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« qui vous est proposée; les articles dont elle se compose n'en sont que le développement... En vous demandant d'assigner quelques limites à la liberté de la presse, on ne « vous demande point de violer un principe, mais de l'appliquer comme il convient à nos mœurs. Le roi ne vous «propose rien qui ne lui paraisse rigoureusement néces«saire pour le salut des institutions nationales et pour la « marche du gouvernement. Ce que l'on a voulu surtout « arrêter, c'est la publication des écrits d'un petit volume, qui, plus faciles à répandre et plus propres à être lus « avec avidité, menaceraient de troubler la tranquillité «publique.

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«Tout écrit de plus de trente feuilles d'impression pourra « être publié librement et sans examen de censure << préalable.

<< Il en sera de même, quel que soit le nombre de feuilles, « des écrits en langues mortes et en langues étrangères; des << mandements, lettres pastorales, catéchismes, livres de « prières; mémoires sur procès signés d'un avocat près les « cours et tribunaux.

« Si deux censeurs au moins jugent que l'écrit est un «libelle diffamatoire, ou qu'il peut troubler la tranquillité «< publique, ou qu'il est contraire à l'art. 11 de la charte, << ou qu'il blesse les bonnes mœurs, le directeur général « de la librairie pourra ordonner qu'il soit sursis à l'im« pression.

« Il sera formé, au commencement de chaque session des << deux chambres, une commission composée de trois pairs, « trois députés, élus par leur chambre respective, et trois «< commissaires du roi.

« Nul ne sera imprimeur ni libraire s'il n'est breveté par « le roi et assermenté. Les imprimeries clandestines seront « détruites, et les possesseurs et dépositaires punis d'une « amende de 10,000 fr. et d'un emprisonnement de 6 mois.

« Le défaut de déclaration avant l'impression et le défaut

<< de dépôt avant la publication, seront punis chacun d'une << amende de 1,000 fr. pour la première fois, et de 2,000 fr. << pour la seconde. L'indication d'un faux nom ou d'une « fausse demeure sera punie d'une amende de 6,000 fr., « sans préjudice de l'emprisonnement prononcé par le Code pénal.

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« Tout libraire chez qui il sera trouvé un ouvrage sans << nom d'imprimeur sera condamné à une amende de 2,000 fr., « l'amende réduite à 1,000 fr. si le libraire fait connaître l'imprimeur. » Enfin la loi devait être revue dans trois ans, pour y apporter les modifications que l'expérience aurait fait juger nécessaires.

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XXIX

Cette loi de circonstance, qui démentait, dès le premier jour, une des promesses les plus chères à la nation dans la charte, parut un attentat à cette charte elle-même, dont la liberté de penser et d'écrire était la seule garantie. La prérogative de l'opinion expirait dans la prérogative de la police. La chambre et le pays continrent mal leur indignation. Les journaux et les pamphlets forcèrent la main de la police et semèrent partout le murmure, l'ironie, la colère et le mépris contre les ministres. Les écrivains les plus modérés et les plus favorables aux Bourbons, Dussault, Benjamin Constant, Suard, discutèrent avant la tribune les sévérités et les démences de la loi. La chambre des députés nomma, pour lui en faire le rapport, M. Raynouard, écrivain royaliste et libéral, ami et complice de M. Lainé dans sa révolte contre le despotisme impérial. Une foule immense qui témoignait assez de la passion publique assiégea les abords et l'intérieur de la chambre des députés le jour où M. Ray

nouard devait présenter ce texte de discussion à la chambre. La force armée fut obligée d'intervenir pour faire évacuer les tribunes. La foule et le tumulte firent remettre la séance au lendemain.

XXX

Une force imposante assura cette fois la réunion des députés et le calme de la délibération. M. Raynouard lut son rapport. Il était digne de cet homme de bien. Il savait sacrifier à ses opinions même ses inclinations de cœur pour les Bourbons.

Il parla au milieu d'un silence qui attestait l'anxiété de l'attention publique. Après une théorie sage et forte de la liberté réglée de la première des facultés humaines, celle de penser, et de la première des prérogatives politiques, celle de discuter le gouvernement, M. Raynouard concluait au rejet de la loi de censure et de silence. Il fut couvert d'applaudissements. La discussion s'ouvrit avec l'impatience d'opinions qui ne veulent attendre ni la victoire ni la défaite. Elle dura quatre jours. Tout fut dit sur les avantages et les dangers de la liberté complète ou de la liberté restreinte de la pensée à la suite d'une révolution qui avait excité les ressentiments et qui bouillonnait encore. L'assemblée en masse tremblait devant la puissance qu'elle allait déchaîner. Cette réunion d'hommes lassés de révolutions, timides d'idées, indécis de doctrines, façonnés par un long silence aux habitudes de despotisme, et qui ne s'étaient soulevés contre lui que le jour où il les avait menacés de s'écrouler sur eux, n'avait ni l'intelligence, ni l'audace, ni le caractère d'une assemblée depuis longtemps libre. L'im

mense majorité céda aux raisons de prudence alléguées par M. de Montesquiou. Quatre-vingts membres seulement, parmi lesquels tous les hommes d'élite de la révolution ou des lettres, Dupont (de l'Eure), Dumolard, Durbach, Raynouard, Gallois, Lainé, protestèrent contre cette faiblesse et contre cet ajournement de l'opinion libre. La loi fut adoptée.

Boissy d'Anglas et Lanjuinais, à la chambre des pairs, combattirent avec énergie et avec éloquence cette loi servile. Ces deux vétérans de la tribune, qui avaient été les plus intrépides contre la démagogie, contre la tyrannie populaire du peuple à la Convention, furent les plus inflexibles contre les excès de l'arbitraire devant la royauté qu'ils aimaient. M. de Talleyrand garda le silence devant eux, soit qu'il sentit son impuissance à la tribune, soit qu'il voulût, dans l'indécision du résultat et devant l'impopularité de la loi, rester lui-même indécis, énigmatique et libre de sacrifier ses collègues à l'opinion, si l'opinion exigeait ce sacrifice. Les hommes de la cour et de l'émigration soutin-rent les doctrines qu'ils avaient sucées avec le lait et maudirent dans la liberté de la pensée la cause de leur ruine et de leur exil. La loi fut votée à une faible majorité. Cette indépendance donna à la chambre des pairs une popularité que le sénat avait perdue.

XXXI

Les chambres s'occupèrent ensuite des finances, obérées de plus d'un milliard par les guerres de Napoléon. L'abbé Louis, ministre habile et de sang-froid, osa évoquer le crédit public, qui sauve tout quand tout est perdu. Il fit pressentir la création de l'amortissement de la dette publique,

HIST. DE LA RESTAURATION. 2.

23

mesure puérile en elle-même, mais décevante pour l'imagination des prêteurs. Il prépara, sans se troubler devant l'énormité des sacrifices, non-seulement le service des dépenses de l'armée, de l'administration et de la cour, mais encore la liquidation prompte et entière des réparations et des indemnités que l'empereur laissait à payer, comme la rançon de sa gloire et de ses revers, à la nation. Ce ministre avait proposé hardiment au roi la vente de trois cent mille hectares de forêts nationales, restes des dépouilles énormes d'un clergé propriétaire et dépossédé. L'Église avait usurpé trois fois en treize siècles la propriété du sol entier de la France. Louis XVIII, dans le commencement de la révolution, avait applaudi à la rédimition de ce sol envahi par cette féodalité des consciences. Il pensait, comme Mirabeau et comme la raison de 1789, que des corporations immortelles, célibataires et toujours croissantes, ne devaient posséder que des salaires de l'État proportionnés à leur service, ou des salaires libres et privés offerts volontairement par la piété des croyants, et que la propriété du sol devait être réservée aux familles, source et réservoir de la population. Mais Louis XVIII, influencé pendant son exil par son frère et par les évêques composant la cour du comte d'Artois, cédait alors à des scrupules de politique plus que de conscience qu'il était loin d'avoir en 1789. Il voulait, dans un intérêt de règne, rétablir, autant que la révolution le lui permettait, un établissement ecclésiastique; il ne voulait pas surtout que son frère, la duchesse d'Angoulême, les évêques rentrés et les théoriciens puritains de l'ancien régime dont sa cour était remplie, cussent à lui reprocher sa part de spoliation et de profanation dans ce qui restait des biens de l'Église. En vain M. de Talleyrand et l'abbé Louis le pressaient de consentir à la vente de ces trois cent mille hectares de forêts; il affectait de ne pas entendre, il ne répondait que par le silence. Il était évident qu'il voulait avoir la main forcée en apparence par les chambres. Un de

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