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n'aurions jamais d'amour pour le monde ni créatures qui pût préjudicier ou diminuer tant foir peu l'amour de Dieu en nous ? que nous perdrions plûtôt les biens, l'honneur & la vie, que fa grace, en violant le moindre de fes Commandemens, & que de rentrer fous l'efclavage de fatan? Mais voyez quelle fuite dangereufe tire après foi le violement de cette proteftation publique que nous avons faite. Il s'enfuit delà que partager fon cœur & fes affections entre Dieu & le monde, c'eft un grand deshonneur & un horrible outrage que l'on fait à Dieu; car c'eft l'affocier avec le démon fon ennemi ; c'eft mettre fur un même Autel Dagon avec l'Arche d'alliance; c'est imiter les Samaritains qui mêloient l'adoration du vrai Dieu avec le culte des Idoles; c'eft prefenter de l'encens au diable, conjointement avec Jefus-Chrift » Jefus-Chrif >> déteste cette communion, dit S. Augustin, (a) il » veut tout feul pofféder ce qu'il a aquis par fon fang. >> Il a acheté nôtre cœur & nôtre amour à fi grand prix » pour en jouir tout feul; c'est une gloire qu'il fe ré» ferve & laquelle il ne veut point partager avec un » autre. Et tu veux, ô chrétien, que le diable, >> quel tu te vends indignement par ton péché, ait >> part à cette gloire. Malheur, dit le Saint-Efprit, » à celui qui a un cœur double; c'est-à-dire, qui divi>> fefon amour & en donne une partie à Dieu & une » partie au diable. Mais de-là qu'arrive-t'il? C'est que » Dieu juftement indigné de ce mépris & de cette in» jure qui lui eft faite par cet infame partage, fe re»tire de cette ame & la laiffe toute dans la poffeffion » du diable.

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(a) Signum Chrifti cum figno diaboli habuifti. Non vult Chriftus cummunionem, fed folus vult pofidere quod emit, Tanti emit ut folus pofideat. Tu facis ei confortem diabolum, cui te per peccatam vendideras. Væ duplici corde, qui in corde partem faciunt Deo & partem diabolo. Iratus Deus, quia fit ibi pars diabolo, difcedit, & totum diabolus poffi debit. Ang, tratt, 7. in Joan,

Il y a plus, agir de la forte avec Dieu, c'eft fe rendre imitateur de Caïn, chef des réprouvez, duquel il est dit, qu'il offroit bien; mais qu'il faifoit un mauvais partage, (a) offrant à Dieu les moindres fruits qu'il avoit recueillis de fa terre, & réservant pour foi les meilleurs. N'eft-ce pas ce que font ces demi-chrétiens, qui donnent au monde, à l'avarice, à la volupté, à l'ambition, aux affaires temporelles, tous leurs foins, leurs plus grands travaux, leurs principales penfées, & prefque tout le temps de leur vie, dont ils ne refervent pour Dieu que la moindre partie ; & encore le peu qu'ils lui donnent, ils le lui donnent en courant & avec une extrême négligence.

Certainement le Fils de Dieu pourroit nous faire, & avec autant de justice, le même reproche qu'il faifoit aux Juifs, lorfqu'il leur apliquoit cette parole d'Ifaïe; Voici un peuple qui m'honore des lèvres, (b) mais fon cœur est bien loin de moi. En effet, comment fervons-nous Dieu, finon de la maniére dont le fervoient les Juifs; c'est-à-dire, en faifant quelques actions de pieté purement extérieures, ayant le cœur cependant tout ataché aux biens, aux plaifirs, & aux honneurs du fiécle. Auffi ne nous étonnons pas fi Dieu nous traite comme il a traité les Juifs, auxquels il donna feulement comme aux Payens, dont ils fe rendoient les imitateurs, quelques connoiffances générales & communes, & une Loi qui leur montroit le bien qu'ils étoient obligez de faire; mais ils ne le faifoient pas pourtant, parce qu'il ne leur donnoit pas l'efprit principal, ni la force intérieure qui étoit néceffaire. Tellement que ce peuple, quoiqu'il connût ce qu'il falloit qu'il fit pour fervir Dieu, ne laiffoit pas de fe'perdre, parce que la Loi, comme dit S. Paul, (c) lui faifoit feulement

(a) Genef. 4. 3.

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(b) Populus hic labiis me honorat cor autem eorum long gè eft à me. Matth. 15. 8.

(c) Rom, 3. 20.

connoître le péché où il fe précipitoit de jour en jour, & le bien qu'il étoit obligé de faire, mais elle ne donnoit pas la grace qui fait faire le bien, que l'on connoit, qui eft l'infpiration de l'amour de Dieu. Elle ne fervoit qu'à irriter la concupifcence, & à la rendre plus forte & plus opiniâtre.

Si nous confidérons la conduite que tiennent d'ordinaire ceux d'entre les chrétiens qui fuivent le train du monde, nous verrons qu'ils font en pareil état devant Dieu. Quoiqu'ils fçachent les préceptes du Décalogue, quoiqu'ils entendent la parole de Dieu, quoiqu'ils connoiffent les véritez du falut, quoiqu'ils ayent devant les yeux la vie de Jefus-Chrift, des Apôtres, & de tous les Saints; tout cela pourtant ne les touche point; ils continuënt toûjours leur vie toute Payenne & toute Juive; c'eft-à-dire, leur vie mondaine: quoiqu'ils faffent profeffion d'être chrétiens, ils ne vivent point chrétiennement, parce qu'ils n'ont point l'efprit de Jefus-Chrift; Dieu ne leur donne pas la véritable grace de vouloir & de faire le vrai bien, qu'ils connoiffent & qu'ils aprouvent dans les Saints; il ne leur donne point cette delectation victorieufe, ce plai fir délicieux, cette fuavité amoureufe, qui fait goûter combien Dieu eft doux, & defirer les biens éternels; & cela par unifecret, mais très-jufte jugement de Dieu, qui les traite comme eux-mêmes le traitent. Ils ne fe donnent à lui qu'à demi, & lui ne fe donne à eux qu'à demi; ils lui donnent ce qu'ils ont de moindre, fçavoir, quelques actions de vertu ou de piété extérieures & paffagéres, & au monde ce qu'ils ont de plus cher qui eft l'amour de leur cœur, & Dieu de même leur dénie ce qu'il a de meilleur & de plus excellent, qui eft fon amour, & leur donne feulement ce qu'il a de moindre; fçavoir quelques petites lumiéres, & la connoiffance du bien qu'ils font obligez de faire, lequel pourtant ils ne font pas. Si bien que cette connoiffance demeurant flérile & infructueufe, ne fert qu'à les rendre plus criminels & plus puniffables de

vant le Tribunal de fa Juftice, en ce que fçachant les régles de la vie & de la piété chrétienne, ils ne les pratiquent pas. Ainfi démentant leur profeffion, par une vie toute mondaine, ils deshonorent Jefus-Chrift, dont ils portent le nom & le caractére imprimé fur le front, par le mépris & le mauvais ufage qu'ils font de fes lumiéres & de fes véritez, & s'engagent toûjours de plus en plus dans le péché, dont ils fe font une chaîne qu'ils ne peuvent rompre. Et l'origine de ce malheur vient de ce que l'on ne fe donne à Dieu qu'à demi, & que l'on partage fon cœur entre le créateur & la créature, au lieu que les chrétiens font obligez indifpenfablement, par la Loi divine, d'aimer Dies parfaitement, & de fe donner à lui entiérement & fans aucune réferve.

ARTICLE V.

Eclairciffement, felon S. Auguftin, de ce qui a été dit dans l'article précédent, fçavoir que Dieu doit être le maître de nôtre cœur, & que toutes nos autres affections doivent céder à fon amour.

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E que je viens de dire, que tout vrai chrétien fe doít donner à Dieu, entiérement & fans reserve, quoique très-véritable & apuyé fur des preuves invin cibles, demande néanmoins quelque éclairciffement, pour empêcher le fcandale & les peines d'efprit qu'il pourroit caufer dans quelques bonnes ames. La propofition étant générale a befoin, pour être entenduë dans fon véritable fens, de quelque modification par ticuliére.

Et afin de la mettre en plein jour, il faut fupofer, felon la Doctrine des Peres de l'Eglife, & principalement de S. Auguftin, qu'il y a trois fortes de chré tiens. Il y a premierement des parfaits chrétiens. 2. Il y en a d'autres qui font bons chrétiens, mais im

Sanctificetur parfaits. 3. Il y a des faux ou des mauvais chrétiens. Les parfaits chrétiens font les Saints, qui font entiérement détachez du monde & des créatures, qui fe donnent tout-à-fait à Dieu, qui l'aime chaftement, gratuitement & fans intérêt, & apréhendent plus que la 'mort & plus que l'Eufer, non-feulement les crimes, mais les moindres offenfes vénielles, ne defirant rien dans le monde, finon de lui plaire en toutes chofes, & de ne lui déplaire en quoi que ce foit. C'est-là toutejleur étude & leur ocupation durant toute leur vie.

Les bons chrétiens, mais imparfaits, font ceux qui aiment & craignent Dieu, & s'aquitent, felon leur pouvoir, des devoirs de la piété chrétienne; mais à caufe des engagemens qu'ils ont dans le monde, ayant des affaires qui les ocupent, étant chargez de femmes d'enfans, de familles nombreuses, fur lefquelles ils font obligez de veiller, & de pourvoir à leur fubfiftance, ils ont quelques ataches au monde & aux biens temporels, dont la perte, fi elle arrivoit, leur cauferoit une douleur fenfible, auffi-bien que de leurs femmes & de leurs enfans, pour lefquels ils ont une tendreffe & une affection naturelle. Quoique ces perfonnes tombent de jour en jour en plufieurs fautes legéres, & péchent en plufieurs maniéres contre la charité qu'ils doivent à Dieu & au prochain, à caufe des néceffitez atachées à leur état ; ils ne vou. droient pas pourtant trahir leur confcience, ni leur falut pour rien du monde, & ils font en difpofition de perdre plûtôt leurs biens, leur honneur, leurs femmes, leurs enfans, & leur propre vie, que de violer la Loi de Dieu, ni la régle de l'Evangile, par aucun crime, parceque l'amour de Dieu tient la premiérepla ce dans leur cœur,& régne fur toutes leurs affections.

Les faux-chrétiens font ceux qui ont l'amour-propre & la cupidité dominante dans le cœur, qui s'aiment eux-mêmes, qui ont leur intérêt en finguliere reque fi pour fatisfaire leurs propres defirs › pour venir à bout de leurs deffeins &

commandation; enforte

de

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