Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

PRÉAMBULE.

I

La rapidité du temps supplée à la distance. Quand on est séparé par beaucoup d'événements du point sur lequel on reporte sa pensée, on croit qu'on en est séparé par beaucoup de siècles. Les années sont pleines de vicissitudes, d'écroulements, de règnes, d'empires, de républiques depuis ma naissance. Il n'y a plus d'histoire contemporaine. Les jours d'hier semblent déjà enfoncés bien loin dans l'ombre du passé. Les perspectives reculent par la grandeur et la multitude des choses qui s'interposent entre l'œil et la mémoire.

Je dépasse à peine le milieu de la vie, et j'ai vécu déjà sous dix dominations, ou sous dix gouvernements différents en France. J'ai assisté, de l'enfance à la maturité, à

HIST. DE LA RESTAURATION. 1.

1

dix révolutions: gouvernement constitutionnel de Louis XVI, première république, directoire, consulat, empire, première Restauration de 1814, second gouvernement des cent jours par Napoléon, seconde restauration de 1815, règne de Louis-Philippe, seconde république; dix cataractes par lesquelles l'esprit de la liberté moderne et l'esprit stationnaire ou rétrograde ont essayé tour à tour de descendre ou de remonter la pente des révolutions.

[ocr errors]

J'ai palpité de ces émotions, j'ai vécu de cette vie des choses de mon temps, je me suis affligé ou réjoui de ces chutes ou de ces avénements, j'ai souffert de ces renversements, je me suis instruit à ces spectacles. Mon temps a végété, a retenti, s'est fait homme, a vieilli, s'est renouvelé en moi. J'ai compris ou j'ai cru comprendre où allait le monde sur le courant de Dieu. Une dernière vicissitude m'a jeté un moment moi-même à la tête d'un de ces mouvements, entre un gouvernement qui s'abîmait et une société qu'il fallait recueillir, sauver, constituer sur de nouvelles bases. La seconde république est née. C'était pendant une longue période au moins la seule base qui pût rallier et porter le peuple. Les monarchies s'étaient écroulées tour à tour sur lui, quelles que fussent les modifications qu'elles eussent essayé de faire à leurs principes pour vivre. Les

dynasties en guerres civiles pour le trône n'étaient plus elles-mêmes que des occasions et des causes de guerres civiles entre leurs partisans dans la nation. Les droits à la couronne étaient devenus des factions. La nation seule était une, ses prétendants étaient divisés. Le pays seul pouvait régner.

[ocr errors]

y avait de plus à faire, pour la défense des fondements de la société, de ces efforts qui veulent la force et l'unanimité d'un peuple. Enfin il avait et il a à opérer dans ses lois, dans ses idées, dans ses rapports de classe à classe, dans sa religion légale, dans son enseignement, dans sa philosophie, dans ses mœurs, des transformations énergiques que la main d'aucune monarchie n'est assez forte et assez dévouée pour accomplir. Les révolutions se font par les républiques. C'est le gouvernement des peuples debout dans leurs grandes expériences sur eux-mêmes. Ce siècle a de trop grandes choses à faire et de trop grosses questions de civilisation et de religion à remuer pour ne pas rester longtemps, ou pour ne pas redevenir souvent république. Je suis donc républicain par intelligence des choses qui doivent naître, et par dévouement à l'œuvre de mon temps. Sans me dissimuler aucun des inconvénients et des dangers de la démocratie, je crois qu'il faut les accepter héroïquement pour tâche. Elle est l'instrument qui blesse et qui brise la main de l'homme d'État, mais elle est l'instrument des grandes choses. Il faut renoncer aux grandes choses, il faut se recoucher dans le lit des habitudes et des préjugés, ou il faut hasarder la république. Voilà ma foi.

:

III

C'est de ce point de vue que j'entreprends d'écrire l'histoire des deux règnes de la restauration. Qu'on se rassure cependant ce point de vue ne me rendra pas injuste. J'aurai plutôt à me défendre d'un excès d'impartialité pour les choses de ma première époque. Il y a deux hommes dans l'historien l'homme de ses impressions et l'homme de ses jugements. Mes jugements peuvent être sévères; mes impressions sont émues, presque attendries pour la restauration. En la condamnant souvent, je ne puis m'empêcher de la plaindre. Pourquoi ? murmurent les républicains austères. Je vais le dire. C'est que ce fut l'époque où le sentiment et l'imagination eurent le plus de place dans la politique; c'est que les écrivains ont été injustes depuis contre cette phase de notre temps; c'est qu'on a fait la satire plutôt que l'histoire de la restauration ; c'est qu'on marche aisément sur ce qui tombe; c'est qu'entre l'enthousiasme de la gloire servile de l'empire et l'utilité vulgaire du règne de Louis-Philippe, on a écrasé deux princes, deux règnes, deux générations d'hommes politiques dignes d'être plus regardés; c'est qu'enfin mon cœur est du parti de cette génération oubliée, bien que mon intelligence soit du parti de l'avenir.

IV

Je sortais de l'enfance, je naissais à la pensée, j'étais de sang royaliste; j'avais été bercé dans la maison paternelle par

« PreviousContinue »