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corps dont il faisait partie de ses actions et de ses principes; où chaque corps était solidaire de tous ses membres; où la société politique était comme une pyramide dont les institutions locales formaient la base et dont le trône était le sommet; c'est que l'Université, elle aussi, s'était constituée en corporation portant la bannière de la science aussi haut que d'autres portaient la bannière des armes ou celle du travail, et relevant à la fois du pape pour les choses spirituelles, et du roi comme sujet du pays.

Ce qui, depuis le seizième siècle et l'invasion du protestantisme, a prévenu les progrès de l'ignorance et de l'erreur, c'est la multiplication des corps religieux enseignants, des doctrinaires, des bénédictins, des oratoriens, des jésuites, de toute cette illustre milice qui, à la voix des César de Buss, des Pierre de Bérulle, des saint Ignace de Loyola, couvrit la France d'écoles rivales des colléges universitaires.

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Les corps enseignants, exceptés par l'Assemblée constituante de l'abolition prononcée contre tous les ordres religieux, mais enveloppés plus tard dans la proscription générale, faillirent à être rétablis en l'an Ix. D'anciens préjugés l'emportèrent dans l'esprit de M. Chaptal, chargé de faire au conseil d'Etat un rapport sur l'éducation publique; il convint des avantages qu'offraient les corporations enseignantes, mais il les accusa de manquer d'esprit d'invention et de perfectionnement, oubliant que c'était à des hommes sortis du recueillement des cloîtres qu'étaient dues les prin

1 Décret du 19 février 1790, art. 2.

cipales découvertes dans les sciences physiques et les plus beaux développements des sciences morales; il leur reprocha de plus un respect superstitieux des opinions traditionnelles, une opposition systématique à la liberté de penser. Trois ans plus tard, le 4 messidor an XII, paraissait un décret qui, traduisant en acte ces injustes accusations, déclarait l'association des Pères de la Foi dissoute, et enjoignait aux procureurs géné– raux d'informer à l'extraordinaire contre cette association ou toute autre formée sous prétexte de religion et non autorisée.

Toutefois, et malgré cette défiance systématique contre les corps religieux enseignants, Napoléon essaya de former de leurs débris un corps laïque chargé exclusivement, sous le nom d'Université impériale, de l'enseignement et de l'éducation publique dans tous l'empire.

On ne peut nier que cette grande et forte institution, composée en majeure partie des débris des anciens corps enseignants, et reproduisant, du moins en apparence, par son enseignement catholique et par le célibat de ses membres, la plupart des traditions de l'ancienne Université, n'ait puissamment contribué dans les premiers temps à rétablir dans les intelligences l'ordre violemment troublé par vingt ans de révolutions. Mais ce que le souffle d'un grand homme n'a pu inspirer au corps universitaire, c'est une âme, c'est la foi religieuse qui ne peut venir que d'en haut, et sans laquelle, dit Cicéron 1, il n'y a plus de devoirs, de société, de justice, ni par conséquent de pouvoir.

1 Pietate adversùs deos sublatâ, fides etiam et societas humani generis, et excellentissima virtus justitia tollitur.

Les libres penseurs universitaires ont dû, par la force des choses, être amenés à combattre cette doctrine catholique qu'ils ont essayé de flétrir du nom de philosophie du clergé, quoiqu'il leur fût enjoint d'en faire la base de l'enseignement. Ils lui ont substitué un orgueilleux rationalisme, un scepticisme désolant, et ont ainsi préparé les voies au socialisme qui nous

menace.

A la vue de cet immense péril, le législateur a enfin ouvert les yeux. Une exigence attentatoire à la liberté de conscience et empreinte à la fois de faiblesse et de violence, celle d'une déclaration portant qu'on n'appartient pas à une congrégation religieuse non autorisée, a cessé d'être imposée. On pourra donc, sans cesser d'être jésuite ou bénédictin, ouvrir une école. Grâces soient rendues à nos hommes d'Etat de cette conquête de la liberté! et faisons des vœux pour que les corps enseignants religieux se multiplient et se développent sous l'influence des conseils généraux. Ce ne sera pas le moindre bienfait des libertés municipales.

CHAPITRE XI

DE LA NÉCESSITÉ DE LA RÉUNION DES DÉPARTEMENTS; DU CONSEIL SUPÉRIEUR DIVISIONNAIRE.

SOMMAIRE.

Nécessité d'établir un lien permanent entre les départements voisins, sans reconstituer toutefois les anciennes provinces. Division du territoire français en cinq bassins. Division du bassin du Rhin en 3 divisions, départements, 310 cantons. Division du bassin de la Seine en 4 divisions, 16 départements, 576 cantons. Division du bassin du Rhône en 4 divisions, 19 départements, 696 cantons. Division du bassin de la Loire en 5 divisions, 21 départements, 657 cantons. Division du bassin de la Garonne en 5 divisions, 20 départements, 622 cantons. Organisation du conseil supérieur divisionnaire. Influence de ce conseil sur les travaux publics, sur l'instruction publique, sur l'assistance, sur la police, sur la résistance légale aux révolutions de Paris. Conclusion.

Le mot Province réveille en France des souvenirs impopulaires. A ce mot, on croit voir se dresser nos trente-deux généralités avec leur cortége d'intendants du militaire, justice, police et finances, et de leurs nombreux subdélégués; de fermiers généraux, de greniers à sel, de bureaux de traites et de cours des aides; de parlements, de bailliages, de sénéchaussées, de justices royales et seigneuriales.

Toutes ces institutions d'un autre âge sont irrévocablement détruites. Mais, chose remarquable! malgré le désir exprimé en termes énergiques par le rapporteur de la Constitution de 1794, de ne pas laisser subsister dans l'Etat le germe de l'aristocratie déchue et des priviléges abolis, par une division qui, les rappelant sans cesse, aurait pu offrir une tentation de les rétablir, on n'a pu, quoi qu'on ait fait, anéantir la province. Elle vit encore dans les souvenirs, dans les traditions nationales, et se reflète jusque dans la physionomie de l'Assemblée législative, issue du suffrage universel.

Ici, c'est le descendant de l'indomptable Allobroge, le républicain Dauphinois; là, le Lorrain patient, belliqueux, industrieux; ailleurs, le Gascon léger, spirituel, insouciant. L'élégance et l'aménité brillent dans la vineuse Bourgogne. La fidèle et fière Bretagne conserve l'empreinte du génie celtique. La Provence poétique se souvient encore de ses troubadours et de ses immunités italiques. Le franc-alleu et la liberté politique du Languedoc respirent dans ce peuple aux mœurs empreintes de souvenirs monarchiques et démocratiques. Ces diversités de caractères se sont maintenues au travers des âges.

La province ancienne vit non-seulement dans la physionomie de ses habitants, mais encore dans la similitude des intérêts des départements dont elle était jadis composée. C'est ainsi que la Bretagne, la Provence, le Languedoc, arbitrairement divisés en quatre ou cinq départements administratifs, n'en restent pas moins, par la force des choses, chacun une circonscription ju

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