Page images
PDF
EPUB

pas un service avantageux au neutre, en tant que le même ennemi serait forcé par les tribunaux de son propre pays de restituer la propriété ainsi saisie injustement.

Ce fut d'après ce principe que le conseil français des prises maritimes arrêta, en 1800, que le vaisseau américain Statira, capturé par un Anglais et repris par un croiseur français, serait rendu à son propriétaire originaire, quoique la cargaison fût condamnée comme contrebande ou propriété de l'ennemi. La sentence de la cour était fondée sur les conclusions de M. Portalis, qui établit que la reprise de vaisseaux étrangers neutres par des croiseurs français, vaisseaux de l'État ou corsaires, ne donnait aucun titre à ceux qui avaient fait la reprise. Le code des prises français ne s'appliquait qu'aux vaisseaux français et aux biens repris sur l'ennemi. Selon le droit des gens universel, le vaisseau neutre doit être respecté par toutes les nations. S'il est injustement saisi par les croisières de l'une ou de l'autre des nations en guerre, ce n'est pas une raison pour qu'un autre devienne complice de cet acte d'injustice ou tâche d'en profiter. De cette maxime il résulte, comme corollaire, qu'un vaisseau étranger reconnu neutre et repris sur l'ennemi par une croisière française, doit être restitué sur due preuve de neutralité. Mais on pourrait demander pourquoi l'on traite un vaisseau étranger en pareil cas avec plus de faveur qu'un vaisseau français. La raison en est claire. D'après la supposition sur laquelle sont fondées les règles relatives à cette matière, le vaisseau français tombé entre les mains de l'ennemi eût été perdu à tout jamais s'il n'avait été repris par conséquent la reprise est une prise enlevée à l'ennemi. Si le cas cependant était celui d'un vaisseau étranger reconnu neutre, la saisie de ce vaisseau par l'ennemi ne le rend pas ipso facto propriété de l'ennemi, puisque sa confiscation n'a pas encore été prononcée par le juge compétent. Jusqu'à ce que ce jugement ait été prononcé, le vaisseau naviguant ainsi sous

pavillon neutre ne perd ni son caractère national ni ses droits. Quoiqu'il ait été saisi comme prise de guerre, il peut à la fin être rendu à son propriétaire originaire. En de telles circonstances la reprise de ce vaisseau ne peut en transférer la propriété à celui qui l'a faite. La question de neutralité reste entière, et doit être déterminée avant qu'une pareille transmutation de propriété n'ait eu lieu. Tel était le langage de tous les publicistes, et tel était l'usage général de toutes les nations civilisées. Il s'ensuivait que le vaisseau en question n'était pas sujet à confiscation par le fait seul qu'il avait été capturé par l'ennemi. Avant qu'une telle sentence pût être prononcée, le tribunal français devait faire ce qu'aurait fait le tribunal ennemi: il devait déterminer la question de neutralité, et cette question l'ayant été en faveur du réclamant, la restitution suivrait naturellement 1.

Cependant à cette règle générale a été faite une exception importante, fondée sur le principe ci-dessus relaté du code des prises, dans le cas où le vaisseau ou la cargaison reprise était en pratique sujette à être confisquée par l'ennemi. Dans ce cas il est indifférent que la propriété soit justement susceptible d'être ainsi confisquée d'après le droit des gens, puisque cela ne peut faire aucune différence dans la nature méritoire du service rendu au premier propriétaire par le bâtiment qui a fait la reprise. Car le prétexte sur lequel le droit de recousse est refusé par la règle générale, est que les cours de prises du pays du bâtiment preneur respecteront exactement les obligations de cette loi; présomption que dans les guerres d'États civilisés, ainsi qu'elles sont faites ordinairement, chaque nation belligérante doit entretenir dans ses relations avec les nations neutres. Mais si en point de fait ces obligations ne sont pas exactement observées par les tribunaux, et

1 Décision relative à la prise du navire Statira, 6 thermidor an VIII, p. 2-4.

qu'en conséquence la propriété neutre soit injustement soumise à la confiscation à leur profit, un bénéfice évident est acquis au propriétaire véritable, lorsqu'on délivre sa propriété de ce péril, délivrance qui doit être rémunérée par le payement du droit de recousse. Ce fut d'après ce principe que la cour d'amirauté de la Grande-Bretagne et des États-Unis, pendant la guerre qui se termina par le traité de paix d'Amiens, arrêta que le payement du droit de recousse était dû sur la propriété neutre reprise sur des croisières françaises. Durant la révolution en France, de grandes irrégularités et beaucoup de confusion étaient nées dans le code des prises anciennement adopté, et s'étaient glissées dans les tribunaux de ce pays, au moyen de quoi la propriété neutre fut assujettie à condamnation sur des bases injustes et inconnues du droit des gens. La reprise de la propriété neutre que ces irrégularités et cette confusion auraient exposée à la confiscation, fut alors considérée par les cours de prises anglaise et américaine comme un service méritoire, et fut par conséquent recompensée par le payement du droit de recousse'. Ces abus furent corrigés sous le gouvernement consulaire, et tant que les décisions du conseil des prises furent dirigées par le savant et vertueux magistrat Portalis, il n'y eut aucun motif particulier de plainte de la part des nations neutres relativement à l'administration pratique du code des prises, jusqu'à la promulgation du décret de Berlin en 1806. Cette mesure occasionna l'exception à la règle qui remettait le droit de recousse en usage dans les cours anglaises d'amirauté. Ces cours arrêtèrent de nouveau que le droit de recousse serait payé pour la reprise de la propriété neutre que ce décret assujettissait à la condamnation 2.

1 ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. II, p. 299. The War Onskan. Vol. IV, p. 456. The Eleonora Catharina. Vol. V, p. 54. The Carlotta. Vol. IV, p. 404. The Huntress. CRANCH'S Reports, vol. I, p. 4. Talbot v. Seemann, DALLAS' Reports, vol. IV, p. 34, S. C.

[ocr errors]

2 ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. VI, p. 440. The Samson. EDWARD'S Admiralty Reports, vol. I, p. 254. The Acteon.

Reprise

de propriété neutre.

Il est vrai qu'en pratique ce décret était resté sans effet à l'égard de la propriété américaine, jusqu'à la condamnation de la cargaison de l'Horizon par le conseil des prises, en octobre 1807; et alors on peut peut-être penser, à la rigueur, que la cour d'amirauté anglaise n'aurait pas dû décréter le droit de recousse, dans le cas du Samson, surtout quand la convention de 1800 entre les États-Unis et la France était encore en vigueur, convention dont les termes étaient entièrement contradictoires aux mesures du décret de Berlin. Mais comme la cargaison de l'Horizon fut condamnée conformément au rescrit impérial du 18 septembre 1807, ayant été prise avant la capture du Samson, soit que ce rescrit fût considéré comme une interprétation d'un point douteux dans le décret originaire, ou comme une déclaration d'une mesure antérieure et positive, il n'y a pas de doute que le Samson eût été condamné en vertu de ce décret. Par conséquent un service évident fut rendu au propriétaire neutre au moyen de la reprise, et le droit de recousse était dû sur le principe de l'exception à la règle générale. Et le même principe pourrait avec équité être successivement appliqué aux procédures de prise de toutes les puissances belligérantes pendant la dernière guerre européenne, qui fut caractérisée par les plus flagrantes violations de l'ancien droit des gens. Ces violations dans bien des cas faisaient de la délivrance de la propriété neutre d'entre les mains de leurs croiseurs et de leurs cours de prises un immense service donnant droit à une rémunération, dans le genre d'un droit de recousse, à celui qui avait fait la reprise de cette propriété.

3o Enfin la reprise peut être faite sur un ennemi.

Le jus postliminii était une fiction du droit romain, par laquelle les personnes ou les choses prises par l'ennemi devaient être remises dans leur premier état quand elles revenaient sous le pouvoir de la nation à laquelle elles

On l'appliquait aux per

appartenaient antérieurement. sonnes libres ou esclaves revenant postliminii, ainsi qu'à la propriété immobilière et à certains objets mobiliers, tels que les vaisseaux de guerre ou les navires particuliers, excepté les bateaux de pêche et de plaisir. Ces choses donc, lorsqu'elles étaient reprises, étaient restituées au propriétaire originaire, comme si elles n'avaient jamais été hors de son contrôle et de sa possession. Grotius atteste, et son autorité est appuyée du Consulato del mare, que par l'ancien droit maritime de l'Europe, si la chose capturée était emmenée infra præsidia de l'ennemi, le jus postliminii était considéré comme perdu, et le premier propriétaire n'avait pas droit à restitution. Grotius expose aussi que, d'après la loi plus récente établie chez les nations européennes, une possession de vingt-quatre heures était jugée suffisante pour dépouiller le propriétaire originaire de sa propriété même, si la chose capturée n'avait pas été conduite infra præsidia'. Et Loccenius considère la règle des vingt-quatre heures de possession comme la loi générale de la chrétienté au temps où il écrivait. De même aussi Bynkershoek établit que la loi maritime générale décide que si un navire ou des biens sont conduits infra præsidia de l'ennemi, ou de son allié, ou d'un neutre, le propriétaire originaire est entièrement dépouillé de son titre *.

1 Inst., lib. I, tit. XII. DIG., 1. XLIX, tit. xv. «Navis longis atque onerariis postliminium est, non piscatùs aut voluptatis causa.» (DIG. LXIX.)

2 Cui consequens esse videtur, ut in mari naves, et res aliæ captæ censeantur tum demum, cum in navalia aut portus, aut ad eum locum, ubi tota classis se tenet, perducta sunt; nam tunc desperari incipit recuperatio: sed recentiori jure gentium inter Europæos populos introductum videmus, ut talia capta censeantur ubi per horas viginti quatuor in potestate hostium fuerint. (GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. III, cap. vi, § 3.) Consolato del mare, cap. CCLXXXVII, § 1. WHEATON'S Reports, vol. V, appendix, p. 56. AYALA, de Jure belli ac pacis, cap. v. WHEATON, Histoire du droit des gens, p. 45. 3 LOCCENIUS, de Jure marit., lib. II, cap. IV, § 4.

[ocr errors]

4 Bynkershoek, Quæstionum juris publici lib. I, cap. v.

« PreviousContinue »