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Religions anciennes.

EXPOSITION DU SYSTÈME RELIGIEUX TIBÉTAIN-MONGOL.

TRADUCTION LIBRE DE BENJAMIN-BERGMANN.

Denxième Article.

SYSTÈME THÉOLOGIQUE ET PSYCHOLOGIQUE.

1. Classification et idée générale des Divinités Mongoles.

Nous venons d'assister aux grandes révolutions du monde et de l'espèce humaine 1; nous avons suivi l'un et l'autre à travers les âges depuis l'instant de la création jusqu'à celui de l'anéantissement. Maintenant d'autres scènes s'offrent à nos regards, nous sortons des bornes du monde visible, nous pénétrons dans le sanctuaire; nous allons sonder les mystères de la Divinité; nous allons reconnaître la nature et la destinée de l'âme.

Parmi les innombrables divinités que le système tibétainmongol reconnaît, trois classes sont à distinguer. La plus nombreuse est celle des Tangaris, qui comprend des êtres de l'un et de l'autre sexe; les deux autres classes sont celles des Bourchanes et des Raghinis, les premiers dieux puissans, les secondes puissantes déesses. Ces deux castes moins étendues que la première, renferment cependant plusieurs millions d'individus.

Les Tongaris existaient avant la création; le plus élevé des sept cieux fut leur premier séjour. Les troubles qui survinrent

Voir le article dans le n° 23, tom. IV

p 373 des Annales.

entre eux, en firent descendre une partie dans les cieux inférieurs, sur le mont Summær, et sur les autres montagnes de l'Océan. De ces divins génies, il en est de bons et de mauvais; ceux-là prennent peu de part aux destinées humaines, ceux-ci en prennent beaucoup aussi leur rend-on des hommages plus assidus. Tous sont sujets à la mort, mais qui pourrait dénom brer les années de leur vie? Et lorsqu'ils meurent, c'est pour renaître dans des corps nouveaux.

On les divise en plusieurs ordres qui se distinguent par la taille, la durée de l'existence, le mode de multiplication. Ainsi, tandis que ceux qui occupent le dernier rang reproduisent leur espèce par des embrassemens et des baisers, à ceux d'un rang supérieur il suffit d'un regard souvent la génération et la naissance sont l'oeuvre d'un même instant. Sur le plateau qui couronne le mont Summer habitent trente - trois Tangaris dont l'âge s'étend à 3,700 millions d'années. A la pente supérieure et des quatre côtés habitent les quatre tribus des Macharomsas : ceux-ci vivent 500 ans, mais chacun de leurs jours équivaut à 50 années humaines (en tout 9,125,000 ans). Au-dessous d'eux sont placées des peuplades dont la vie se passe dans une ivresse continuelle aussi leur donne-t-on le titre de Ourguldi-Soktocho, toujours ivres. Puis viennent ceux dont les fronts sont couronnés de roses (Erika Borikssom); puis à la racine de la montagne et dans la partie la plus voisine de la mer, les Ongooza Baridrau ou Tongoris nageurs enfin dans les cavernes et les antres inférieurs vivent les Assouris, toujours en querelle avec les populations voisines. Ces êtres mauvais sont l'idéal de la laideur comme les bons Tangaris sont celui de la beauté : ils se plaisent à faire le mal, et les effets de leur malice ne peu vent être détournés que par l'emploi des formules magiques.

Au-dessus de cette série de dieux vulgaires apparaissent les Bourchanes, plus grands et plus forts, marqués d'un caractère plus sacré. A leur coopération le monde doit l'existence. Quoique la plupart soient de la race des Tangaris, cependant les hommes mêmes peuvent aspirer à cette haute dignité; ils peuvent la conquérir par l'aumône, la lecture des livres saints et la prière. Souvent revêtus d'une forme étrangère, les Bourchanes descendent ici-bas et jusque dans les enfers, pour y

prêcher la pénitence et le repentir. Le plus grand nombre de ces divinités a la douceur et la bienfaisance en partage. Les autres sont redoutables et terribles : parmi les premiers il en est cinq plus anciens, vénérés comme les princes de l'Elyséemongol; entre les seconds, huit portent le nom de Naiman Dokscholt, c'est-à-dire formidables.

Les Raghinis, douées d'une puissance égale, divisées aussi en bonnes et mauvaises déesses, ne diffèrent des Bourchanes que par le sexe. On les comprend même sous cette dernière dénomination dans les invocations et les liturgies. Elles habitent es mêmes lieux de délices, et se manifestent de même pour sauver les hommes en péril. Des huit divinités redoutables, l'une est une Raghini.

Enfin, au-dessous des trois ordres que nous venons d'énuImérer, sont des esprits inférieurs et méchans, dont la multitude est grande, et dont on distingue plusieurs espèces : les Ssedkurn, les Schoumnous et les Mongousch sont les plus célèbres. Les deux sexes leur sont attribués : les derniers de cette hiérarchie malfaisante sont les Adds. Tous ils planent autour du monde, et trouvent leur joie dans les actions mauvaises.

II. Notions particulières sur les plus célèbres d'entre les Bourchianes.

Quoique les livres mongols nous présentent sinon des légendes toujours claires sur les plus célèbres Bourchanes, au moins des documens sur leurs destinées, leurs actes et leurs fonctions, nous ne connaissons toutefois que les noms de la plupart d'entre eux : les notions que nous allons exposer ne laisseront pas de jeter quelque jour sur l'ensemble du système.

1. DSCHAGDSCHAMOUNI. Cette divinité qui gouverne la période actuelle de l'univers, a subi une multitude innombrable d'incarnations pour s'abaisser sur la terre et retirer le genre humain de l'état de péché. Souvent aussi il s'est revêtu d'une plus haute nature, son individualité s'est divisée et ses émanations sont devenues les âmes de plusieurs Bourchanes. Dans les livres sacrés on lui donne le titre d'Elu parfait, et dans le langage vulgaire il est appelé le docteur des dieux.

Nous ne le considérerons ici que dans sa dernière apparition pendant laquelle il fonda la religion Lamique. Au tems où l'âge

des hommes était de cent ans, le pays d'Ennælkæk, c'est-àdire l'Inde, le vit naître; un des plus illustres princes du pays fut son père: sa mère l'enfanta sans douleur par l'aisselle droite. Chourmousta Tongori descendit du Summer pour plonger le nouveau-né dans l'eau sainte. A peine sorti de l'enfance, le Dieu consacra dix ans à l'étude approfondie de toutes les sciences et de tous les arts. Bientôt il surpassa dans cet exercice tous les jeunes gens ses condisciples. Ses parens, contraires à ses désirs, voulurent l'engager dans les liens du mariage. Il céda enfin à leurs prières, mais il y mit cette seule condition : que l'épouse qui lui serait destinée réunirait trente-deux vertus. Ce précieux trésor s'offrit à lui, il célébra ses noces, et un an après il eut un fils qui reçut le nom de Racholi. Alors il renonça pour jamais à la pompe des cours, s'enfuit dans le désert, rasa sa tête et se dévoua à la vie solitaire. Il quitta ce lieu après 16 ans de mortification, renouvela par l'usage du lait ses forces épuisées, et ne se consacra plus qu'au bonheur des créatures. Le Kan des Schoumnousses voulant éprouver sa sainteté, vint le trouver et lui demanda la permission d'essayer d'abattre sa tête. Dschagdschamouni le lui permit, mais en vain le Kan employa-t-il tour-à-tour le fer, l'eau et le feu, il ne put lui faire aucun mal. Après avoir accompli l'œuvre de la conversion des peuples, le Dieu incarné établit son séjour à Olschirton, pour y continuer le gouvernement du monde. Ses légendes sont contenues dans beaucoup de livres souvent volumineux. Il est représenté assis, nu jusqu'à la ceinture, les jambes croisées sous le corps; on le peint ordinairement de couleur jaune. Ses oreilles offrent de longues entailles, sa main droite est abaissée vers le sol, dans la gauche il porte un vase noir.

2. Maïdari. De même que Dschagdschamouni préside à la période actuelle du monde, Maidari régnera quand l'époque suivante aura commencé. L'empire lui eût même appartenu dès aujourd'hui si l'ordre du destin avait reçu son exécution. Voici ce que la tradition rapporte à ce sujet. Dschagdschamouni, Maidari et Mandschouschari se disputaient l'autorité suprême. Ils convinrent à la fin d'abandonner à la volonté du sort la décision de leur querelle. Tous trois se couchèrent pour dormir. Celui qui au point du jour trouverait une fleur éclose dans la

coupe placée à ses côtés, celui-là devait être roi. Le sort favorisa Maidari; mais Dschagdschamouni, qui s'éveilla avant les autres, découvrit la fleur dans la coupe de son rival, s'empara de celle-ci et la remplaça par sa coupe vide. Ainsi obtint-il l'empire de l'univers. On représente Maïdari de couleur jaune, avec une écharpe rouge autour du corps. Ses mains sont jointes sur sa poitrine.

3. MANSCHOUSCHARI. C'est lui qui, durant la création, perça d'une flèche la grande tortue. On l'appelle aussi le père des 1000 Bourchanes. Il doit succéder à Maïdari dans le gouvernement du monde. Comme Dieu de la justice, il porte une épée d'or dans une de ses mains; comme Dieu de la science, il porte dans l'autre un livre qui repose sur une fleur sacrée. Enfin les deux mains qui lui restent (car il en a quatre) s'étendent pour répandre de nombreuses bénédictions sur ses adora

teurs.

4. NIDUBOER USUKLSCHI. On l'honore aussi comme une des divinités supérieures, sous le nom de Chonschim Bodissadoh. Ses émanations ont donné la vie à plusieurs personnes célestes ou humaines, et entre autres au dieu Dschagdschamouni, dont nous nous occupions naguère. On lui donne dans ses images plusieurs têtes superposées en manière de tours, et huit figures symboliques qu'il porte dans ses mains. A ses pieds se trouvent ordinairement les deux compagnes de ses voyages: Nojon Dara Ecke et Zagaan Dara Ecke, ainsi nommées, l'une à raison de la couleur verte, l'autre à cause de la couleur blanche qu'on leur attribue,

5. CHOURMOUSTA. Ce dieu reçoit tantôt le titre de Tængæri, tantôt celui de Bourchane; celui-là, parce qu'il est le premier des 33 Tongoris supérieurs; celui-ci, parce qu'il s'occupe du bonheur des créatures. Il est adoré comme le principal génie protecteur de la terre; on l'offre à la vénération publique sous la figure d'un vieillard qui porte dans la main droite une épée nue, et qui est monté sur un éléphant. Cet animal est d'une couleur blanche éblouissante; sa tête est d'un rouge écarlate, il a deux berres et demi de longueur, un et demi de hauteur, et un berre de grosseur. Son pâturage accoutumé est une riante et ramantique campagne au bord d'un lac qui a deux cents

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