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naitre ni la grandeur de sa chûte, ni l'immensité de l'amour dont il redevenait l'objet.

» Nonobstant ces objections, toujours est-il que chaque peuple, quelques notions qu'il possédât sur la déchéance originelle, connaissait et le besoin et la nature du moyen de salut. Assurément les racines d'une croyance si extraordinaire, si générale, doivent être profondes. Si elle n'avait pas eu un fondement réel et mystérieux, pourquoi Dieu même l'aurait-il consignée dans les lois Mosaïques ? Où les anciens auraient-ils puisé l'idée d'une régénération morale? Pourquoi, dans tous les lieux et à toutes les époques, afin d'honorer la Divinité, de se concilier ses faveurs, de détourner sa colère, aurait-on choisi une cérémonie dont l'esprit, isolé de tout secours étranger, ne saurait donner l'idée ? La nécessité nous force de reconnaître l'existence de quelque cause cachée, et cette cause était bien puissante.

Sacrifices humains.

» Dès les tems les plus éloignés où l'histoire nous permette de porter nos recherches, nous voyons tous les peuples, barbares ou civilisés, malgré la tranchante différence de leurs opinions religieuses, se réunir et se confondre en un point, convaincus de l'utilité d'un Médiateur, persuadés qu'on adoucit la colère divine par les sacrifices, c'est-à-dire, par la substitution des souffrances des autres créatures à celles du vrai coupable. Cette croyance, raisonnable dans son principe, mais soumise à l'action de la puissance qui s'est partout manifestée par de déplorables résultats, produisit, outre les sacrifices d'animaux, la superstition horrible et trop généralement répandue des sacrifices humains. Vainement la raison disait-elle à l'homme qu'il n'avait aucun droit sur son semblable, que tous les jours il convenait lui-même solennellement de cette vérité, en répandant le sang des animaux pour racheter celui de l'homme; vainement la douce humanité, le sentiment si naturel de la compassion pretaient-ils de nouvelles forces à l'autorité de la raison: l'esprit et le cœur se trouvaient impuissans contre les progrès de cette abominable superstition. On serait tenté de récuser le témoignage de l'histoire, lorsqu'elle nous montre le triomphe de cette coutume révoltante dans tous les pays de la terre : malheu

reusement, et à la honte éternelle du genre humain, aucun fait n'est mieux établi ; jusqu'aux monumens de la poésie, tout dépose contre ce préjugé général 1.

» Ce n'était point une seule nation, ce n'étaient point des hordes barbares et grossières qui trempaient dans l'abomination des sacrifices humains, étouffant ainsi les sentimens naturels; mais bien presque tous les peuples de l'antiquité; plusieurs encore se rendent aujourd'hui coupables de ce crime monstrueux. Je ne sais si, de toutes les grandes nations on en pourrait citer une seule qui se fût entièrement abstenue de sacrifices humains, excepté cependant les Indiens, dont les Bramines se consacraient spécialement à Wichnou, et les Péruviens, dont la religiou remonte à Manco-Capac et à Mama-Ocollo (Coya-Ocella), sa sœur et son épouse, qui appartenaient probablement tous. deux à cette caste de Bramines de l'Inde.

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» C'est à la religion chrétienne que les sectateurs de l'islamisme sont redevables d'être demeurés étrangers à cette pratique; car le Coran même démontre que Mahomet, sans adorer Jésus-Christ comme le fils de Dieu, voyait pourtant en lui le plus grand des prophètes, qu'il emprunta à nos livres sacrés sa religion et sa morale, laissant de côté ce qui ne cadrait point avec ses plans, y ajoutant d'ailleurs des détails de son invention. Toutefois, au douzième siècle, du tems du grand Saladin, on rencontre chez les Mahometans l'exemple d'un sacrifice humain ; des chrétiens, sous la conduite de Raymond de Châtillon, ayant tenté de renverser le tombeau de Mahomet, furent eux-mêmes immolés à la fête du Beïram, au lieu des brebis qui composent le sacrifice annuel'.

INDE. - CHINE. PERSE.

» Dans l'Inde les sacrifices humains datent de l'époque la plus. reculée : cependant, on ne peut accuser de cette abomination que celle des deux sectes principales dont les Bramines se vouaient spécialement à Siwa; toute la partie de cette immense contrée, possédée par les Européens, en est affranchie; elle ne subsiste que chez quelques peuplades indépendantes.

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» Un des livres que les Indiens nomment sacrés, contient un chapitre particulier, que l'on appelle le Chapitre Sanglant, où l'auteur fait intervenir Siwa, expliquant à ses fils les détails des sacrifices. Kali, déesse du tems, épouse de Siwa, en était le principal objet, quoiqu'ils s'adressassent aussi à Siwa et à d'autres divinités. Siwa détermine les sacrifices, les pratiques et les invocations indispensables; il fixe l'époque des expiations, l'emploi des hommes ou des animaux qui les rend efficaces. Telle divinité préfère un genre d'offrande, telle autre en préfère un différent; toutefois les sacrifices humains sont regardés comme les plus importans. Un seul paralyse pendant mille ans le courroux de la terrible déesse, trois l'enchaînent pour une époque cent fois plus longue.

Les formules usitées dans ces meurtres religieux font frémir d'horreur; on s'écrie, par exemple, Salut, Kali! Kali, salut, » Devi, déesse du tonnerre! Salut, déesse au sceptre de fer! » ou bien, Kali, Kali, déesse aux dents terribles! Rassasie-toi, » déchire, broie tous ces lambeaux! Mets-les en pièces avec cette » hache! Prends! prends! saisis! arrache! Bois le sang à longs > traits! »

» Les Chinois également immolèrent autrefois des hommes, à ce qu'assure William Jones 1. Si cet écrivain d'un si grand mérite eût vecu plus long-tems, il aurait sans doute confirmé par des exemples cette assertion faite dans une lecture devant les membres de la Société Asiatique.

>> Les Perses, dont le culte, comparé à celui des autres païens, était beaucoup plus pur et plus raisonnable, ne s'abstinrent pas néanmoins des sacrifices humains. Dans leurs cavernes

Asiat. Research, 11, 578.

• Les anciens Perses immolaient une victime couronnée (Stravon‚1. xv). On trouve dans plusieurs rituels des anciens Mexicains, la figure d'un animal inconnu, orné d'un collier et d'une espèce de harnois, mais percé de dards. D'après les traditions qui se sont conservées jusqu'à nos jours, dit M. de Humboldt, c'est un symbole de l'innocence souffrante: » sous ce rapport, cette représentation rappelle l'agneau des Hébreux, ⚫ ou l'idée mystique d'un sacrifice expiatoire destiné à calmer la colère › de la Divinité.» (Vues des Cordillères, tom. 1".)

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Les Babyloniens et les Perses célébraient une fête distinguée par un

consacrées à Mithra, c'est-à-dire au dieu du soleil, ils suivaient cette barbare coutume, et prophétisaient en considérant les entrailles de la victime.

» Quoique la religion de Zerducht défendît les sacrifices humains, l'histoire rapporte que Xerxès, dans son expédition contre les Grecs, et dans un lieu nommé les neuf voies, non loin du fleuve Strymon, fit enterrer vivans neuf jeunes gens et neuf jeunes filles de la contrée; « Car, remarque Hérodote, ce genre › de supplice est une coutume de la Perse. Je sais qu'Amestris, » épouse de Xerxès, pour témoigner sa reconnaissance du maintien de sa santé, quoiqu'elle fût avancée en âge, fît enterrer vivans, en l'honneur du Dieu qui habite sous terre, quatorze fils des plus illustres familles de son royaume. » C'était sans doute en l'honneur de Mithra, dieu du soleil, qu'Hérodote place sous terre, parce qu'on lui sacrifiait la nuit dans des grottes souterraines.

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Porphyre nous apprend, dans son ouvrage sur l'antre des Nymphes, que celles de Mithra avaient sept entrées qui répondaient aux sept planètes (d'après lesquelles presque tous les peuples ont nommé les jours de la semaine), ainsi qu'aux voyages des âmes à travers ces planètes.

Les pratiques en usage dans les grottes de Mithra se propagèrent hors de la Perse, Adrien les proscrivit. L'Egypte même connut les mystèrès de Mithra.

sacrifice particulier très remarquable. On prenait dans les prisons un homme condamné à mort, on le faisait asseoir sur le trône du roi, on le revêtait de ses habits, on ne lui refusait aucune jouissance, et l'on obéissait pendant plusieurs jours à toutes ses volontés; ensuite on le dépouillait, et, après l'avoir frappé de verges, on l'attachait à un gibet. Suspendebant in ligno. ( Dio. Chrysost., Orat. iv, de regno.)

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Philon de Biblos rapporte, d'après Sanchoniaton, qu'il y avait chez les Phéniciens des sacrifices qui renfermaient un mystère. » C'était. dit-il, la coutume des anciens, que, dans les périls imminens, > princes des nations ou des cités, afin de prévenir la ruine de tout le » peuple, immolassent celui de leurs fils qu'ils aimaient le plus, pour ⚫ apaiser la colère des dieux. Ceux qu'on dévouait à ces occasions, étaient, ajoute-t-il, offerts mystiquement. (Euseb., Prep. Evang., lib. 1, cap. x, p, 40)

CHALDÉE. — ÉGYPTE.

› Les Assyriens et les Chaldéens, dont le culte n'était qu'un informe mélange de superstitions et d'immoralité, sacrifiaient des victimes humaines : l'Ecriture-Sainte lève tous les doutes à cet égard.

» Elle nous dit que, pour repeupler le pays que rendait désert l'exil des Israélites du royaume des dix tribus, un roi d'Assyrie y envoya des colonies des diverses provinces de son empire. Au nombre de ces nouveaux habitans, se trouvaient des peuples de Sépharvaïm, d'où l'on conjecture avec raison que le roi était Assarhaddon qui réunit l'empire de Babylone à celui d'Assyrie, héritage de ses pères, parce que Sépharvaïm (la Sippara de Ptolomée) relevait de Babylone. Or, l'Ecriture rapporte de ces habitaus transplantés dans la terre promise : « Ceux de » Sépharvaïm faisaient passer leurs enfans par le feu, et les brû» laient pour honorer Adramelech et Anamelech, dieux de SéD pharvaïm '..

» Adramelech se confond sans doute avec le dieu Moloch ou Molech des Ammonites, dieu du soleil.

» Moloch, Molech, Melchom, était probablement la même divinité que Bel ou Baal. Tous ces noms signifient roi ou seigneur; il est aussi à présumer qu'ils indiquaient tous le dieu du soleil.

. L'Ecriture-Sainte blâme en divers endroits la pratique d'après laquelle les parens faisaient passer leurs enfans dans le feu en l'honneur de Moloch, et même on fait au roi Manassès le reproche exprès d'avoir exposé son fils aux chances de cette superstition: probablement cet abus remplaça une coutume plus barbare: monument de la crainte, il survécut aux sacrifices contre lesquels se soulevait la nature.

› Hérodote prétend, il est vrai, que l'Egypte demeura étrangère à ces abominations, et un témoignage d'un si grand poids ferait à coup sûr pencher la balance, s'il était fondé sur de meilleures raisons, et si un si grand nombre d'écrivains plus récens, comme Manéthon, Diodore, Plutarque, Porphyre, n'attestaient le contraire. «Comment, dit Hérodote, comment les Egyptiens auraient-ils sacrifié des victimes humaines, puis

Rois, xvII, 31.

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