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dans des circonlocutions ambigues qui laissaient de l'espace entre les prétentions du peuple et les droits du trône.

«Sire, disait la chambre des pairs, les fidèles sujets de « Votre Majesté viennent déposer au pied de son trône le «tribut de la plus juste reconnaissance pour le double et

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inappréciable bienfait d'une paix glorieuse à la France «et d'une constitution régénératrice. La grande charte que « Votre Majesté vient de faire publier consacre de nouveau l'antique principe constitutif de la monarchie française, qui établit sur le même fondement et par un admirable accord la puissance du roi et la liberté du peuple. La «<forme que Votre Majesté a donnée à l'application de cet « inaltérable principe est un témoignage éclatant de sa profonde sagesse et de son amour pour les Français : <«< c'est ainsi que la force de la monarchie se développera et « s'accroîtra de plus en plus comme la gloire personnelle de « Votre Majesté; et après que nous aurons eu le bonheur « d'être longtemps gouvernés par elle, la postérité s'em« pressera d'unir le nom de Louis XVIII à celui de ses plus « illustres prédécesseurs. »

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Les députés s'inspirèrent de la même réserve et ne disputèrent aucun enthousiasme et aucune adulation anticipée

au roi.

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«Sire, disaient les législateurs, la charte constitution« nelle promet à la France et la jouissance de cette liberté. politique qui, en élevant la nation, donne plus d'éclat au « trône lui-même, et les bienfaits de cette liberté civile qui, << en faisant chérir par toutes les classes l'autorité royale, « rend l'obéissance à la fois plus douce et plus sûre. La « durée de ces bienfaits paraît devoir être inaltérable, lorsqu'ils arrivent au moment d'une paix que le ciel accorde << enfin à la France. L'armée qui a combattu pour la patrie « et pour l'honneur, et le peuple qu'elle a défendu, recon« naissent à l'envi que cette paix signée dès le premier mois « du retour de Votre Majesté dans la capitale est due à

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« l'auguste maison de Bourbon, autour de qui la grande << famille française se rallie tout entière dans l'espoir de ré"parer ses malheurs.

« Oui, sire, tous les intérêts, tous les droits, toutes les espérances se confondent sous la protection de la cou«ronne. On ne verra plus en France que de véritables ci

toyens, ne s'occupant du passé qu'afin d'y chercher « d'utiles leçons pour l'avenir, et disposés à faire le sacri«fice de leurs prétentions opposées et de leurs ressentiments. « Les Français, également remplis d'amour pour leur patrie « et d'amour pour leur roi, ne sépareront jamais dans leur « cœur ces nobles sentiments, et le roi que la Providence <«< leur a rendu, unissant ces deux grands ressorts des États « anciens et des États modernes, conduira des sujets libres « et réconciliés à la véritable gloire et au bonheur qu'ils << doivent à Louis le Désiré. »

XXVIII

M. Lainé, la première voix de la liberté et le premier précurseur d'une restauration constitutionnelle, fut nommé président du corps législatif. Ce choix exprimait en un seul nom la double pensée qui animait la chambre des députés, la volonté d'un gouvernement libre et l'acceptation des Bourbons. Les travaux des deux chambres commencèrent. On y sentait l'inexpérience et l'hésitation d'un peuple qui avait perdu l'usage des discussions politiques, et qui ne connaissant ni ses droits, ni ses limites, risquait de les compromettre ou de les dépasser. Le roi, attentif et mal fixé luimême sur les attributions qu'il avait prétendu concéder aux deux chambres, surveillait de son cabinet ces premiers débats avec une ombrageuse sollicitude. Les courtisans lui fai

saient peur des premiers balbutiements de l'opposition. Les royalistes, pleins de souvenirs et de terreurs, n'avaient jamais rien compris à ce partage de souveraineté dont l'oscillation entre un roi et un peuple constitue le gouvernement mixte et représentatif de l'Angleterre. Chaque indépendance leur semblait une insulte, chaque droit national une révolte, chaque discours un indice de lèse-majesté. Le roi, plus exercé et plus ferme, les rassurait et s'efforçait de modérer d'un côté les audaces, de l'autre les terreurs du nouveau mode de gouvernement. Mais aucun de ses ministres n'était capable, par sa sagacité ou par son éloquence, d'habituer la tribune et le conseil au jeu du régime représentatif. M. d'Ambray et M. Ferrand n'étaient que des rhéteurs surannés. M. de Talleyrand, homme de cabinet, de couloir et de salon, n'avait dans sa nature ni ce mâle courage qui lutte, appuyé sur des convictions fortes, contre les tumultes d'une assemblée, ni ce rayonnement foudroyant d'esprit qui les subjugue, ni cet accent dans la voix qui est la domination de l'orateur politique. Ami silencieux de Mirabeau, il s'était tenu toujours à l'ombre de ce grand discuteur dans l'Assemblée constituante. Il n'avait grandi dans l'opinion publique que depuis que la tribune avait été démolie par le despotisme et qu'on s'était fait des renommées non en plein jour, mais par l'artifice et le mystère des habiletés de cour. Il affectait de dédaigner ce vain bruit de discussions publiques et de tenir quelques fils des consciences et des ambitions dans les deux chambres. Il oubliait et il faisait oublier au roi que la France avait passé en un jour, par la promulgation de la charte, du gouvernement du silence au gouvernement de l'opinion.

Sous ses ordres, M. Beugnot, homme de même nature, donnait à la police les attributions de la justice et de la loi. La censure préalable des journaux et des livres, héritage de l'empire, s'exerçait par M. Beugnot sous l'inspiration de l'abbé de Montesquiou. Un jeune homme célèbre depuis

sous beaucoup de règnes, M. Guizot, dirigeait au ministère de l'intérieur cette partie de l'administration, et préludait par la surveillance arbitraire de la pensée à une vie de publicité et de tribune qui devait démentir ses premières années. Un des premiers chocs du gouvernement et de l'opinion fut imprudemment causé par M. Beugnot à propos d'une ordonnance de police sur l'observation obligatoire et méticuleuse du dimanche. Le roi avait cru devoir ce premier hommage au clergé, dont il affichait la restauration comme conséquence de la restauration de son propre trône. Il oubliait que la révolution était plus religieuse encore que politique dans le fond du peuple. Les consciences, plus susceptibles que les opinions, voulaient bien la restauration de l'Église catholique dans la liberté, comme les opinions voulaient bien de la restauration du trône dans la constitution; mais un acte de répression ou de compression sur les consciences paraissait un symptôme de domination d'un seul culte privilégié et un attentat contre la raison et contre la tolérance du siècle. Un cri d'indignation s'éleva de la multitude qui fit reculer les ministres et avertit le roi. L'ordonnance méprisée et inexécutée tomba en désuétude dès le premier jour. La tentative de M. Beugnot expira dans le ridicule. Elle suffit néanmoins pour irriter la nation contre l'Église et pour jeter dans l'opposition naissante un ferment de mécontentement populaire et d'agitation qui dépopularisa un peu la royauté. La chambre des députés menaça de provoquer des lois pour garantir à la fois la conscience, l'opinion et le gouvernement de discussion par la liberté de la presse. Le gouvernement, averti et intimidé par ces propositions, se hâta de présenter une loi sur la pensée, de peur que la chambre ne décrétât la pensée libre. Les ministres spécialement chargés de présenter et de défendre cette loi disaient assez, par leurs noms, quel en serait le sens. C'étaient les membres du conseil les plus antipathiques à toute intelligence de la liberté M. Beugnot qui saisissait les impri

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meurs, M. Ferrand qui maudissait l'imprimerie, M. de Blacas qui voyait la révolte dans toute indépendance de jugement. M. de Talleyrand semblait s'être joué de ses collègues en les envoyant subir, à forces si inégales devant des assemblées jalouses et éloquentes, la lutte de l'esprit de cour contre l'esprit de liberté.

L'abbé de Montesquiou, ministre de l'intérieur, moins neuf que les autres aux discussions des assemblées délibérantes, lut un discours. Ce discours faisait présager toute la loi. Il avait été médité par M. Royer-Collard, indécis encore entre son passé et son avenir, et rédigé par M. Guizot, serviteur hâté d'un gouvernement où il voulait faire place par ses services à son talent.

« Messieurs, dit M. de Montesquiou, vous le savez, ce ne « sont point de vaines subtilités, mais le résultat d'une triste "expérience: la liberté de la presse, souvent proclamée en « France depuis vingt-cinq ans, y est toujours devenue << elle-même son plus grand ennemi; la cause, dira-t-on, en « était dans l'effervescence des passions populaires, dans la « facilité avec laquelle on entraînait un peuple encore inca<< pable de juger les écrits et d'en prévoir les conséquences... «Mais ces causes ont-elles déjà disparu? Peut-on se flatter qu'elles n'agiront plus désormais? Nous n'osons le pen«ser. La servitude silencieuse qui a succédé à la turbulence

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des premières années de la révolution ne nous a pas « mieux formés à la liberté; les passions qui n'ont pu se << manifester durant cet intervalle éclateraient aujourd'hui, « fortifiées de passions nouvelles. Qu'opposerions-nous à «<leur explosion? Presque autant d'inexpérience et plus de « faiblesse... Telle est la nature de la liberté, que pour << savoir en faire usage il faut en avoir joui. Donnez-lui << donc toute l'étendue nécessaire pour que la nation n'ap<< prenne qu'à s'en servir; mais opposez-lui encore quelques «< barrières pour la sauver de ses propres excès...

« C'est sur ces principes que reposent les bases de la loi

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