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étaient précisément en sens inverse. Tous les gouvernements qui subsistaient en vertu de l'ancien droit public se croyaient exposés par les principes de la révolution, et celle-ci n'avait de garantie qu'en forçant l'ennemi à traiter ou en l'écrasant, s'il refusait de la reconnaître.

J'étais l'homme qui devait terminer de manière ou d'autre cette lutte; je me trouvais à la tête de la grande faction qui avait voulu anéantir le système sur lequel roulait le monde, depuis la chute des Romains. Comme tel, je me trouvais en butte à la haine de tout ce qui avait intérêt à conserver cette rouille gothique, et c'était à tort, puisque seul je pouvais ramener l'ordre et rapprocher les intérêts des deux partis. Si les factions raisonnaient et se prêtaient à des concessions volontaires, en huit jours nous eussions été d'accord.

Un caractère plus souple que le mien aurait pu louvoyer pour laisser une partie de cette question à décider au temps; mais dès que j'eus vu le fond du cœur de ces deux factions, dès que j'eus la conviction qu'elles partageaient le monde comme au temps de la réforme, je compris qu'il serait long et difficile de les réunir. Je résolus néanmoins de tout faire pour y parvenir. La question était plus compliquée que le prétendu manuscrit de Ste.-Hélène ne le suppose. Elle ne

se réduisait point à faire triompher la révolution ou à succomber avec elle, mais bien à la réconcilier avec ses ennemis du dehors, et à calmer ceux du dedans jusqu'à ce qu'une fusion complète de leurs intérêts avec les nôtres ait eu le temps de s'opérer : il fallait pour cela deux générations. J'aurai occasion de démontrer plus tard que l'auteur du manuscrit confond à tort la révolution dans ses rapports avec la France seule, et la révolution dans les différentes phases qu'elle parcourut relativement aux puissances étrangères; il confond surtout l'époque de l'empire reconnu avec l'époque de la république.

En rejetant ce qu'il y a d'absolu dans son système, je veux bien néanmoins en admettre les conséquences pour l'époque de 1803, à laquelle nous étions arrivés. J'avais consacré deux ans entiers à cicatriser les blessures de la France, à rapprocher les intérêts et les opinions, à éteindre les passions. J'y avais réussi au-delà de toute espérance. Il n'y avait pas à se méprendre néanmoins sur cet état de choses. Les royalistes le considéraient comme un acheminement à la contre-révolution, et leurs adversaires trouvaient que je m'avançais trop dans cette carrière qu'ils redoutaient.

Créer au-dedans un seul intérêt français et le faire respecter et sanctionner par l'étranger, tel

était le but évident de la mission qui m'était confiée. Je compris donc que pour donner à la France une assiette durable, il fallait réconcilier ses institutions intérieures avec les anciennes dynasties, puis la rendre assez forte pour qu'on ne l'attaquât plus impunément. Il fallait avoir pour nous la majorité de l'Europe, afin que la balance penchât de notre côté. Il n'y avait que deux moyens d'avoir cette majorité, celui des alliances volontaires, ou celui des soumissions opérées par l'ascendant de notre puissance. Dans l'impossibilité d'obtenir le premier, je dus bien adopter le second.

Je donnais tous mes soins à obtenir ces résultats, lorsque mes relations avec l'Angleterre se brouillèrent de nouveau. La paix d'Amiens ne semblait avoir été pour elle qu'un moyen de venir reconnaître mon édifice, afin de mieux l'attaquer. Jamais elle ne se disposa à exécuter entièrement le traité. Au lieu de rendre Malte, la possession de cette île forteresse fut prônée par ses écrivains comme la clef de la Méditerranée, et l'unique moyen que l'Angleterre eût de résister dans cette mer à l'alliance de la France et de l'Espagne le cabinet de St.-James résolut donc de la garder.

Au lieu d'évacuer l'Égypte, le général Stuart occupait encore Alexandrie, et semblait vou

Nouveaux

griefs que me donne l'Angle

terre.

loir s'y fixer. J'envoyai Sébastiani pour rétablir nos anciens rapports dans le Levant et s'assurer de l'évacuation promise. On sonna le tocsin contre sa mission, parce que son rapport, fait en forme de reconnaissance militaire, annonçait que j'avais de nombreux partisans dans ce pays, et prêtait au gouvernement anglais le projet de s'y maintenir

D'un autre côté, j'avais des griefs non moins puissants dans les attaques personnelles, à la fois injurieuses et grossières, que se permettaient chaque jour les journaux Anglais et ceux de l'émigration. L'Angleterre exhalait plus d'animosité contre moi que jamais Guillaume n'en avait montré contre Louis XIV, et cependant la situation des deux puissances était en sens inverse, car aujourd'hui le prétendant au trône légitime se trouvait en Angleterre, et elle nous renvoyait avec usure le mal que les Stuarts avaient voulu lui faire avec l'appui de la France. J'avais donc double droit de me plaindre. Un général, placé par la victoire à la tête du plus puissant état de l'Europe, insulté tous les jours par des journaux et des pamphlets où l'on reconnaissait trop bien le doigt du ministère anglais, devait en être exaspéré. Plus susceptible qu'un prince né sur le trône, je ne pouvais voir sans indignation qu'au lieu de reconnaître le mérite de mes entre

prises militaires et de mon administration, on s'acharnât à présenter mes victoires comme des boucheries sans art; mon gouvernement comme despotique et usurpateur; mes principes et mon cœur comme ceux d'un Caligula.

Je portai des plaintes; on m'opposa les lois anglaises sur la liberté de la presse : j'observai que des réfugiés étrangers n'avaient pas le droit de brouiller deux puissances à l'ombre des abus de la presse, et je demandai qu'on éloignât ces brouillons d'Europe en leur appliquant l'aliennbill.

L'Angleterre, qui refusait cette concession, prétendait nous faire souscrire à tout ce qui lui convenait. Peu satisfaite d'avoir aidé à nous dépouiller de St.-Domingue, elle voulait encore nous ruiner par un traité de commerce : celui de 1786 avait été trop impopulaire en France pour que je me décidasse à le renouveler. Sans doute l'exportation des produits territoriaux de la France peut compenser aux yeux de certains ministres la perte des manufactures: mais nous avions trop besoin de remplacer nos colonies par un bon régime industriel, pour jamais recevoir des Anglais des marchandises que la France peut produire. Je repoussai le traité de commerce et insistai pour l'évacuation de Malte. Le cabinet de Londres m'envoya lord Withworth sous le Withworth.

Elle m'en

voie lord

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