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A UN AMI SOUFFRANT.

EPITRE.

Par Mile Pauline FLAUGERGUES.

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ous souffrez ! Cependant, ranimant la nature, Le printemps a souri; les bois ont des concerts. Il est aux rochers creux, sous la feuillée obscure, Des abris pour l'oiseau, des échos pour les vers.

Vous souffrez, et pourtant, dans la vallée ombreuse, Vous avez un asile, un modeste foyer

Qui vous fête le soir; une retraite henreuse,

Un toit calme où l'on voit la fumée ondoyer.

Vers le toit brun, s'élance en longs festons le lierre, Le jasmin étoilé jette, frèle espalier,

Au mur qu'il réjouit, sa grâce printanière,

La fenêtre en s'ouvrant froisse un jeune églantier.

Le soleil renaissant dore le clair vitrage

Et des senteurs d'Avril les airs sont enivrés.

La rose au buisson vert, le ramier sous l'ombrage, Près de vous tout fleurit, tout chante, et vous souffrez!

Souffrir, ah! c'est la loi de tout ce qui s'élève.
C'est l'âme au noble essor que la douleur choisit.
C'est le grand chêne et non le roseau de la grêve,
C'est le sommet des monts que la foudre noircit.

Celui dont le cœur bat autrement que la foule,
Poursuit des biens sans nom, de sa pensée éclos.
Sa vie en jours amers, solitaire, s'écoule ;

Torrents aux flots troublés, mais aux lointains échos.

Diadème épineux, le laurier qu'on encense
Pâlit le front pensif du barde couronné.
Mais de l'en arracher il n'a pas la puissance;
A régner et souffrir, n'est-il pas condamné ?

S'il rencontre parfois ces oasis de l'âme
Qui rompent du désert l'aride immensité,

Edens aux frais berceaux où luit un ciel de flamme,

Où le voyageur passe et s'arrête enchanté ;

Cet attrait d'un moment, cette joie éphémère
Laissent vide son cœur qui crut les désirer.

La coupe qu'il saisit soudain devient amère,
Il la brise aussitôt qu'il a pu l'effleurer.

C'est qu'ailleurs est le but, le pôle qui l'attire ;
Que lui-même il s'abuse en cherchant ici-bas
Un bonheur imparfait qui ne peut lui suffire,
Ou l'absolu bonheur que l'on n'y trouve pas.

O toi qu'il méconnaît, qu'il aime et qu'il appelle,
Toi que chercha de même Harold après Rėnė,
N'es-tu pas un rayon de splendeur éternelle
Qui manque à cet esprit, aigle encore enchaîné?

N'es-tu pas ce pouvoir sans égal, sans limite,
Qui transporte les monts, qui déplace les mers?..
Montre-lui loin du globe où la douleur habite,
La palme impérissable et les cieux entr'ouverts!

Mais dans ses jours de deuil et de lutte et d'attente,
S'il gémit, ses soupirs vibrent harmonieux;
La harpe éolienne ainsi de la tourmente
Rend l'aigu sifflement doux et mélodieux.

O poète! chantez, dites-nous vos alarmes,
Sur ce luth tant aimé laissez tomber vos pleurs.
Pour les cœurs affligés vos vers ont tant de charmes!
Qu'ils consolent le vôtre aussi dans ses douleurs !

Que de fois à ces chants, à leur douce magie,

J'ai vu de mes chagrins la sombre nuit pâlir,
Mon âme secouer sa morne létargie,

Et mon ciel, un moment, sourire et s'embellir!

Puis, comme le bonheur qu'amène un léger songe,
Près du foyer mourant quand les doux chants cessaient;
En proie au trouble amer où le réveil nous plonge,
De larmes bien souvent mes yeux se remplissaient.

Fuyant l'éclat du monde, en mon âme oppressée,
Je voulais ressaisir mon rêve aux ailes d'or ;
Et le front dans ma main, j'écoutais ma pensée.
J'écoutais... c'était vous que j'entendais encor!

De votre âme mon âme a senti la blessure:
C'est l'écho qui répond à l'accent des regrets,
Le saule qui, penché sur l'onde au long murmure,
Sait recueillir sa plainte en ses rameaux discrets.

Barde inspire! chantez, et trop longtemps muette, Que votre voix encore attendrisse nos cœurs. L'éclair luit dans l'orage, et l'âme du poète

Mieux qu'en ses voluptés vibre dans ses douleurs.

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