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décriée qu'elle soit, est, surtout en temps de révolution, une garantie nécessaire à l'ordre matériel. La police politique, en pivotant sur des fonctionnaires absorbés par les détails d'une administration compliquée, manquera toujours de concentration, d'activité et de nerf, témoin les nombreuses conspirations que la police préfectorale n'asu ni déjouer niprévenir, et les deux révolutions de 1830 et de 1848, fruit du travail lent et ignoré des sociétés secrètes, dont l'explosion a été d'autant plus terrible qu'on dormait avec plus de sécurité sur la foi de la prévoyance et de la force du gouverne

nement.

De quelque manière qu'on organise l'administration départementale, soit que les préfets restent investis de l'administration entière, avec une extension plus ou moins considérable des attributions des conseils généraux, soit qu'on adopte le système des administrations collectives, la police générale, cette armée de l'ordre public, doit être organisée sur un pied toutà-fait militaire. Tout ici, depuis le directeur général jusqu'à l'agent auxiliaire le plus obscur, doit procéder du gouvernement; tout doit être rattaché au centre si l'on veut que les coalitions et les émeutes, les sociétés secrètes et les complots ne mettent pas un obstacle perpétuel et invincible à tous les projets d'amélioration du sort des classes laborieuses.

Dans les grandes crises politiques, la force des choses `oblige de créer un certain nombre de directeurs divisionnaires de la police. Pourquoi ne rendrait-on pas permanente l'institution de ces fonctionnaires?

On pourrait en instituer un sous le titre de

gouver

neur dans chaque chef-lieu de division, ainsi ainsi que cela se pratique avec succès en Allemagne. Il aurait nécessairement entrée dans le conseil divisionnaire, et il veillerait à ce que ses délibérations politiques ne portassent aucune atteinte à l'unité nationale et à la sûreté de l'Etat. Il parcourrait incessamment, comme inspecteur général, tous les départements compris dans son ressort de police. Il serait en correspondance habituelle avec ses collègues et avec le directeur général; et pas un mouvement politique ne se ferait dans la division sans qu'il en fût averti.

Décentraliser, en effet, ce n'est pas rompre le lien qui tient attachées les unes aux autres toutes les parties du corps social; c'est détourner de la tête un excès de vitalité, faire circuler le sang dans les veines, ranimer les membres paralysés, et augmenter la force générale de tout ce qu'auront acquis d'énergie les forces locales.

C'est pourquoi la police centrale, cette clef de voûte de l'édifice social et politique, doit acquérir d'autant plus d'unité et de force, que les libertés locales acquerront plus d'extension.

Le correctif nécessaire de la décentralisation administrative, c'est l'attribution au gouvernement d'une force capable de résister aux abus de la liberté.

Il faut que la police générale soit organisée d'une manière assez vigoureuse pour que toute tentative commise sur un point du territoire puisse arriver en un clin d'œil à la connaissance du gouvernement et être réprimée instantanément par lui. Sans cette précaution, le danger du fédéralisme, si éloigné de nos mœurs et de nos traditions historiques, pourrait devenir une

réalité imminente. On passe en France facilement d'un extrême à l'autre, et telle est aujourd'hui l'aversion des départements contre la suprématie de Paris, telle est la force de leur aspiration à l'indépendance, qu'on courrait le risque, sans une forte constitution du pouvoir central, d'amener l'énervation politique et peutêtre le démembrement de la nationalité.

Loin de nous donc la pensée de faire de la division une sorte d'Etat dans l'Etat. Maintenons la suprématie du gouvernement central, et ne lui suscitons pas des antagonistes trop redoutables. Comme centres d'administration des intérêts locaux, les départements suffisent, pourvu qu'ils ne soient pas forcément isolés les uns des autres et qu'on leur permette au contraire de se réunir par groupes. La nécessité de cette réunion est telle, qu'à part le nom, elle existe aujourd'hui comme dans nos anciennes provinces. Nous comptons aujourd'hui vingt-et-une divisions militaires, vingtsept cours d'appel, quinze archevêchés, trentedeux conservations forestières, vingt-sept directions de douanes, seize inspections divisionnaires des travaux publics. Nous comptions avant la révolution de février vingt-sept ressorts académiques, récemment réduits à vingt-et-un; qu'est-ce que tout cela, sinon une reconnaissance implicite de la nécessité de créer des centres d'administration plus étendus que les centres d'administration départementale?

Il s'agit de régulariser cette organisation imparfaite. Il s'agit de mettre en harmonie les circonscriptions civiles, militaires, ecclésiastiques, administratives, judiciaires, etc. Or, le moyen d'atteindre ce but, c'est de

créer au chef-lieu de chaque division, composée, selon les localités, de quatre ou cinq départements, le siége de la province ecclésiastique, de l'académie, de la cour d'appel, de la division militaire et des directions administratives, telles que celles des travaux publics et de l'assistance, qui ne peuvent sans inconvénient s'exercer dans un rayon plus restreint; c'est de faire de la division le lien fédéral des départements, de même que nous avons fait du canton le lien fédéral des communes.

De la résistance légale aux révolutions de Paris.

Une considération puissante vient s'ajouter à celles qui se déduisent des nécessités administratives et policières; c'est le besoin de mettre la France à l'abri des coups de main des révolutionnaires de Paris.

L'heure est venue de retirer à la capitale des révoltés le privilége de faire et de défaire les gouvernements'. De quelque manière qu'on envisage les Révolutions de 1830 et de 1848, ces deux surprises faites à la France à l'aide de la pression de Paris, il est impossible de laisser dans l'avenir la carrière toujours ouverte à l'esprit d'insurrection. Une minorité turbulente a beau revendiquer le privilége de s'imposer au pays à force d'audace, et de faire fléchir devant une poignée de factieux

1 Seize conseils généraux ont demandé la convocation de droit du conseil général avec attribution de pleins pouvoirs en cas de changement illégal dans la forme du gouvernement. (Réponse à la soixante-deuxième question.)

la volonté souveraine de trente-cinq millions d'hommes: du jour où le pays le voudra, la dictature révolutionnaire de Paris aura cessé d'être. Il ne s'agit pour cela que d'opposer à un centre d'insurrection permanente plusieurs centres de résistance légale.

Une capitale située à un jour de marche de la frontière peut tomber aussi (on l'a vu en 1814) entre les mains de l'ennemi. Faut-il que le pays tout entier subisse immédiatement le joug du vainqueur de Paris? Si la centralisation eût existé sous Charles VI, la France serait une province anglaise; si elle eût été établie sous Henri III, jamais le successeur de ce prince n'eût pu reconquérir sa couronne, et la postérité d'un prince étranger et de l'infante d'Espagne règnerait peut-être

encore sur nous.

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On l'a compris, et en conséquence une commission de l'Assemblée législative propose de décréter que dans le cas où, par l'effet d'une force majeure quelconque, les pouvoirs constitutionnels de l'Etat seraient mis dans l'impossibilité d'exercer leur action légale, les conseils généraux des départements devront immédiatement se réunir (art. 1er). Dans ce cas, chaque conseil général nommerait cinq délégués pris dans son sein, qui se réuniraient au chef-lieu de la division militaire dont le département fait partie, et formeraient avec les délégués des conseils généraux des autres départements faisant partie de la même division un con

1 Voy. le rapport de M. de Sèze au nom de la commission chargée d'examiner la proposition de MM. de Tinguy, Demarest et Tron.

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