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CHAPITRE XI.

Suites du traité de Tilsit. Expédition des Anglais contre Copenhague. Ils s'emparent de la flotte danoise. Prise de Stralsund et de Rugen par les Français. La Russie offre sa médiation pour la paix qui est repoussée. Système continental. Création d'une nouvelle noblesse. Suppression du tribunat.

Les résultats de la guerre de Prusse avaient été inouïs; je ne savais pour ainsi dire que faire de la puissance qu'elle me procurait.

Depuis leur départ de Boulogne, 200 mille Français avaient été entretenus, nourris, payés, habillés, aux frais de l'ennemi; plus de 400 millions de contributions en argent et en denrées avaient été frappés sur les pays occupés; le trésor en avait reçu une partie, et les dépenses de notre budget, réduites de tout l'entretien de l'armée, n'avaient pas employé la moitié des fonds qui lui étaient assignés. Peu de temps avant, j'avais vendu la Louisiane pour avoir de l'argent en revenant d'Austerlitz, j'avais trouvé le trésor à sec et la banque à la veille de faire banqueroute. Deux ans nous séparaient à peine de cette crise, et j'avais une année de revenus en avance dans les

Origine et points de

nental.

coffres de l'état, une réserve considérable dans les caves des Tuileries, tandis que les pamphlétaires à la solde anglaise proclamaient dans. toute l'Europe que ma puissance s'écroulerait faute de finances.

Toutefois, si j'avais de grandes ressources, un vue du sys- champ vaste et proportionné allait s'ouvrir pour teme conti- les employer. L'époque du traité de Tilsit marqua l'apogée de ma gloire et de ma puissance; car j'y posai les bases d'un grand système qui devait les consolider. Ce système, nommé avec raison continental, n'a jamais été parfaitement compris.

Quelque considérables que fussent les avantages de ce traité, je m'en promettais un plus grand encore, celui de contraindre les Anglais à la paix; car le colosse britannique n'était jusqu'alors que faiblement affecté de l'accroissement de ma puissance : ce n'était à ses yeux qu'un mal passager, qui ne le touchait qu'indirectement. La paix maritime était désormais l'unique objet de mes voeux, et je m'en étais expliqué avec l'empereur Alexandre de manière à ne laisser aucun doute à ce sujet, en lui remettant le soin de la procurer au monde par sa puissante intervention.

Pour s'assurer que mon désir était sincère, il suffit de se retracer un moment la situation des

deux partis, et l'intérêt évident que je devais y

trouver.

L'incendie de Toulon, les batailles navales d'Ouessant, du cap St.-Vincent, de Camperduyn, de Trafalgar; la reddition de la flotte batave au Texel et le désastre de Copenhague, dont il me reste encore à rendre compte, avaient ruiné pour vingt ans toutes les marines européennes. L'Angleterre n'avait plus la moindre rivalité à redouter; et on sait l'usage qu'elle faisait de ce pouvoir.

Il fallait une paix assez longue pour réapprovisionner les arsenaux maritimes, reconstruire des vaisseaux, et reformer des matelots par la navigation de long cours.

Si la France avait perdu sa colonie la plus importante, elle pourrait reformer des marins en naviguant dans les vastes possessions espagnoles et en commerçant par l'Ile-de-France avec l'Inde; la Hollande conservait les Moluques, ses relations avec la Chine et la Guiane.

L'Espagne avait encore plus de côtes et de ports dans les deux hémisphères que toute l'Europe réunie, et plus qu'il ne lui en fallait pour entretenir ses matelots de commerce.

Les Américains se développaient tous les jours, et plus ils croissaient, plus leurs intérêts les attacheraient à la France. Si j'avais un intérêt

maritime positif à désirer la paix, je n'en avais pas moins sur le continent: ma puissance ne pouvait s'y étendre plus loin qu'aux dépens de sa solidité; il fallait la rendre invulnérable en liant par des institutions et des avantages réciproques toutes les parties qui composaient cet immense édifice. Pour qu'une paix fût possible et durable, il la fallait telle que les deux partis n'eussent point à la regretter; et c'est ce qui était impossible: une trève d'un an ou deux n'eût fait que profiter à l'Angleterre, et ruiner notre commerce en l'enhardissant à des entreprises lointaines. Afin d'obtenir la pacification entière et durable que nous devions désirer, il fut convenu que la Russie proposerait sa médiation pour la paix, et que si l'Angleterre s'obstinait à la rejeter, la Russie accéderait au système continental. Ce système, qu'on a si injustement décrié sans le comprendre, pouvait se diviser en deux branches distinctes: la partie politique, et la partie commerciale ou maritime.

Sous le rapport commercial, deux points de vue essentiels devaient me servir de guides: le premier était de chercher à ruiner le commerce anglais, afin d'enlever au ministère la faculté de soudoyer le continent et de poursuivre la guerre; le second était de combattre son industrie en développant la nôtre. Pour cela, il fallait ouvrir

des débouchés aux produits de nos manufactures et les fermer à l'ennemi, c'est-à-dire, exclure les Anglais de tous les marchés. Plusieurs mesures partielles avaient déja été prises à cet effet; mais elles n'aboutissaient à rien, tant qu'un système général ne mettrait pas les dominateurs des mers au ban de l'Europe. J'avais préludé à ce système, en 1806, par mon décret de Berlin, auquel je mis le complément par celui de Milan (17 décembre 1807).

C'était une législation monstrueuse, mais dont on me donnait l'exemple en même temps qu'on m'en imposait la nécessité. Toutefois, des décrets ne suffisaient pas; il fallait isoler l'Angleterre de l'Europe et ruiner son commerce. En cela le système continental a mal fait son devoir, parce que la guerre d'Espagne en a annulé les effets, en ouvrant à l'ennemi les plus importants débouchers; mais sous l'autre point de vue, c'est-àdire, sous le rapport industriel, il eut des suites importantes.

Point de

vue relatif à

Il faut non-seulement qu'un grand empire ait une tendance générale pour diriger sa politique, industrie. son économie doit aussi avoir une tendance pareille. Il faut une route à l'industrie, comme à toute chose, pour se mouvoir et pour avancer. Or la France n'en avait point, quand je lui ai

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