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commis. Les secrétaires de Berthier devinrent des dispensateurs de gloire: ils nommèrent d'après l'almanach impérial, et il se trouva dans les élus des colonels tués depuis un an. Certains généraux furent gratifiés de doubles dotations par des erreurs volontaires ou accidentelles. C'était déprécier une de mes plus belles institutions et de mes plus grandes pensées.

Le faubourg St.-Germain ne manqua pas de jeter le ridicule sur ces nobles de nouvelle invention. Le dirai-je ? l'armée même ne m'en sut pas si bon gré que je l'aurais cru. Les uns ne faisaient pas grand cas de titres contre lesquels ils avaient combattu avec tant de succès; ils semblaient faire un acte d'obéissance en les acceptant les autres n'y voyaient qu'un poids difficile à supporter; et la nomination s'étant faite par grade, chacun y voyait un système et non une distinction personnelle. On a fait le même reproche à la Légion-d'Honneur celle-ci avait un but différent; elle devait signaler tous les genres de mérite. Ceux qui l'avaient gagnée, y avaient des droits incontestables : ce n'était pas une faveur. Il faut avouer néanmoins qu'après avoir répandu cette croix à foison, j'aurais pu en instituer une autre purement militaire : j'en eus envie, en instituant l'ordre des Trois-Toisons, qui fut ensuite abandonné.

Suppres

bunat.

Il y a beaucoup de variation dans les systèmes de l'Europe sur les récompenses. Tous ont des abus l'Autriche et l'Angleterre en sont avares, la Russie en est prodigue. Le bon système est entre les deux. Je n'ai pas voulu donner suite à l'ordre des Trois-Toisons, parce que le décret était vicieux (1). Une foule de braves généraux qui n'avaient pas, assisté à mes entrées dans Vienne, Berlin et Madrid, et qui se couvraient de gloire à 50 lieues de là, n'y auraient pas eu droit, ce qui eût été inique. L'institution eût aussi rappelé des souvenirs trop amers à des puissances devenues mes alliées. J'y renonçai; mais j'eus tort de ne pas instituer l'ordre du Mérite militaire en trois classes, de même que la Légion-d'Honneur: j'aurais pu donner plus souvent des récompenses, et elles eussent été plus agréables à l'armée.

Cette année fut signalée par la suppression sion du tri- du tribunat. Déja déconsidérée par l'élimination de ses membres les plus distingués, cette assemblée était sans avantage pour la marche des affaires de l'état. Le corps législatif suffisait pour entendre le développement des projets de lois

(1) Il fallait avoir été présent aux trois entrées triomphales, à Vienne, Berlin et Madrid; en sorte que Ney, Davoust et bien d'autres n'y auraient pas eu des droits.

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et pour voter ensuite leur adoption ou leur rejet. Le sénat, comme chambre haute, conservait l'initiative des grands perfectionnements à faire aux institutions publiques et le contrôle des mesures de la première chambre. C'était un gouvernement muet, à la vérité; mais l'expérience nous avait un peu guéris des déclamations de la tribune. La France a éprouvé en 1814 et en 1815 si j'avais mal calculé, en me défiant des grandes assemblées délibérantes où la passion domine toujours plus que la raison, et qui sont toujours ou bassement serviles quand elles flattent l'autorité, ou enthousiastes et imprudentes à l'excès quand elles la combattent.

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

( N° I. )

Projet de Pitt pour abaisser la France, extrait de la communication officielle qui fut faite par le gouvernement de la Grande-Bretagne à l'ambassadeur de Russie, à Londres, le 19 janvier 1805.

On a mis sous les yeux de S. M. le résultat des communications faites par le prince Czartorinski à l'ambassadeur de S. M. à St.-Pétersbourg et des explications confidentielles données par V. E. Sa majesté a vu avec une satisfaction inexprimable le plan de politique sage, grand et généreux que l'empereur de Russie est disposé d'adopter dans la situation calamiteuse de l'Europe; S. M. est encore heureuse de s'apercevoir que les vues et les sentiments de l'empereur, par rapport à la délivrance de l'Europe et à sa tranquillité et à sa sûreté future, répondent entièrement aux siens. En conséquence le roi désire entrer dans l'explication la plus claire et la plus franche sur chaque point qui tient à ce grand objet, et de former avec S. M. I. l'union de conseil et le concert le plus intime, afin que, par leur influence et leurs

efforts réunis, on puisse s'assurer de la coopération et de l'assistance d'autres puissances du continent dans une proportion analogue à la grandeur et à l'importance de l'entreprise, du succès de laquelle dépend le salut futur de l'Europe.

Pour cela, le premier pas doit être de fixer, aussi précisément que possible, les objets vers lesquels un tel concert doit tendre.

Il paraît, d'après l'explication qui a été donnée des sentiments de l'empereur, auxquels S. M. adhère parfaitement, qu'ils se rapportent à trois objets : 1o de soustraire à la domination de la France les contrées qu'elle a subjuguées depuis le commencement de la révolution, et de réduire la France à ses anciennes limites, telles qu'elles étaient avant cette époque (1). 2o De faire, à l'égard des territoires enlevés à la France, des arrangements qui, en assurant leur tranquillité et leur bonheur, forment en même temps une barrière contre les projets d'agrandissement futurs de la France. 3o D'établir, à la restauration de la paix, une convention et une garantie pour la protection et la sûreté mutuelle des différentes puissances, et pour rétablir en Europe un système général de droit public.

(1) Cette expression dubitative il paraît prouve que Pitt avait donné de l'extension aux idées de l'empereur Alexandre. Lorsqu'on en vint à des actes sérieux, ce monarque ne parla que de l'évacuation de l'Allemagne, de la Hollande, de l'Italie, ce qui fait croire qu'il entendait que la France restât dans ses limites, mais qu'il n'eut point l'intention de lui imposer celles de 1792.

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