Page images
PDF
EPUB

nous empêcha pas de passer tout-à-coup à un véritable engoûment pour Gesner et son monde pastoral. On raffolait aujourd'hui de la simplicité et de l'innocence comme on avait raffolé, la veille, de ces scènes passionnées qui ne versaient dans l'âme que des angoisses ou de douloureux plaisirs.

Cette extrême mobilité de nos goûts, cette facilité avec laquelle nous cédons à certains entraînements, cette disposition à nous montrer accessibles aux plus nobles et aux plus généreuses impressions, comme aussi à subir les plus pernicieuses influences, montrent assez combien il importe que les hommes animés par le sentiment du beau et du vrai, réunissent leurs efforts pour s'opposer à l'invasion des mauvaises doctrines littéraires, aux schismes qui tenteraient de se former. Nous l'avons vu naguère, la discorde seule, en menaçant la paix de la république des lettres, en a, un instant ébranlé les bases. Les associations du genre de la nôtre peuvent beaucoup pour la défense de l'antique constitution littéraire, en encourageant, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, les écrivains qui restent fidèles aux anciennes lois, aux anciennes traditions. C'est là ce que nous nous efforçons de faire. Toutefois, dans l'appréciation des écrits présentés à nos concours, notre soumission à l'autorité des législateurs ne va pas jusqu'à nous faire méconnaître les droits du génie et la liberté de l'esprit humain; nous ne condamnons que le mauvais goût, le désordre et

2

la licence; nous ne nous préoccupons que du soin de maintenir intacts les conseils éternels de la sagesse et les préceptes de la morale. C'est à cette condition que nous ouvrons nos rangs à de nouveaux collègues; je dirai plus c'est à cette condition seule que nous avons chance de vie et de succès.

Les principes que je viens de poser s'appliquent tout aussi bien aux beaux-arts qu'aux belles-lettres; car eux aussi se prêtent aux plus grands enseignements; eux aussi exercent une salutaire ou pernicieuse influence sur le goût et sur les mœurs. Les peintres, les statuaires exécutent leurs tableaux et leurs marbres sous l'inspiration des récits de l'histoire ou à la faveur de l'imagination des poètes et des romanciers. Leurs œuvres sont comme la traduction, sous des formes matérielles, des auteurs qui ont guidé le pinceau et le ciseau. Les beaux-arts sont assez exactement ce que sont les belles-lettres; la peinture, la statuaire, l'architecture, la musique subissent toutes les variations auxquelles la littérature est elle-même exposée. Lebrun et Mignard peignaient la grande galerie de Versailles, pendant que Racine donnait Britannicus et Andromaque. Bossuet préparait les Discours sur l'Histoire Universelle pendant que Perrault construisait la façade du Louvre, pendant que Lulli travaillait à la réforme de la musique française et charmait les dilettanti de la cour du grand roi. Plus tard, Boucher peignit des amours et des

bergères; les musiciens composèrent des musettes sous l'inspiration des pastorales et des idylles de Berquin; et quand la France invincible et couronnée de lauriers dictait à Clio et à Polymnie de mâles accents, l'école de David traduisait à une jeunesse avide de gloire les grandes pages de l'histoire de Rome et d'Athènes.

Aussi, et quelles que soient les tendances littéraires du moment, répétons-nous sans cesse aux gens qui entrent dans la carrière des arts et qui nous demandent d'encourager leurs premiers pas : « La nature à la fois si grande et si simple dans ses effets ne permet pas toujours à l'art de la suivre avec certitude; mais celui-là seul est appelé à des succès véritables qui s'approche le plus de cet inaltérable modèle. Que votre talent se forme donc par la contemplation et l'étude des beautés simples et pures; défiez-vous de ces renommées qu'une vogue passagère élève aujourd'hui, qu'une nouvelle vogue détruit demain; inspirez-vous de ces œuvres immortelles du génie et du goût qui survivent à tous les caprices de la mode, car la mode ne les a pas créées. Nous savons que le champ des beaux-arts ne produit pas toujours une moisson assez abondante pour nourrir tous les artistes, mais il faut bien se souvenir aussi que l'on ne trouve pas toujours la gloire en la cherchant seulement par la route qui mène à la fortune. »

L'influence de la morale et des lettres ne se fait pas moins sentir sur les sciences que sur les

beaux-arts. La frivolité des mœurs et du goût est peu favorable au progrès des études profondes. On vit rarement se produire, à côté des écrits superficiels, de grands travaux scientifiques. Le siècle de Corneille n'est-il pas celui de Descartes? Partout l'histoire nous montre cet accord du mouvement moral et du mouvement intellectuel.

L'association académique semble aussi très propre à favoriser le progrès scientifique. En attirant à elle des hommes studieux, qui, faute d'être encouragés et applaudis, cesseraient peutêtre de cultiver les sciences, elle entretient et développe une salutaire émulation. Elle recueille de précieuses semences qui finiraient par être étouffées aussitôt qu'écloses, si pour les conserver et les faire fructifier, elle ne se hâtait d'en accepter le dépôt.

Or, comme il est encore plus facile de s'égarer seul dans le domaine des sciences que dans celui de's lettres, l'association est encore là pour opposer aux esprits trop ardents les principes qui les contiennent dans de justes bornes. L'imagination, qui se plaît à s'ouvrir des routes nouvelles, prend aisément l'essor; parfois, elle peut abandonner la vérité qui apparaît pour poursuivre des fantômes qui échappent. D'une expérience mal faite ou imprudemment supposée, de quelques observations incertaines, de quelques calculs infidèles, d'un principe douteux ou mal envisagé on tire des conséquences spécieuses, on se laisse aller à des

conjectures, et l'on s'y attache avec d'autant plus de complaisance que l'on croit s'élever davantage au-dessus des préjugés du vulgaire, au-dessus des connaissances acquises jusques-là. Il n'en peut être ainsi dans l'association. En se prêtant un mutuel secours, en posant le principe d'une solidarité qui est elle-même une précieuse garantie, les associés évitent, autant que possible, ces funestes erreurs qui sont si souvent le partage du travailleur isolé et livré à ses propres forces. Ici les opinions sont approfondies, les raisonnements vérifiés, les preuves discutées, mais avec les égards qui sont dûs à la persévérance et au travail; car il est des hommes laborieux dont les efforts sont si estimables, que l'on pourrait presque dire qu'ils ont le droit de tirer une sorte de vanité de leurs erreurs mêmes.

Je viens d'exposer avec la brièveté que commande le cadre étroit dans lequel je dois me renfermer, les principes qui nous ont guidés, jusqu'à présent, soit dans nos propres travaux, soit dans les jugements que nous avons souvent à porter sur les travaux d'autrui. Il me reste à dire quels ont été, au point de vue de la morale et de l'intérêt bien entendu de la population de nos campagnes, les conseils et les encouragements que nous donnons aux agriculteurs.

Ce serait reproduire des lieux communs mille fois redits que de vous entretenir aujourd'hui, Messieurs, de la prééminence de l'agriculture et

« PreviousContinue »