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Nelson, plus heureux que moi, fut frappé d'un coup mortel au sein même de la victoire; Gravina mourut de ses blessures : c'était un homme de génie qui mérita tous nos regrets. Villeneuve, renvoyé en France sur parole, redoutant les suites du conseil de guerre auquel il devait être livré, se poignarda à Rennes, et sauva sa mémoire d'une condamnation à laquelle il eût pu difficilement échapper.

Cette bataille, plus fatale que celle de la Hogue, et qui décida peut-être de l'empire du monde, si l'on pense que mes destinées et celles de l'Angleterre en dépendirent, ne coûta aux vainqueurs que 1600 tués ou blessés : exemple remarquable de la différence qui existe entre la guerre de mer et celle de terre. Les moindres combats d'avant-garde, depuis 1805 à 1815, ont coûté plus que cette grande victoire. On a immolé jusqu'à 30 mille hommes dans les batailles d'Eylau et de la Moscovie, sans obtenir d'autre résultat que le stérile honneur du champ de bataille, c'est-à-dire quelques toises de terrain.

Depuis cette époque nos flottes ne purent plus se montrer, et le reste de mon règne se consuma à les mettre en état de se mesurer de nouveau avec le léopard anglais.

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Je reçus cette nouvelle dans ma marche sur Vienne il ne fallut rien moins que mes étonnants succès d'Ulm et d'Austerlitz pour me consoler d'un tel désastre qui me força à adopter un système de politique entièrement neuf.

CHAPITRE IX.

Retour de Napoléon à Paris. Démêlés avec la Prusse. Nouveau traité imposé à Haugwitz. Mort de Pitt : il est remplacé par Fox. Système de Napoléon pour une puissance fédérative. Joseph, roi de Naples. Louis, roi de Hollande. Traités pour l'établissement de la confédération du Rhin. Négociations avec la Russie et l'Angleterre. Rupture avec la Prusse. Batailles d'Iéna, d'Auerstedt. Destruction de l'armée prussienne. Les Français s'emparent de la Hesse, du Hanovre et de tout le pays jusqu'à la Vistule.

Dès que la double paix avec l'Autriche et la Prusse eut rétabli le calme en Europe, du moins pour quelque temps, je me hâtai de retourner en France, où des soins non moins importants réclamaient ma présence.

à Munich.

varois.

Mon retour à Munich fut un vrai triomphe: Mon retour depuis les guerres du brave Charles Théodore, Enthousiasallié de Louis XIV, et depuis le projet que l'Au- me des Batriche forma pour s'emparer de leur pays en 1778, les bons Bavarois nourrissaient une haine invétérée contre l'ambition du cabinet de Vienne : ils me reçurent avec des acclamations si sincères et si touchantes, que jamais je n'éprouvai un sentiment de reconnaissance plus prononcé. La nation, appréciant ce qu'elle allait gagner

en puissance et en considération par la couronne royale que je posais sur le front d'un prince dont elle chérissait les vertus, jugeait combien de pareils bienfaits différaient des procédés de l'Autriche envers elle.

Quelques vieux canons pris sur les troupes électorales en 1703, et que nous retrouvâmes dans l'arsenal de Vienne, renvoyés par mes soins à Munich avec un bon nombre de pièces autrichiennes conquises en expiation, y furent reconduits avec toute la pompe militaire. Un élan patriotique électrisa les Bavarois d'un bout du royaume à l'autre. Les couleurs nationales furent arborées par tous les citoyens avec un enthousiasme qui me rappela les premiers beaux jours de 1790.

Je profitai de ces dispositions pour resserrer nos liens par une alliance de famille. Le prince Eugène, vice-roi d'Italie, épousa la princesse Amélie, fille aînée du roi de Bavière, et Berthier, que je venais de placer au rang des souverains en lui donnant la principauté de Neufchâtel, épousa une nièce du roi.

Mon séjour à Munich fut célébré par de grandes fêtes; l'allégresse publique était à son comble. Je ne me promettais pas une réception aussi affectueuse à la cour de Wurtemberg dont l'électeur, prince d'un grand caractère, ne pro

fessait pas les mêmes sentiments pour nous. Il n'avait cédé qu'à la force en se réunissant à moi au commencement de la campagne; mais il était l'oncle maternel de l'empereur Alexandre, la position de ses états m'imposait l'obligation de le traiter à l'égal de la Bavière : c'en était assez pour m'y résoudre, et j'espérais avec raison qu'en l'élevant sur le trône, je me l'attacherais irrévocablement. Je ne fus point trompé dans ce calcul.

à Paris.

Mon retour à Paris n'offrit qu'une suite non Je reviens interrompue de triomphes; le spectacle du pont de Kehl surtout parut extraordinaire par la réunion d'une foule immense d'habitants des deux rives du Rhin, accourus sur mon passage. Louis XIV prétendait qu'il n'y avait plus de Pyrénées; j'aurais pu dire avec plus de raison qu'il n'existait plus de barrière du Rhin entre la France et l'Allemagne. J'avais été précédé dans la capitale par la députation du sénat venue jusqu'à Vienne, pour me féliciter de deux victoires sans égales dans les annales de la France, et qui lavaient d'une manière si glorieuse l'affront sanglant que notre marine venait d'essuyer à Trafalgar. On m'apprêtait à Paris la réception la plus brillante; j'y rentrai de nuit pour me soustraire à des solennités qui m'obsédaient, et

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