sa responsabilité; c'est donc à lui de supporter les conséquences de sa négligence, si, pour n'avoir pas dirigé des poursuites contre la personne chargée de faire le payement, il a laissé perdre les fonds déposés par le souscripteur.

Vainement argumente-t-on de ce que l'art. 187 du Code de commerce ne déclare pas les dispositions relatives à la provision, en matière de lettre de change, applicables aux billets à ordre; il déclare communes à ces billets les règles relatives au protêt et aux devoirs du porteur, et c'est assez pour que, dans le cas où il y a provision pour le payement d'un billet à ordre, le porteur soit déchu de tout recours, s'il n'a pas fait protester le lendemain de l'échéance au domicile indiqué. Cass., 4 frim. an 8 et 31 juill. 1817; Pothier, Du change, n. 214; Merlin, Quest. de dr., v° Billet à domicile, n. 4; Persil, sur l'art. 187, n. 7; Bédarride, t. 2, n. 695.

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