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eussions-nous couru quelques dangers; mais Annibal en passant les Alpes et César en débarquant en Épire, en Afrique ou en Angleterre, regar

daient-ils derrière eux?

Londres n'est située qu'à peu de marches de Calais; et l'armée anglaise, disséminée pour la défense des côtes, ne se fût pas réunie à temps pour couvrir cette capitale. Sans doute que cette expédition ne pouvait être tentée avec un corps d'armée; mais son succès eût été certain avec 150 mille hommes qui se fussent présentés devant Londres cinq jours après leur débarquement.

Les flotilles n'étaient que le moyen de débarquer ces 150 mille hommes en peu d'heures, et de s'emparer de tous les bas-fonds. C'est sous la protection d'une escadre réunie dans la mer des Antilles, et venant de là à toutes voiles sur Boulogne, que devait s'opérer le passage. Si la combinaison de cette réunion de l'escadre ne réussissait pas une année, elle réussirait une autre fois. Cinquante vaisseaux partant de Toulon, de Brest, de Rochefort, de Lorient, de Cadix, iraient se réunir à la Martinique; leur sortie seule ferait trembler pour les deux Indes, et tandis que les Anglais iraient courir à leur recherche au cap de Bonne-Espérance et dans la mer des Antilles, ces vaisseaux reviendraient devant Boulogne et assureraient le débarquement en Angleterre.

Il ne me fallait que dix heures pour descendre avec 150 mille vieux soldats aguerris et victorieux dans un pays dénué de places fortes et d'armée régulière. On a cru que le patriotisme des Anglais les porterait à se lever en masse pour la défense de leur pays, et que la retraite de mon armée deviendrait dès lors impossible. Ce patriotisme aurait pu être un obstacle dans toute autre circonstance, mais en mettant à mon avant-garde les principes démocratiques qui avaient trouvé tant de partisans en Angleterre, nous aurions du moins établi une scission, et balancé par là les efforts du reste de la nation. Si jamais le système de propagande fut un instrument de succès, c'était bien en cette occasion. Au surplus, l'expérience seule aurait pu décider la question; elle n'a pas été achevée.

Un motif plus puissant aurait pu m'empêcher de tenter l'entreprise, c'était la situation équivoque de mes relations avec le continent et notamment avec la Russie. L'Autriche, à son instigation ou à celle du cabinet de Londres, pouvait recommencer la guerre le jour où je mettrais le pied dans les îles britanniques, et nous enlever ainsi le fruit de dix ans de victoires pour une expédition douteuse. Il est constant que la descente ne serait jamais bien prudente sans l'alliance de l'une de ces puissances, et cette considération

ΙΙ

*

Préparatifs

ne contribua pas peu à mon mariage quelques années après.

Dans tous les cas, comme la menace ne me pour l'ef- coûtait rien, puisque je ne savais

fectuer.

que

faire de mes troupes, il valait autant les tenir en garnison sur les côtes qu'ailleurs. Ce seul appareil a obligé l'Angleterre à se mettre sur un pied de défense ruineux. C'était autant de gagné.

Pendant 1803 et 1804, je couvris de camps les falaises de Boulogne, de Dunkerque et d'Ostende; des escadres considérables se préparèrent à Brest, à Rochefort, à Toulon; les chantiers de France étaient couverts de prames, de chaloupes, de bateaux canonniers, de grandes et petites péniches; on employa des milliers de bras à creuser des ports sur la Manche pour recevoir ces nombreuses flottilles.

De son côté, l'Angleterre courut aux armes. Pitt, loin de se laisser abattre par l'imminence du danger, crut devoir reprendre les rênes de l'état dans ces circonstances difficiles. Il ne se contenta pas du fameux bill de défense (18 juin 1804), il abandonna le travail paisible de l'échiquier, endossa l'uniforme, et ne rêva que machines de guerre, bataillons, forts, batteries. Le vieux et vénérable Georges III quitta ses maisons royales et passa journellement des revues; des camps s'élevèrent sur les dunes de Douvres, des

comtés de Kent et de Sussex. L'armée anglaise, qui n'était que de 70 mille hommes en 1792, fut successivement portée à 150 mille hommes, tant milices régulières que troupes de ligne, sans compter les forces employées au dehors des trois royaumes. Le danger de la patrie fit enrégimenter 300 mille volontaires (fencibles). Indépendamment des forces navales, qui s'élevaient à 470 bâtiments, une flottille de 800 canonnières couvrit les côtes d'Angleterre et d'Irlande. Les deux armées se voyaient; elles n'étaient plus séparées que par le détroit. Ces mesures coûtaient cher à l'Angleterre; mais il faut avouer aussi qu'elles ranimèrent l'esprit militaire de ses habitants, et les préparèrent à me combattre sur terre. Malgré ces immenses préparatifs de défense, Complots le ministère n'était pas sans inquiétude sur le résultat de mes menaces: pour faire diversion, on organisa un complot contre moi. Afin de mieux réussir, on avait mis en mouvement une multitude de conspirateurs. Aussi en fûmes-nous informés dans les vingt-quatre heures, tant les confidences allaient bon train.

Comme je voulais cependant punir des hommes qui ne cherchaient qu'à troubler l'état, je fus obligé d'attendre, pour les faire arrêter, qu'on eût rassemblé contre eux des cusables.

preuves

irré

ourdis contre moi.

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Pichegru était à la tête de cette machination : cet homme, qui avait plus de bravoure que de talents, avait voulu jouer le rôle de Monck; il allait à sa taille.

Ces projets m'inquiétaient peu, parce que je connaissais leur portée, et que l'opinion publique à cette époque ne les favorisait pas. Les royalistes m'auraient enlevé ou égorgé qu'ils n'en eussent pas été plus avancés. Chaque chose a son temps.

Les factions, quoique debout, avaient émoussé leurs forces; la peur qu'elles avaient l'une de l'autre rattachait les hommes raisonnables à mon char. Les chefs royalistes, tout-à-fait oubliés depuis la pacification de la Vendée, cherchaient à reparaître sur l'horizon politique. C'était une conséquence naturelle de l'accroissement de mon autorité. Je refaisais la royauté; c'était chasser sur leurs terres. Ils ne se doutaient pas que ma monarchie n'avait pas de rapport à la leur. La mienne était toute dans les faits; la leur toute dans les droits. La leur n'était fondée que sur des habitudes; la mienne s'en passait : elle marchait en ligne avec le génie du siècle; la leur faisait d'inutiles efforts pour le retenir.

Les républicains s'effrayaient de la hauteur où me portaient les circonstances: ils se défiaient de l'usage que j'allais faire de ce pouvoir. Ils

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